Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Travaillant depuis longtemps sur la question des migrations, j’ai évidemment regardé avec intérêt le programme de la chaîne LCP du 4 avril intitulé « Le Grand remplacement : histoire d’une idée mortifère » qui fait partie de la série d’émissions DébatDoc diffusées en prime time.
Ce programme était composé d’un documentaire de 54 minutes de Thomas Zribi et Nicolas Lebourg produit par Caroline du Saint pour Nova Production, suivi d’un débat, « Que cache le Grand Remplacement ? », animé par Jean-Pierre Gratien avec pour invités Nicolas Lebourg, Camille Vigogne, journaliste à l’Express et le démographe Hervé Le Bras.
Le titre choisi laissait peu de place au doute. De fait, ce documentaire qui veut « donner des clés de compréhension historique et politique de ce concept en France et dans le monde occidental » est totalement à charge avec les amalgames habituels sur les théories complotistes, l’évocation des massacres perpétrés par Anders Breivik en Norvège et Brenton Tarrant en Nouvelle-Zélande, les fièvres suprématistes et racialistes de leurs émules dans le monde et en France qui s’inspireraient de la théorie de Camus et de sa promotion tapageuse par Éric Zemmour mais aussi, plus discrète, par Marine Le Pen et toute l’extrême droite. Ces idéologies mortifères (« qui apportent la mort », Le Robert) ont généré une telle résonance dans la population qu’elles auraient infecté toute la société française comme le montre le sondage d’Harris Interactive (et non Harris International, comme dit dans l’émission) qui atteste que 61% des Français croient à un Grand Remplacement et que 67% s’en inquiètent. Quant aux auteurs de la thèse, Renaud Camus et Éric Zemmour, qu’il fallait bien mettre à l’image par souci d’objectivité, ils sont présentés de façon très rapide et négative, parfois de dos ou couchés sur leurs notes, et leurs propos sont présentés de façon tendancieuse ou contredits en off par les auteurs du documentaire.
Le débat – mais peut-on parler de débat quand on a choisi trois invités d’univers différents, un réalisateur, un journaliste, un démographe, pour montrer la diversité de l’approche mais qui sont d’accord sur tout et rebondissent joyeusement sur les questions faussement naïves du présentateur – n’a fait qu’égrener le catéchisme de la bien-pensance.
Nicolas Lebourg, qui a milité à Rasl’Front, qu’il a quitté, puis adhéré brièvement à la Gauche Populaire, think tank proche du parti socialiste, copilote le programme Vioramil (Violences et radicalisations militantes en France) et travaille pour la Fondation Jean-Jaurès sur l’Observatoire des Radicalités politiques. Il écrit pour Slate, Mediapart et Libération mais beaucoup reconnaissent son honnêteté intellectuelle.
Camille Vigogne-Le Coat, jeune journaliste définie comme libérale-libertaire après avoir pigé à Slate, à Libé et aux Inrocks, est entrée à France 5 pour l’émission C politique puis à L’Express où elle s’occupe principalement des réseaux de l’extrême droite et notamment de ceux d’Éric Zemmour qui, en riposte, la traitent de « sycophante ».
Quant à Hervé Le Bras, qu’on ne présente plus, il vient de publier chez Grasset un ouvrage péremptoire, Le Grand Remplacement n’existe pas, qui rappelle ses déclarations tout aussi péremptoires sur « L’immigration est stable depuis 10 ans » en 2006 au journal 20 minutes. Ce chercheur de 78 ans, toujours alerte, à la production boulimique (plus de 50 ouvrages, ce que je serais mal venu de lui reprocher), présent sur tous les plateaux télé de la pensée dominante, connu pour son opposition farouche aux statistiques ethniques, est le principal responsable de la grande manipulation de l’INSEE sur le solde migratoire annuel, qui consiste à soustraire le nombre de ceux qui partent de ceux qui arrivent alors que ce ne sont pas du tout les mêmes catégories de personnes, pour montrer que les flux migratoires sont minimes en occultant soigneusement le fait qu’ils s’ajoutent aux stocks déjà importants.
On rappellera que la démarche scientifique consiste à comptabiliser d’une part le nombre des étrangers (principalement immigrés) qui arrivent, diminué de ceux qui repartent pour établir le solde migratoire de l’immigration, et d’autre part le nombre des expatriés (principalement français) qui quittent leur pays d’origine, diminué de ceux qui reviennent pour établir le solde migratoire de l’expatriation. L’addition des deux, conjuguée au différentiel de fécondité des enfants d’immigrés dont une partie, issue d’un mariage mixte, doit n’être comptée que pour moitié, peut permettre de mesurer, avec les précautions d’usage, quelle est pour une année donnée la réalité, la dynamique et la validité de la théorie du Grand Remplacement.
Bref on peut parfaitement débattre de façon scientifique et sans hystérie de la théorie du Grand Remplacement et de la faisabilité de la « remigration » que ses thuriféraires veulent instituer, voire les combattre sans tomber dans la caricature. C’est du moins – et je ne suis pas le seul – ce que je tente de faire sur ces sujets difficiles. Mon étude sur le coût annuel de l’immigration (autre sujet sensible !) sort aujourd’hui chez Contribuables Associés.
En réalité, ce type de programme diffusé sur des chaînes officielles tend vers une “poutinisation” de l’information que ces mêmes médias dénoncent chez nos voisins. Et ce n’est pas fini puisqu’on nous promet une rediffusion de ce programme le 11 avril, même heure ! C’est qu’il faut formater les 0,4% de téléspectateurs de la chaîne pour le second tour ! Aucun risque de remontrances puisque cette chaîne, détenue à 100% par l’Assemblée Nationale, n’est pas soumise au contrôle du CSA.
Emmanuel Macron avait stigmatisé, dans son show de La Défense-Arena le 2 avril, le « politiquement correct » et le « politiquement abject ». L’émission d’hier, qui est passible de ces deux formulations, montre qu’on ne peut guère, à moins d’un miracle, compter sur lui pour réussir dans les 5 ans qui viennent ce qu’il n’a pu ou voulu assurer dans les cinq ans écoulés : une information plurielle digne d’un pays démocratique.