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Le bal des prétendants

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Le bal des prétendants

L’une après l’autre, les mêmes unes sur papier glacé ornent les devantures des derniers kiosques à journaux parisiens, les rayons des Relay des gares et les façades des tabacs de province. L’une après l’autre se succèdent les mêmes photographies d’hommes et de femmes, prises de trois-quarts en plan américain, dans cette belle lumière qui leur donne l’air de penseurs – celle-là même avec laquelle Yann-Arthus Bertrand a si bien su mettre en valeur les bœufs charolais. L’une après l’autre elles sont ornées de titres agençant sous des formes diverses les trois mêmes éléments, Candidat, Droite et 2022 qui forment la basse soutenue de cet ostinato politique.
Feuilletons un instant l’album de cette famille rassemblée malgré elle. Il y a François Baroin, gendre idéal sur lequel l’âge ne semble pas avoir de prise, que l’on presse d’être candidat mais qui s’y refuse encore, sans que l’on comprenne bien si c’est parce que sa compagne ne supporte pas la décoration de l’Élysée revue par Brigitte Macron ou parce qu’il n’a pas envie de prendre des coups. Il y a le Vendéen, Bruno Retailleau, qui entend bien être en 2022 ce que n’a pas pu être François Fillon en 2017, l’homme qui récupère les électeurs enfuis chez Marine Le Pen sans pour autant faire peur à ceux du centre. Il y a le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, annonçant à qui veut l’entendre qu’il est le seul, grâce à ses réseaux, à pouvoir sauver la France de l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon et de l’extrême droite de Marine Le Pen. Il y a Valérie Pécresse qui, dirigeant l’Île-de-France, se sent d’autant plus naturellement des ambitions nationales que certains prophètes évoquent l’arrivée d’une femme au pouvoir suprême. Il y a Laurent Wauquiez, qui a dû laisser la direction du parti sous la pression et semble s’être décidé à abandonner sa parka rouge pour relancer sa carrière. Il y a Michel Barnier, toujours persuadé qu’il méritait la présidence de la commission européenne, et qui accepterait celle de la République française comme lot de consolation. Il y a François-Xavier Bellamy, Versaillais chimiquement pur, qui croit pouvoir faire bouger les choses au Parlement européen. Il y a les petits nouveaux révélés par la crise sanitaire, le pragmatique maire de Cannes David Lisnard, le parisien Philippe Juvin, qui se dit que la droite aurait bien besoin de ses compétences d’anesthésiste-réanimateur. Il y toujours quelque part dans l’ombre Nicolas Sarkozy, juridiquement mort le soir, en pleine santé politique le lendemain, l’homme du karcher dont certains craignent le ralliement à Emmanuel Macron. Et puis il y a les autres, tous les autres, les nouveaux, les « hors-système », dont on teste les noms, au cas où. Il y a le brav’ général de Villiers, ancien chef d’état-major des armées qui tente de faire croire qu’il peut remettre de l’ordre dans les banlieues parce qu’il a connu le temps du service national. Il y a Éric Zemmour, le polémiste et écrivain talentueux à qui certains ne pardonnent pas de faire s’envoler les ventes et les taux d’audience, et qu’ils aimeraient bien entraîner sur le terrain politique pour qu’il connaisse enfin une défaite.

Mais à quoi ça sert ?

Une semaine, rarement plus, telle semble être la durée du quart d’heure warholien accordé par les médias à ces potentiels futurs opposants de la « droite républicaine » – l’expression totalement démonétisée ressort parfois sous la plume de pigistes fatigués – qui pourraient menacer le jupitérien hôte de l’Élysée en 2022. Pourquoi ces incessants changements, pourquoi ce kaléidoscope mêlant les seconds couteaux de toujours à d’improbables nouveaux venus ? À cela, il y a sans doute plusieurs explications.
La première, et peut-être la plus évidente, est qu’il n’y a pas de candidat de droite désigné… et qu’on ne sait même pas comment le désigner. Christian Jacob, qui dirige le parti, croit dur comme fer à l’émergence de « candidats naturels » s’imposant comme des évidences, mais on est loin encore de De Gaulle ou Jeanne d’Arc. Pas question pour lui en tout cas de ces machines à perdre que seraient les primaires, ce à quoi souscrit pleinement un Xavier Bertrand qui veut croire que sa victoire aux régionales traduira l’attente de tout un peuple. Mais Gérard Larcher ou Bruno Retailleau considèrent, eux, que sans primaires une multiplication des candidatures serait catastrophique pour passer l’obstacle du premier tour. Des primaires, donc, mais lesquelles ? Internes à LR, comme pour Retailleau, qui n’a pas oublié comment François Fillon a bénéficié de l’écart entre les vœux des caciques du parti et ceux des militants ? Ouvertes au centre, et plus si affinités, comme pour Valérie Pécresse, qui se souvient elle aussi très bien de 2016 mais prétend juste anticiper ainsi les ralliements du second tour ?
Primaires ou pas, il semble clair en tout cas que la personnalité de l’intéressé comptera au moins autant que son programme tant ces derniers se ressemblent. Tous sont en effet composés de trois éléments : un tiers régalien d’abord (sécurité et défense), pour tenter de faire revenir les électeurs partis depuis longtemps chez Marine Le Pen et de rassurer les indispensables résidents des Ehpad qui constituent une part non négligeable de cet électorat ; un tiers sociétal ensuite (vivre-ensemble et création artistique), pour que les centristes et quelques socialistes acceptent de venir voter LR lors d’un éventuel second tour ; un tiers économique enfin (Union européenne et mondialisation heureuse), pour confirmer qu’il n’y aura pas de changement en la matière aux pouvoirs qui soutiendront leur candidature.
Car ce qu’ont sans doute compris la plupart de ces politiques, c’est la nouvelle donne pour arriver au pouvoir suprême. Il fallait autrefois mettre la main sur un parti, contrôler ses militants et, surtout, ses finances, mais le candidat désigné n’était pas toujours celui espéré – on se souviendra de l’échec inattendu du « meilleur d’entre nous » qui devait quitter Bordeaux pour l’Élysée. Mais en 2017 l’« écurie présidentielle » ne dépendait plus du contrôle d’un parti mais du soutien direct à un candidat. Emmanuel Macron l’a amplement démontré, être élu suppose maintenant de réussir un recueil de fonds à l’américaine pour sa campagne et de bénéficier de l’appui de médias qui veillent à promouvoir l’Élu et à détruire en vol ceux qui pourraient contrarier son arrivée au pouvoir. On comprend dès lors que soient présentés aussi facilement aux Français ces multiples candidats « en rupture de partis » ou « indépendants ».

Mais pourquoi on en parle ?

Mais d’où vient que ces candidatures d’opposants à l’actuel hôte de l’Élysée soient si facilement évoquées ? En dehors de la nécessité affichée de préserver le pluralisme démocratique, cela relève d’abord de la simple prudence : un accident démocratique est vite arrivé, les Français pouvant avoir envie de changer d’air après les années de confinement, et Emmanuel Macron, comme François Hollande, pourrait ne pas se représenter, ou, comme Lionel Jospin, ne pas être présent au second tour. Cela permet ensuite d’évaluer l’impact de ces candidats sur l’opinion, non pas tant, on l’a dit, celui de leur programme que celui de leur image, comme pour n’importe quel produit. Cela permet enfin de favoriser leur compréhension des enjeux : en les amenant au crash-test des sondages où ils restent dix points derrière Emmanuel Macron et Marine le Pen, on leur fait clairement comprendre qu’ils ne sont rien par eux-mêmes, et à qui ils devront être redevables s’ils sont retenus après ce casting.
Quant à l’ouverture dudit casting, elle résulte de la nécessité de disposer d’un panel suffisant de profils différents pour pouvoir répondre dans l’urgence aux besoins du moment. Certes, cette situation de remplacement de l’hôte élyséen supposerait sans doute de jouer sur le « dépassement des clivages », surfant sur l’idée d’une Union nationale nécessaire pour sortir de la crise – une thématique effectivement plus difficile à défendre pour le maître des horloges qui aura été au cœur du réacteur en surchauffe. Mais une telle thématique peut avoir à s’adapter à des évènements plus ou moins prévisibles (troubles intérieurs, rapports à l’Union européenne, crise financière…), supposant alors pour prétendre y répondre des acteurs différents, dont l’image, résumée à un slogan (la proximité, l’autorité, la compétence, l’ouverture…), permettra d’oublier la trop évidente similitude des décisions qu’ils prendront avec celles de leurs prédécesseurs. Car c’est ainsi que la démocratie est grande.

Illustration : Xavier Bertrand contemple avec inquiétude les sondages que lui présente un de ses partisans. Non seulement il est loin derrière Macron et Le Pen, mais en plus il ne réunit que les plus bourgeois.

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