On sait que les restos du cœur sont confrontés à l’augmentation du nombre de bénéficiaires. En ce domaine il est manifeste qu’en dépit de l’importation avérée de nouveaux pauvres, les candidats de souche y sont de plus en plus nombreux, auxquels s’ajoutent ceux issus de l’immigration plus ancienne. Le ministre s’en tient à ce constat : « c’est le signe que l’inflation touche très durement beaucoup de nos compatriotes ». On peut disserter à l’infini sur les causes de cette inflation, drôle de guerre en Ukraine, enchérissement de l’énergie, rupture des flux et des stocks, etc., mais si ces explications demeurent partiellement vraies, on en dissimule la véritable cause. Celle-ci repose sur la politique des banques centrales depuis 2008 qui, par les facilités monétaires, ont engendré l’inflation. Depuis cette date, en effet, si le prix du pain ou du litre de carburant n’avaient pas trop augmenté, celui des actifs, immobilier, actions en bourse, étaient fortement orientés à la hausse, prélude à l’inflation d’aujourd’hui mais, surtout, puissant facteur de création d’inégalités, les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, y compris dans nos sociétés occidentales. Et, au final, avec l’inflation, l’addition est payée par les classes pauvres et moyennes, tandis que la créance sur l’état s’érode et qu’il rembourse en monnaie de singe. L’école aussi est en cause : la France obtient une mauvaise note au classement Pisa et voit se confirmer la baisse de son niveau général de plusieurs points, les écarts entre les élèves qui réussissent et les plus faibles se creusant dans un parallélisme troublant avec celui de la richesse et de la pauvreté.
L’observation de l’enrichissement des plus riches et des plus entreprenants infirme, en tout cas, la théorie du ruissèlement puisque, par ailleurs, le nombre des foyers en difficulté augmente. À moins que l’on considère que le taux de chômage assez bas en est la conséquence. Le problème est que l’analyse de l’emploi révèle un plein emploi dans les métiers qui classent leurs bénéficiaires dans la catégorie des classes moyennes supérieures, tandis que la « nébuleuse du chômage » laisse au bord du chemin les chômeurs de catégorie B et C, précarisés, marginalisés, peuplant généralement les territoires (11,2 % de la population des communes rurales est en situation de privation matérielle et sociale) et ne comptant plus dans les statistiques de Pôle emploi. En termes de revenus, cela donne plus de 4,8 millions de pauvres, gagnant moins de 940 euros mensuels (soit 50 % du salaire médian) et avec un taux de pauvreté au seuil de 60 % du revenu médian, correspondant à un revenu de 1 128 euros pour une personne seule en 2022, on trouve jusqu’à 11 millions de pauvres.
Plus froidement encore, les statistiques globales parlent rudement, la France ne cesse de régresser dans le classement de la puissance économique. La position de la France dans le classement mondial du PIB par habitant a reculé au cours des quatre dernières décennies. Alors qu’elle se plaçait à la 13e place en 1980, surpassant même les États-Unis, la France a chuté à la 19e place en 2005 pour finalement atterrir à la 24e position en 2022/2023 . En termes de PIB global, en 1990, le PIB chinois représentait le neuvième de celui des États-Unis, la moitié de celui de la France. En 2020, il s’est établi à 72 % de celui des États-Unis et à quatre fois celui de la France. Il devrait rattraper celui des États-Unis en 2031. Selon le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), organisme public, la poursuite des tendances actuelles donnerait la France en 9e position, devant la Turquie. Ce recul de la France de deux places en trente ans serait la conséquence d’une croissance à un rythme moyen très faible à 0,8 %.
Dans le top 500 des plus grandes entreprises mondiales on comptait 31 entreprises françaises en 2020, 28 en 2021, 25 en 2022 et donc 24 cette année. Ici apparaît un autre facteur patent de paupérisation, la désindustrialisation. La France doit donc impérativement reconstruire souverainement un tissu industriel. Mais pour l’heure, à considérer nos 24 entreprises, on n’a pratiquement que des entreprises centenaires, la nouvelle économie n’a pas d’impact sur ce classement, la start-up nation de Macron n’est pas au rendez- vous.
Recherche des causes
La mondialisation est la cause la plus souvent invoquée mais elle n’est pas la seule et les politiques feraient bien de s’interroger sur les causes sui generis. Ou plutôt la question est de savoir comment la France a pris la mondialisation : a-t-elle su saisir, s’il y en avait, ses chances dans cette logique ? Délocalisations massives, liées aux coûts de main-d’œuvre, doxa européiste et libérale de l’avantage comparatif et de la division internationale du travail, largement infirmées par l’accès de la Chine et de l’Inde à la haute technologie, sont des explications assez courantes.
Mais ce qu’on ne souligne pas assez c’est qu’en faisant de l’ouverture des frontières une exigence canonique, quasi magique, la France a mis son État-providence en péril, par son système de redistribution sociale. La France consacre 33,3 % de son produit intérieur brut (PIB) à cet impératif social, soit plus de 800 milliards d’euros. En revanche, le budget régalien, en 2023, était de 436,5 milliards d’euros, en nette augmentation de 37,9 milliards d’euros, soit + 9,5 % (encore certaines dépenses du budget régalien ne sont-elles pas régaliennes). Tout « ce pognon de dingue » (Macron), sans compter la dette, au moins à court terme, devrait normalement enrayer la pauvreté : il n’en est rien.
On ne peut, en réalité, maintenir un système de redistribution que dans le cadre de frontières sinon fermées du moins maîtrisées ; « on ne saurait gonfler un pneu crevé » nous disait le grand Alfred Sauvy. La question est aussi de savoir si il n’y a pas stérilité de la dépense publique voire nuisance. Les investissements gigantesques à consacrer à la transition énergétique, qui vont creuser les déficits et renforcer l’inflation, seront-ils créateurs de valeurs, ne sont-ils pas un simple déplacement de curseur, voire une entrave à des investissement réellement productifs, n’auront-ils pas surtout pour effet d’abaisser le niveau de compétitivité du pays par rapport à ses concurrents moins portés sur cette transition ? Le communiqué final du G20 (10 septembre) est un camouflet pour cette politique, dite de transition, qui risque de devenir transitoire. Ce sont les moins carbonés, donc la France, qui supportent la décarbonation et ses coûts induits. Les hydrocarbures conservent encore un avantage pour des années. D’ailleurs, pour la seule France, Total et Technip ne s’y trompent pas qui continuent à prospecter et à investir dans le pétrole ou le gaz (Russie, Qatar, Mozambique et même Pays de Galles) en dépit de leur « greenwashing » publicitaire.
Les soutiens massifs des caisses de l’État aux ménages et aux entreprises ne servent qu’à compenser des factures d’électricité ou de gaz et le « quoi qu’il en coûte » aura freiné budgétairement mais aussi psychologiquement la reprise. Enfin, le commerce extérieur français est également un mauvais signe. En 2022, les échanges sur les biens enregistrent un déficit historique de 163,6 milliards d’euros, soit une dégradation de près de 80 milliards d’euros sur un an. 2023 affiche une légère reprise mais en 2023 comme en 2024 l’expansion française ne sera pas contrainte par une demande insuffisante, mais par un manque d’offre. Traditionnellement, le déficit commercial est le propre de pays riches, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont été de ceux-là, mais, à terme, il est un gage de réduction de la richesse.
Une équation sommaire
Taxer plus ceux qui possèdent plus est la pensée la plus courante, ce que l’on peut en dire c’est que la taxe existe puisqu’elle fait de la France un des pays les plus taxés, et que la pauvreté augmente néanmoins.La première question est de savoir si la taxe en question atteint sa cible : la réponse est négative, selon une règle paradoxale : plus on gagne, passé un certain seuil, moins on paye, par le jeu de la « défiscalisation » légale ou illégale. Mais cette réponse est de nature statique, on redistribue une richesse qui ne croît pas, la question est plutôt de faire croître la richesse globale. Or il y a bien appauvrissement de la société française ! Tous les indicateurs montrent objectivement qu’il y a un appauvrissement des classes moyennes et des classes populaires. Les principaux signes en sont la mauvaise santé (déserts médicaux), la faiblesse ou l’absence d’un revenu, une éducation insuffisante, un logement précaire et mal isolé, un travail difficile, la déresponsabilisation politique, une forte abstention, la sous-alimentation, un environnement dégradé, l’insécurité physique, la fracture numérique.
Ainsi la croissance de la richesse globale passe par un modèle qui n’est certes pas celui que la classe politique française applique depuis une génération. Il faut comprendre ce qui se passe mais, politique d’abord, les erreurs accumulées par la classe politique sont d’un niveau de gravité et de persévérance sans précédent, par idéologie européiste, mondialiste, frappées d’un syndrome TSF (tout sauf la France). Et, sur ce plan, le ministre est sourd et aveugle mais pas muet : « Comprenez bien ce que je dis : l’économie française, une fois encore, a des bons résultats ». Ce que les Français comprennent n’est pas cela, l’inflation, la mondialisation, la numérisation et tous les bouleversements économiques de ces trente dernières années touchent les classes les moins favorisées, des classes sociales que l’on déclasse de plus en plus. Sa réponse : « Nous permettrons aux Restos et à toutes les banques alimentaires de fonctionner sans soucis et sans difficulté », promet-il, soit un cautère sur une jambe de bois. Même si l’on peut se féliciter de ce qu’aucune personne risque la faim en France, il est évident que l’aide de l’État ou de Bernard Arnault ne changera rien au (dés)ordre des choses.