France
Cesser de se mentir
Sous le titre évocateur de Bal des illusions, l’essai de Richard Werly et de François d’Alançon tombe à pic.
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Il y a une politique énergétique en république française. Mais est-ce une politique qui sert l’intérêt français ? Même les parlementaires en doutent. Et pourtant, les lignes de cette politique peuvent être tracées.
Après avoir lancé sur la France des armées de technos pour « remembrer » nos campagnes et en réalité les démembrer, leur faire perdre leur âme, surtout, la raison semble revenir avec le retour en grâce des haies. Enfin ! Il en va de même pour l’énergie. Abandonnée aux mains de technocrates liés à des modes écolos, la France a laissé tomber toute réflexion stratégique sur l’énergie, pensant que, comme pour la chose militaire, la mutualisation et la gestion européennes étaient une assurance tous risques face aux aléas (guerres qu’on ignorait sciemment, question géostratégique des ressources et des moyens de production…) ; sans parler du couple franco-allemand, qui ne pouvait qu’accoucher de bonnes choses.
Il aura fallu une guerre en Ukraine ; une entreprise nationale, EDF, lourdement endettée et politiquement enkystée ; des prix de l’électricité au plus haut ; des risques de « black-out » l’hiver dernier et possiblement l’hiver prochain pour qu’enfin la représentation nationale se saisisse de ce sujet capital : l’énergie. La Commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique, présidée par le député LR du Haut-Rhin, Raphaël Schellenberger, a rendu ses conclusions le 6 avril dernier après six mois d’auditions. Celles-ci ne sont guère brillantes.
L’énergie, c’est bien sûr un sujet éminemment technique mais c’est surtout du temps long. Elle ne peut se satisfaire de majorités d’occasion. Notamment se trouver sacrifiée soit pour des enjeux européens qui nous dépassent et nous perdent, soit pour des enjeux politiciens. C’est un sujet à la fois technique (réalité physique et, pour l’électricité, le besoin permanent que l’offre s’adapte à la demande) et politique (un bien commun au service de l’économie du pays et des familles).
Avec les « trente piteuses », la construction européenne, qui avait vu le jour sur une communauté de l’énergie, accouche, pour la France, d’une position guère favorable : un marché français qui doit écouler la surproduction d’EnR (énergies renouvelables) intermittente de l’Allemagne, et donc son charbon, qui compense cette intermittence. Alors que notre pays est peu émetteur de gaz à effet de serre du fait de son parc de production électrique, il le devient par ses importations de production électrique venue d’Allemagne, et principalement de sa production issue du lignite. Contresens absolu ! Cela conduit même certains jours (et plusieurs fois ces dernières semaines) à devoir ouvrir les vannes des barrages hydro-électriques au fil de l’eau en France (comme sur le Rhin) pour laisser passer l’eau à cause de prix négatifs sur les marchés.
La commission d’enquête a mis en exergue le jeu trouble allemand dans la descente aux enfers du modèle français. Nous avions une électricité compétitive fondée sur le nucléaire et l’hydroélectricité. Avec le renoncement au nucléaire, à la suite de Fukushima, l’Allemagne n’a eu de cesse de plomber le marché de l’électricité français afin d’éviter une fuite des industries vers la France, tout en faisant payer au prix fort ses ménages pour faire bénéficier son industrie de prix des plus avantageux.
Alors qu’Emmanuel Macron veut relancer l’industrie en France, le prix de l’énergie est un sérieux obstacle dans la course contre la montre engagée. Le montant de la facture d’électricité a augmenté de 45 %. Les experts continuent à s’étonner de la prime de risque supportée par la France déconnectée de la réalité du marché français. Cette prime de risque est liée à une vision très pessimiste des marchés sur la France et des inquiétudes sur sa sécurité d’approvisionnement. RTE indiquait, le 28 juin, que le marché européen crée un décalage indu entre le prix de l’électricité et les coûts de production au détriment de notre industrie et des consommateurs français, ce que confirme le rapporteur de la Commission d’enquête et député Renaissance, Antoine Armand.
Or il ne pourra y avoir de relance de l’industrie en France si nous n’arrivons pas à offrir des prix compétitifs sur l’énergie, ce qui induit de sécuriser nos moyens de production d’électricité. Empêtrée dans les règles communautaires et souhaitant toujours rester bon élève du jeu communautaire, la France n’a pas osé suivre l’Espagne et le Portugal dans la parenthèse qu’ils ont obtenue de l’application des règles communautaires sur la libéralisation du marché de l’électricité. Pire ! Dans les discussions en cours sur la réforme du marché de l’énergie, l’Allemagne continue à refuser à la France les moyens de son ambition, en combattant la possibilité d’outils permettant à la France d’aider son industrie par l’intermédiaire de son socle de production nucléaire et hydroélectrique. Par ailleurs, les Allemands usent de tous les stratagèmes pour contrer le nucléaire en Europe (et en France) ainsi que le développement de l’hydro-électricité, avec le soutien de Fondations et d’ONG ayant pignon sur rue en Allemagne, et même, pour l’une de celles-ci, hébergée dans les locaux de notre ministère de l’Écologie… Ce qui permet aux États-Unis de tirer profit de cette cacophonie en accueillant actuellement de nombreux projets industriels et d’innovation.
Reste également à sauver le bon soldat EDF qui a fait les frais de politiques erratiques dans le domaine de l’énergie. Avec notamment le poison de l’ARENH qui permet à ses concurrents de se fournir à bas coûts auprès d’EDF (42 €) quand le marché de l’électricité est plus haut et de se fournir sans souci sur le marché quand le marché est plus bas, sans avoir à investir dans des moyens de production et sans que ce tarif de 42 € permette de couvrir les coûts fixes inhérents aux parcs de production construits et exploités par EDF. Si EDF doit retrouver une pleine maîtrise de son outil industriel, il est important qu’elle arrête de subir des politiques idéologiques et les attaques de concurrents permises par la Commission Européenne.
Alors qu’est annoncée la destruction de plus de 120 000 emplois en France si les prix continuent à rester à ce niveau, il est urgent de retrouver le temps long de la saine politique, d’éviter l’intrusion de lobbies dans les administrations d’État, de renouer avec un État stratège sur les perspectives énergétiques à même de déterminer le mix énergétique pertinent tenant compte de la géographie de la France, de ses ressources, de ses paysages, et de ses autres enjeux (géopolitiques, notamment). Il est grand temps de prendre à nouveau conscience que l’énergie est un sujet trans-partisan (voire a-partisan), qu’il est important de maîtriser notre industrie et d’assurer la sécurité économique, toutes choses qui font une puissance économique dans la durée. D’autant que les scénarios actuels montrent une part d’électricité encore plus importante dans notre mix énergétique d’ici à 2050. Le socle historique nucléaire-hydroélectricité reste d’autant plus d’actualité. Pour autant qu’on s’en donne les moyens politiques, industriels, économiques.
Tout le monde connait la fable de La Fontaine, La Cigale et la Fourmi. Danserons-nous l’hiver prochain ? Et les hivers suivants ? Cela sera peut-être le moyen le plus sûr pour nous réchauffer si la saison froide s’avère particulièrement rigoureuse !
Au moment où la sobriété énergétique est sur toutes les lèvres, les mots de La Fontaine n’ont rien perdu de leur pertinence. Cet hiver, la population a été invitée à économiser l’énergie, à être plus fourmi que cigale. Les chiffres le montrent : cette incitation aura certes permis de faire diminuer légèrement la consommation d’énergie, mais dans des proportions finalement relativement faibles. Seules les températures plutôt douces nous auront permis de ne pas… déchanter. Au cours des mois à venir, les demandes pressantes pour plus de sobriété continueront. C’est le nouveau mantra politique.
Passer l’hiver prochain, sur le plan énergétique – voire même les hivers prochains – ne sera pas un long fleuve tranquille. Si nous ne parvenons pas, individuellement et collectivement, à revoir nos comportements, à considérer l’énergie comme un bien rare et donc précieux, nous pourrions bien vivre des périodes difficiles. Si nous jouons trop les cigales, nous devrons peut-être apprendre à gérer la pénurie. Y sommes-nous prêts ? Rien n’est moins sûr. Faute d’avoir investi en temps voulu dans des moyens de production sensés et adaptés à la France.
L’indépendance énergétique a un prix, et dépendre de « fourmis » peu prêteuses peut se révéler risqué. En cas de crise aiguë, chaque pays sera tenté de faire valoir en premier ses propres intérêts et n’hésitera pas à faire « danser » ses voisins. Nous serons alors les cigales de la souveraineté énergétique européenne…
Illustration : Les éoliennes ou la difficulté d’adapter la météo à la demande d’électricité. Credit:PATRICK SICCOLI/SIPA/2307081122