Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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La dissolution est un acte de gouvernement ancien, légitime et balisé. Mais elle n’avait jamais pour but de créer le chaos… Quelle qu’en soit l’issue, cette dernière péripétie vient signer l’incapacité de Macron à penser le bien commun.
La dissolution du 9 juin 2024 a été une véritable surprise parce que le cas de figure ne s’était jamais retrouvé dans les annales de la Ve République, voire de l’histoire constitutionnelle française : un président désavoué à la suite d’une consultation électorale qui décide aussitôt, le jour même, de dissoudre l’Assemblée nationale. Une démarche bien singulière qui mérite à la fois une analyse et même un retour sur le passé. Si la dissolution est par essence un acte du souverain, du chef, elle a pris avec Macron une tournure particulière qui rend son exercice encore plus incertain.
La dissolution n’a pas vraiment d’ancrage dans le passé. Quand la France se concevait en société d’ordres, morcelée selon les différents pays du Royaume de France, on savait juste que le monarque pouvait convoquer les États généraux, tenir un lit de justice ou renvoyer tel ministre n’ayant plus ses faveurs. Analogiquement, il est difficile de trouver un précédent dans l’Ancien régime. La dissolution au sens moderne apparaît quand le monarque aux pouvoirs affirmés mais encadrés décide de recourir au corps électoral – alors restreint par le jeu du suffrage censitaire – pour arbitrer le conflit entre la chambre basse et le cabinet, qui reste en fait l’émanation du souverain. On aura deviné la dissolution propre à ce qui sera qualifié de régime parlementaire, même si la Charte de 1814 fit plutôt figure de monarchie limitée. Assez curieusement, la dissolution était bien prévue dans le texte : elle n’est pas une invention coutumière à la différence, par exemple, de la responsabilité politique des ministres. Mais en revanche, ce qui est bien nouveau, c’est la perspective d’une utilisation pour résoudre un conflit, et pas seulement pour limiter les pouvoirs de la chambre basse qui devait être déférente envers le souverain. La dissolution sera utilisée par Charles X, puis par Louis-Philippe, sans nécessairement avoir une fin heureuse. En juillet 1830, Charles X mit le feu aux poudres en dissolvant par l’une des quatre ordonnances du 25 juillet 1830 la chambre fraîchement élue les 5, 13 et 19 juillet 1830. Le roi ne fit que susciter une crise de régime qui lui fut fatale : il n’y eut plus de Bourbon direct sur le trône de de France… Sauf en 1846, Louis-Philippe n’obtint pas non plus satisfaction au cours de ses cinq dissolutions successives, car les ministères sortirent affaiblis des nouvelles élections. Mais encore faut-il expliquer cette situation par la faiblesse du système partisan qui perdura tout au long du 19e siècle. En 1877, un autre chef d’État se heurta à une solution fructueuse : voulant contenir la poussée républicaine de 1876, Mac-Mahon se retrouva avec une majorité toujours républicaine qui écarta encore plus la possibilité d’une restauration monarchique. Parce qu’elle manifestait une défiance envers la chambre élue par la Nation, la dissolution tomba en désuétude toute au long de la IIIe République et ne fut réintroduite que moyennant des conditions strictes sous la IVe République, laquelle exigea certaines conditions comme l’existence de deux crises politiques successives ; seule une dissolution fut essayée en 1955. Il fallut attendre la Constitution de 1958 pour que la dissolution fût restaurée comme moyen de résoudre un éventuel conflit entre l’exécutif et le législatif et surtout pratiquée.
Le Constituant de 1958 va procéder à une rédaction plus fine de ce qui deviendra l’actuel article 12 de la Constitution actuelle. La dissolution n’exige pas de motif particulier, et sur ce point, c’est une erreur de vouloir classer les dissolutions et d’en faire des typologies. Elle reste un acte discrétionnaire, soumis certes à quelques conditions bien minimales : l’obligation d’organiser les élections entre 20 jours au moins et 40 jours au plus après la dissolution, la consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées dont il n’est pas précisé qu’elle doit être orale (avec Macron, c’est un bref coup de téléphone, comme Gérard Larcher, président du Sénat, en fit l’amère expérience !) et l’interdiction de procéder à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit la dissolution. Notons que la dernière n’en est pas vraiment une, car elle ne lie pas l’acte même de dissolution. On a beau repérer quelques catégories, comme le cas de figure classique de la dissolution-riposte exercée après l’adoption d’une motion de censure (la dissolution d’octobre 1962 exercée à la suite du renversement du gouvernement Pompidou) ou la dissolution visant à donner une marge plus forte au président nouvellement élu (en 1981 et en 1986, pour François Mitterrand élu ou réélu), les dissolutions de 1968 et de 1997 restent plus inclassables. En 1968, de Gaulle usa du droit de dissolution pour reprendre pied dans la crise de Mai 1968 : il ne s’agissait plus de répondre à une Assemblée nationale frondeuse (les députés étant plutôt des godillots…) mais de répondre à une crise qui déstabilisa toute une société et qui fit même douter le chef de l’État. Dans ce sens, il est possible d’y voir une question de confiance déguisée ou un référendum implicite auprès du peuple. En 1962 et en 1968, de Gaulle obtint un soutien sans réserve par une majorité plus large à l’Assemblée nationale. Mais on notera que dans tous les cas, la dissolution a visé à éviter une crise ou à y répondre. Celle de 1997 serait une dissolution pour convenance personnelle que Chirac pratiqua pour éviter une situation difficile en 1998 : la crainte que la nouvelle Assemblée nationale, qui devait être élue cette année, ne le désavoue dans un contexte que l’on supposerait délicat notamment en raison des contraintes budgétaires européennes. On pensait éviter une défaite à cause de décisions délicates à prendre. C’est pourtant ce qui arriva, car les élections de 1997 désavouèrent le chef de l’État en permettant le retour de la gauche au pouvoir et à la plus longue des cohabitations de la Ve République. Chirac s’en sortit plutôt, car son Premier ministre, Lionel Jospin, fut battu à la présidentielle de 2002. On comprend mieux la volonté d’instituer le quinquennat en 2000 et la concomitance des calendriers électoraux en 2002, l’élection du président de la République étant aussitôt suivie par le renouvellement de l’Assemblée nationale… Or, avec Emmanuel Macron, la situation est inédite. Voire incompréhensible avec une dissolution qui cesse d’être un moyen d’arbitrage pour devenir un instrument inédit de dynamitage de la légitimité institutionnelle et du crédit politique…
La dissolution n’a pas à être motivée, mais si on suit les usages, les dissolutions ont bien visé à résoudre ou à éviter des crises. Or, le dimanche 9 juin 2024, le président se permet d’en susciter une… Normalement, on ne redonne pas la parole au peuple quand celui-ci vient de s’exprimer assez clairement. Macron a été désavoué par les élections européennes, la liste qu’il soutenait étant arrivée loin derrière celle menée par Jordan Bardella. Aussitôt, dans la soirée du dimanche 9 juin, Macron en appelle au peuple, qui ne lui demandait rien, mais qui, rapidement, lui fait comprendre son mécontentement. Les routards les plus chevronnés – on peut notamment penser à Nicolas Sarkozy – savent qu’il ne faut pas mettre de l’huile sur le feu quand celui-ci est incandescent. On peut toujours estimer que Macron a voulu réagir face à une Assemblée nationale ingouvernable – notamment par l’absence de majorité absolue depuis juin 2022, les agitations en hémicycle des Insoumis et les motions de censure à répétition – et, assez probablement, au risque de l’adoption d’une motion de censure à l’automne 2024, la difficulté est que tous les ingrédients étaient explosifs. Si la date de convocation des électeurs ne se discute pas (l’élection, prévue les 30 juin et 7 juillet 2024, reste dans les délais constitutionnels), la difficulté est que non seulement le chaudron bout, mais le calendrier politique et national est compliqué, fort mal ajusté avec des Jeux Olympiques qui doivent se tenir à la fin du mois de juillet 2024. Juste avant une période d’apaisement supposé, Macron suscite une crise politique qui risque d’entraîner une crise de régime. On ne saurait aussi mal choisir le moment, quand l’opinion est déjà à cran. La loi des séries a même continué avec une explosion du jeu politique : face au risque de razzia du Rassemblement national, Éric Ciotti a fait éclater son parti en proposant une alliance avec le parti honni et Zemmour a affaibli Reconquête ! avec le départ de la plupart des députés européens fraîchement élus sous l’étiquette de ce parti. Bref, la dissolution de 2024 a été un jeu de quilles qui a fini par échapper à (presque) tout le monde. Y compris Macron.