Pour la première fois depuis un siècle, le taux de natalité, en France, est inférieur au taux de mortalité.
C’est l’historien Pierre Chaunu qui nous en avait prévenu (La Peste Blanche, Gallimard, 1976). À l’époque, dans les années 80 où je le côtoyais sur Radio Courtoisie, son alarme justifiée ne trouvait guère d’écho hors le cercle des démographes avertis. Une bonne génération après, les « boomers » sont en train de passer – qui ne voit partout ces têtes chenues ? L’oliganthropie (le petit nombre des hommes) à la grecque frappe notre pays. Le terme fut employé par les historiens de la Grèce antique, comme Polybe et Thucydide. Il fut repris à la veille de la conquête romaine en 146 av. J.-C., après la bataille de Corinthe.
En France, rares furent les politiciens à s’inquiéter de la chose. Jean Royer, maire de Tours et ministre des deux derniers gouvernements Pierre Messmer (1973-1974), candidat à l’élection présidentielle de 1974, avait fait son cheval de bataille de la politique familiale mais fut raillé et peu écouté. Mai 68 était passé par là, il fallait « jouir sans entraves », un des slogans de l’époque. Mais les politiques avaient anticipé, si l’on peut dire, ce désir. La loi Neuwirth avait été adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat le 19 décembre 1967. Elle autorisait l’usage des contraceptifs, et notamment la contraception orale. Cette loi proposée par le député gaulliste vint abroger celle du 31 juillet 1920 qui interdisait non seulement toute contraception, mais jusqu’à l’information sur les moyens contraceptifs.
Pourtant, au tournant du nouveau siècle, la France avait « résisté » en maintenant un taux de remplacement presque satisfaisant autour de 2 ou 2,1 enfants par femme alors que celui-ci tombait dans tout le reste de l’Europe à 1,8 voire 1,35 (Allemagne) et, dans cet effondrement, les pays latins (catholiques) comme l’Italie ne faisaient pas exception. L’Allemagne fut, comme on le sait, « pionnière » en la matière. Ce pays qui meurt en vivant bien risque désormais de moins bien vivre. En raison de son faible taux de natalité, l’Allemagne enregistre chaque année depuis 1972 plus de décès que de naissances. En 2024, la population allemande aurait donc diminué pour la 53e année consécutive sans l’immigration, laquelle lui permet de se maintenir, surtout grâce aux femmes ukrainiennes (l’immigration syrienne, version Merkel, étant essentiellement masculine) : entre 2021 et 2023, le nombre des femmes étrangères en âge de procréer s’est accru de près de 500 000, tandis que celui des femmes allemandes de la même tranche d’âge a diminué de plus de 100 000.
Politiques familiales en question
Pour revenir en France, on sait qu’au lendemain de la victoire de 1919 la France était le pays le plus vieux d’Europe et sa natalité en berne. Il n’y eut pas de véritable rattrapage style Baby-boom dans les années vingt. C’est avec la montée des périls que les politiques, conseillés par des hommes comme Adolphe Landry et Alfred Sauvy, vont pousser à une politique familiale. La loi du 11 mars 1932 (loi Landry) généralise le principe des sursalaires familiaux pour tous les salariés de l’industrie et du commerce ayant au moins deux enfants. Puis le décret-loi du 12 novembre 1938 crée des allocations familiales indépendantes du salaire et des entreprises. Le 29 juillet 1939, un décret-loi institue le code de la famille et de la natalité françaises. Ce texte constitue la première tentative d’une véritable politique familiale en France avec un objectif nataliste clairement affiché. Les résultats, quoique tardifs (pour faire des soldats face à une Allemagne surarmée ?), se feront sentir dès 1942 : on peut dire, qu’en dépit des malheurs et des difficultés de la défaite de 40 et de l’occupation, le fameux Baby-boom commence, pour exploser ensuite à la Libération. Les Trente Glorieuses ont aussi une explication démographique.
Depuis lors, les politiques n’ont cessé de démanteler la politique familiale. Ce démantèlement repose sur une confusion volontaire entre politique sociale et politique familiale. Le démantèlement est essentiellement inspiré par la gauche, et la droite a suivi comme à l’accoutumée. Le champion en la matière fut François Hollande. Ce médiocre personnage s’est montré l’ennemi des familles. Le moyen en fut sournois et peu visible pour l’opinion : abaisser le quotient familial à deux reprises, en 2013 et 2014, et geler plusieurs prestations familiales, dont la prime de naissance.
Le petit nombre des hommes, un problème de civilisation ?
On ne saurait cependant incriminer la seule politique familiale dans cette chute démographique. Les facteurs qui jouent contre l’enfant à naître sont nombreux. En tout premier lieu l’avortement, bien sûr (en 2023, 243 623 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées, soit 8 600 de plus qu’en 2022). On sait que le garde des Sceaux de l’époque, Jean Lecanuet, refusa de défendre cette loi pour des motif d’éthique personnelle, mais la loi fut votée malgré l’opposition de la majeure partie des députés de la droite, emmenée par Jean Foyer (UDR), et dont était pourtant issu le gouvernement dont faisait partie Simone Veil. Depuis la loi du 17 janvier 1975 (Giscard président, Chirac Premier ministre), l’IVG est en cinquante ans passée de la dépénalisation à la constitutionnalisation (loi du 8 mars 2024). Jean-Pierre Le Goff, en 2024, expliquait que le courage n’avait pas toujours été au rendez-vous dans cette affaire, le risque étant, comme toujours, de n’être pas progressiste (Le Figaro). Il n’était pas apparu jusque-là que la Constitution fût un outil de censure, mais il y a dans la démarche de constitutionnalisation du droit à l’avortement une arrière-pensée de sacralisation républicaine pour rendre délictuelle toute tentative de débat sur l’opportunité de ce choix pour une femme. L’inscription de l’avortement dans le marbre constitutionnel est fondamentalement contraire à la démocratie dont les politiques se réclament, alors que sa remise en cause en France n’est pas une menace et que, comme l’avait justement souligné le président du Sénat, Gérard Larcher, la Constitution n’est pas un catalogue de droits.
Plus globalement, on peut faire intervenir le facteur logement dans la difficulté d’accueillir des enfants. Or ce n’est pas qu’un phénomène de marché immobilier de nature conjoncturelle, la difficulté de se loger est liée à la mondialisation qui freine les salaires en France et fait monter les prix au bénéfice d’une oligarchie mondialiste qui accapare l’immobilier et rend inaccessible le logement, problème que les boomers n’avaient pas connu.
Bien plus grave encore, la jeunesse ne croit plus à l’avenir de la France et se prend à douter… de celui de la planète. Le discours punitivo-alarmiste de l’écologie militante conduit la jeunesse à l’hypothèse, non vérifiée, de l’anthropocène, soit une nouvelle époque « géologique » où l’impact de l’homme transformerait la planète à l’échelle d’une époque géologique. Gaïa, la Terre-mère, mérite plus de respect. Il faut donc, pour la ménager, ne pas faire d’enfants. On se demande ce que serait cette planète « conservée » sans humains. Et au bénéfice de qui ?
Grand remplacement ou politique familiale ?
Chacun comprend aisément que sans une politique familiale courageuse, l’alternative repose sur l’immigration : il semble que beaucoup de politiques s’y sont déjà résolus, car le problème est que les vigoureuses politique familiales, comme en Russie, par exemple, ne donnent pas tous les résultats escomptés. Cependant écoutons Alfred Sauvy, dans La France ridée. Échapper à la logique du déclin (1979) : « Si fondamentaux sont les problèmes de population qu’ils prennent de terribles revanches sur ceux qui les ignorent. » Beaucoup des problèmes qui se posent aujourd’hui en politique ont en effet un substrat démographique. L’heure de la revanche aurait-elle fini par sonner ?
Illustration : Fort heureusement, une immigration choisie va permettre de pérenniser notre modèle social.