Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Corse. La France, la Corse, il est possible de parler : l’histoire est là.
Lors de son voyage en Corse, les 6 et 7 février, Emmanuel Macron a choisi un discours de fermeté face à des élus nationalistes dont toutes les revendications ont sèchement fait l’objet d’une fin de non-recevoir. Il n’y aura ni « co-officialité » de la langue corse, ni statut de résident, ni autonomie fiscale et encore moins législative ; la Corse est « au cœur de la République » et si une place peut lui être accordée dans la constitution, ce n’est qu’au titre d’une collectivité territoriale métropolitaine au sein d’une République qui, bien que « décentralisée », reste avant tout unitaire. Comme hier pour la Catalogne ou naguère à l’égard de l’Écosse, on voit ici ceux qui s’attachent à « déconstruire » les vieux États pour les intégrer à une Europe fédérale, prendre subitement la défense de l’intégrité de ces mêmes États face aux velléités séparatistes, voire simplement autonomistes, de peuples à la forte identité.
Un tel retournement de la part des chantres d’une mondialisation qui paraissait devoir renvoyer les constructions étatiques séculaires dans le « monde d’avant », voué à une disparition inéluctable, peut séduire ceux qui ne se sont jamais reconnus dans ce projet des « élites » mondialisées. Mais cette séduction serait trompeuse. Loin de défendre la réalité historique de l’État, ce discours centralisateur s’intègre en fait dans une opposition binaire entre « ouverture » et « fermeture » au sein de laquelle l’État peut être présenté tour à tour comme un signe de « repli identitaire » ou comme l’instrument efficace d’une ouverture aux échanges économiques mondialisés. L’État qu’a défendu en Corse Emmanuel Macron est un État désincarné, détaché de la nation, mis au service d’un projet global de nature essentiellement économique. Mais ce projet, clairement exposé par le président de la République, se voit opposer, de manière de plus en plus claire aussi, un refus déterminé de la part non seulement des élus mais de la société corse tout entière ; un refus qui est de nature politique. Ce pourrait être la double leçon à tirer de ce voyage présidentiel ; une leçon qui dépasse largement la seule question régionale corse.
Ce qui frappe d’emblée dans les discours prononcés par Emmanuel Macron en Corse, c’est son ignorance des réalités. La Corse n’est pour lui qu’un « territoire », « une île-montagne faiblement peuplée où il n’est pas aisé de circuler » et dont la particularité tient essentiellement à la position géographique qu’elle occupe et qui semble à peu près son seul atout : celui d’être un « poste avancé de la Méditerranée » ou un « poste avancé de la France en Méditerranée », à moins que ce ne soit les deux « en même temps »… Tout cela semble très flou et au fond de peu d’importance ; dès lors que l’essentiel est « l’ouverture », le sens de celle-ci importe peu.
S’il sait donc situer la Corse mieux que la Guyane, Emmanuel Macron ne la connaît visiblement pas. En dehors de quelques lieux communs, il n’a pas eu un mot sur sa culture, son histoire, ses traditions, l’âme et la foi de son peuple. Sa vision de l’histoire de la Corse se limite aux deux empires napoléoniens, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne se sont guère préoccupés de la Corse, et à la participation des insulaires à la grandeur de la France à travers son empire colonial. On apprend certes sans déplaisir que la colonisation qualifiée à Alger de crime contre l’humanité se métamorphose à Bastia en un élément de la grandeur de la France, mais cela reste anecdotique. Quant à la langue corse, il dit lui-même ne la « regarder » (!) qu’à travers les chiffres… Il aurait mieux fait de chercher à l’entendre !
Mais s’il n’a rien vu de la Corse, Emmanuel Macron n’a rien dit non plus de la France. Comme la Corse, la France n’est pour lui qu’un espace – elle peut être à ce titre continentale ou méditerranéenne –, l’objet de plans – comme le plan « France Très Haut Débit » dont il veut faire bénéficier la Corse – ou, le plus souvent, la métaphore d’une action politique sur la scène internationale. Ce n’est pas de la France qu’il a parlé aux Corses, mais uniquement de la République, une République vengeresse qui poursuit sans relâche ceux qui, en se dressant contre elle, « ont perdu, dans cette entreprise, leur honneur et même leur âme » et dont la cause ne peut pas se plaider ; on n’a pas pitié des damnés. Cette « mystique » républicaine, qui frise toujours le ridicule, ne méritait sans doute pas le déplacement, mais elle n’était que le préambule du message qu’Emmanuel Macron entendait délivrer.
Qu’est-il donc venu apporter à la Corse ? Outre quelques propos dont la dureté était sans doute destinée à satisfaire d’autres auditoires, il est venu non pas même avec des promesses, mais avec une tentation. Il a fait miroiter aux yeux des Corses tout ce qu’il était en son pouvoir de leur donner, toutes ces choses indispensables pour « améliorer leur quotidien », des connections haut débit, des maisons de retraite, des « filières d’avenir » et des fonds européens pour financer l’ensemble. Pour obtenir tous ces trésors sans lesquels on se demande bien comment il est possible de vivre, une seule condition est requise : « l’ouverture ». Là se trouve le cœur du discours, la clef qui permettra de « régler les problèmes du quotidien » auxquels se borne nécessairement la vue – et la vie – des gens qui « ne sont rien ». Le sermon est appuyé et c’est une certitude de foi qui répond à l’interrogation rhétorique : « Est-ce que l’identité corse n’est pas méditerranéenne ? Est-ce que cette identité méditerranéenne n’est pas faite consubstantiellement d’ouverture, d’échanges, de métissage permanent ? Je crois que oui ». La conclusion pratique de cet article de foi s’impose dès lors avec la force de l’évidence : c’est cette « ouverture » « qu’il nous faut savoir collectivement organiser » et la République y est prête puisque son chef a reçu à cette fin l’onction sacrée de « toute la nation française » qui, ayant eu le choix « entre l’ouverture et la fermeture », a choisi l’ouverture.
Cette tentation qu’est venu porter sur l’île Emmanuel Macron se voulait une réponse habile aux revendications proprement politiques des élus corses, mais elle n’a suscité que leur silence remarqué à la fin du discours présidentiel. Un peuple qui a choisi pour fête nationale l’Immaculée Conception et qui ouvre les séances de son Assemblée au chant du Dio vi salvi Regina est immunisé contre ce genre de tentation. Le silence opposé à la proposition d’abandonner son âme contre un plat de lentilles a un sens politique autant que symbolique. Il manifeste avec une fermeté qui n’exclut pas une forme de déception le souci politique des élus corses que ne saurait satisfaire le discours qu’ils venaient d’entendre.
Il est à craindre que, ce souci n’étant pas assumé par ceux qui sont en charge de l’État, les Corses en viennent à en tirer des conséquences politiques qui les conduiraient à s’éloigner d’une France qui aurait renoncé à sa mission. Si tel devait être le cas, la visite d’Emmanuel Macron en Corse ne serait pas seulement, comme l’a dit Gilles Simeoni, « une occasion manquée » mais, pire, peut-être une occasion perdue.