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La grève de Noël

Les Français sont une fois de plus pris en otage par les cheminots qui défendent leurs intérêts en prétendant contredire Bruxelles. C’est honteux, certes, mais l’État français – asservi à l’UE, incapable de faire appliquer les lois votées, et faible devant les syndicats – est le grand responsable des maux à venir.

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La grève de Noël

Comme chaque année à pareille époque – comme au début de la plupart des périodes de vacances –, les principaux syndicats de la SNCF, attachés à leurs traditions, ont appelé à une grève à durée indéterminée pour Noël. Ainsi, à la trêve de Noël de l’Ancien Régime succède désormais la grève de Noël de la société laïque. Chaque époque a ses marqueurs dont il convient de « décrypter » – pour utiliser un langage politico-médiatique moderne – la signification profonde.

La date de la grève

Cette grève qui revient avec la régularité d’un métronome au début des vacances traduit le fait que, pour faire pression sur les employeurs et à travers eux sur l’État, les syndicats cherchent à prendre en otage le plus grand nombre possible de citoyens totalement étrangers aux conflits. Ce qu’il y a de symptomatique dans cette affaire c’est que les citoyens sont pris en otage dans le cadre de leur consommation d’un loisir. Que ce loisir soit utile ou non, peu importe. Ce qui compte c’est qu’il soit devenu indispensable, compte tenu du mode de vie imposé à la société. Plus ce besoin semble nécessaire à l’ensemble de la population, plus l’État sera enclin à céder. On l’a bien vu lors des périodes de vacances précédentes, on l’a vu aussi juste avant les Jeux Olympiques. Au-delà de cette première constatation, force est de constater que ceux dont la vie est perturbée par ces actions n’ont aucun pouvoir pour répondre de façon satisfaisante aux revendications exprimées. Les syndicats comptent sur l’exaspération des otages pour imposer leur volonté à un État qui recherche la « paix sociale ». Dans ce conflit, en effet, l’employeur officiel – la SNCF – n’a aucune marge de manœuvre ; il ne peut en aucun cas donner satisfaction aux grévistes dans la mesure où l’entreprise, structurellement déficitaire et pourtant chargée de ce que l’on appelle désormais un service d’intérêt économique général, n’en a pas les moyens.

Si les syndicats considèrent cependant qu’ils ont une chance d’obtenir satisfaction, en privant les usagers – on ne peut pas parler de clients – d’une de leur possibilité de consommer un service spécifique, c’est parce qu’ils ont choisi la date en tenant compte de l’attachement des Français à Noël, ce jour où les chrétiens fêtent le Fils de Dieu venu dans le monde. Les syndicats font d’une pierre deux coups : ils portent atteinte au pouvoir d’achat d’une population fatiguée et ils bafouent l’une des valeurs les plus chères des Français. Ils n’ont pas peur d’affronter les Pouvoirs publics sur ce terrain puisque ceux-ci, s’accrochant aux « valeurs » de la laïcité, ne peuvent pas en appeler à une trêve de Noël. La stratégie ainsi développée par des syndicats athées pour faire aboutir leurs revendications est de priver des consommateurs d’un service qui, pour l’immense majorité, ne correspond pas à un besoin vital, mais qui pour beaucoup répond à un besoin spirituel et affectif.

Le motif de la grève

Lors des Jeux Olympiques, la menace de grève avait été agitée pour obtenir une prime substantielle ; lors du vote de la loi sur les retraites, la grève avait pour but d’empêcher la loi de porter atteinte aux privilèges, pardon, aux droits acquis par les cheminots. Cette fois-ci, la grève a pour motif de s’opposer au démantèlement du fret ferroviaire… imposé par Bruxelles ! En effet, ce démantèlement résulte du fait que l’Union européenne a érigé en dogme la libre concurrence interdisant aux États de subventionner une entreprise officiellement privée, fût-elle chargée d’un service d’intérêt économique général. Or le fret ferroviaire est aujourd’hui, en France, très largement déficitaire, alors que, écologie oblige, il devrait être encore plus développé afin de transporter au plus près des consommateurs français, les produits en provenance de tous les coins du monde ; ce qui leur permet de concurrencer – déloyalement mais légalement – les produits nationaux soumis à des normes sanitaires plus strictes et grevés par des taxes et charges plus importantes. En détachant ce secteur de l’ensemble du transport ferroviaire, la Commission européenne espère que des concurrents étrangers pourront intervenir et faire baisser les prix du transport. Elle cherche à réitérer la politique développée pour le transport routier qui a permis de couler nombre d’entreprises françaises en laissant librement circuler des chauffeurs non soumis aux règles nationales et qui sont donc autorisés à travailler sans relâche pour un salaire nettement plus faible et sans la garantie d’un système social aussi protecteur. Si la date choisie par les syndicats pour manifester leur opposition au projet est symbolique, elle est beaucoup trop tardive car la réglementation européenne a été imposée et son application est déjà inscrite dans le droit français. Il y a donc un risque pour les grévistes de se trouver demain condamnés à accepter un régime social moins favorable – serait-ce l’un des buts non avoués de la transcription dans le droit français de cette évolution ? – ou à perdre leur emploi. En attendant et quel qu’en soit son résultat, cette grève pèsera uniquement sur les otages car son coût ne fera qu’aggraver le déficit de l’entreprise ce qui se traduira inéluctablement soit par une augmentation des tarifs (déjà incompréhensibles) soit par un alourdissement des impôts (pour renflouer l’entreprise) soit par les deux.

La faiblesse de l’État

Cette grève qui, dans son fondement comme dans sa forme, apparaît comme très largement abusive et déplacée, montre une fois de plus la faillite de l’État, et cela dans toutes ses prérogatives. C’est d’abord la faillite du Pouvoir législatif qui a été contraint d’adopter une mesure inutile, voire nuisible, et de toute façon impopulaire ; et cela parce qu’elle lui a été imposée par l’Union européenne. Cette affaire montre que le Parlement n’est plus qu’une chambre d’enregistrement de dispositions prises par une Commission composée de fonctionnaires apatrides ou qui n’ont aucun souci des intérêts de la France comme on le voit encore avec le fameux traité du Mercosur1. C’est ensuite la faillite du Pouvoir exécutif qui, devant le mécontentement que provoquent ce type d’action et le risque de fraude sociale qui en découle, avait fait voter une loi relative au « service minimum », loi qu’il est bien incapable de faire respecter et dont l’autorité judiciaire, pourtant légalement indépendante, est tout aussi incapable d’en sanctionner les manquements. Le ministre de l’Intérieur n’a pas osé dire aux syndicats de la SNCF ce qu’il a déclaré aux agriculteurs qu’il a rencontré à Meaux le 18 novembre : « L’ordre public, l’ordre républicain s’applique à tous les Français. Personne n’est au-dessus de la loi. Pas d’atteinte aux personnes, pas d’atteinte aux biens, et pas de blocage qui durent, pas d’enkystement ». Il n’a pas osé invoquer « la tolérance zéro » pour mettre fin au désordre national permanent. Il est vrai que cette « tolérance zéro » ne s’applique pas à toutes les catégories de population ; uniquement à celle que les Pouvoirs publics ne peuvent plus satisfaire, faute d’avoir bradé toute souveraineté.

Si, pour les Chrétiens Noël est la date à laquelle le « Verbe s’est fait chair », pour les politiques laïques, ivres de leur toute puissance, le verbe se croit action, mais ne peut concrètement qu’endormir provisoirement les mécontents. Il faudra bien, un jour traiter les problèmes au fond.

 

1 . Mais dans le monde agricole, s’il y a télescopage des colères (des éleveurs, céréaliers, maraîchers, arboriculteurs, etc.) il n’y a aucune convergence possible des actions. Remarquons toutefois que la Coordination rurale du Lot-et-Garonne avait appelé à bloquer le fret ferroviaire le 19 novembre.

 

Illustration : « De 2022 à 2024, la rémunération des cheminots a progressé de 17 % en moyenne, et même de 21 % pour les bas salaires, quand l’inflation cumulée a atteint 13 % ». Un état de fait inadmissible pour les syndicats qui réclament de vraies augmentations.

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