Chronique musicale Par Damien Top. D’un empire à l’autre, le parisien Louis-François Dauprat (1781-1868) se distingua par son talent artistique et contribua à la fondation de l’école française de cor.
Le label MDG réédite le premier enregistrement du Grand Sextuor en ut majeur de Dauprat, monument du répertoire pour cuivres, interprété avec un style impeccable et avec beaucoup d’enthousiasme par les Detmolder Hornisten. On regrette que l’éditeur n’ait pas complété ces 40 minutes par une autre œuvre emblématique et n’ait pas fourni un texte de présentation plus documenté sur ce singulier compositeur.
Des Knaben Wunderhorn
De condition ouvrière, l’enfant doté d’une fort belle voix entra à la Maîtrise de Notre-Dame de Paris en avril 1793. C’est là que lui vint « le goût, ou plutôt la fureur du cor […] à l’occasion d’un Te Deum […]. Mon petit tabouret se trouvait placé en face du pavillon d’un cor, et le son de cet instrument me ravit tellement que je ne songeais à autre chose, et qu’ayant attrapé une embouchure de serpent, je l’avais arrangé sur un cornet de gros papier et, gonflant les joues, je soufflais du matin au soir comme l’ange du jugement dernier, croyant faire merveille. » Mais le 23 novembre, la Commune ordonna la fermeture de toutes les églises de la capitale. Le garçon rejoignit l’Institut National de Musique qui venait tout juste d’être fondé. La finalité de cette première école de musique d’État était de former des exécutants militaires et patriotiques afin d’alimenter les orchestres de la Garde nationale et de participer aux fêtes publiques. En 1794, Louis-François intégra le Corps de musique de l’éphémère « École de Mars » qui rassemblait 3 500 adolescents dans la plaine des Sablons, puis participa au Camp de 20 000 hommes du Trou d’enfer près de Marly.
Dauprat étudia au Conservatoire de Paris avec l’allemand Johann Joseph Kenn dont il fut le meilleur élève et obtint en 1797 l’un des tout premiers « Premier Prix » décerné par l’établissement. Timide à l’excès, il n’embrassa pas la carrière de virtuose mais opta pour une existence de pédagogue et de compositeur. Il entra dans la musique de la Garde nationale, puis en 1799 (à presque 19 ans), « pour éviter les effets de la conscription », dans le premier Régiment de Grenadiers à pied de la Garde des Consuls et fit la campagne d’Italie en 1800. À son retour, il renoua avec les prestations. Le 10 avril 1801, pour célébrer la paix de Lunéville, il joua un concerto de cor lors d’un concert organisé par le Grand Orient de France (ayant probablement été initié assez jeune). « Un beau son, une manière élégante et pure de phraser, telles étaient les qualités qui brillaient dans le talent de M. Dauprat, quand il se fit entendre dans sa jeunesse, aux concerts de la rue de Grenelle et à ceux de l’Odéon. »
Corniste impérial
Il étudia l’harmonie avec Catel et la composition avec Gossec entre 1803 et 1805. De 1806 à 1808, nous le retrouvons au Théâtre de Bordeaux. Il écrivit Nous allons le voir, opéra de circonstance donné le 4 avril 1808 pour la venue de Napoléon. Deux jours plus tard, en compagnie de Berthier et Duroc, l’Empereur assista au Grand Théâtre à la représentation d’Euphrosine de Méhul et du ballet Le siège de Cythère de Dauprat. Celui-ci est alors appelé à l’Opéra de Paris où il conservera le poste de cor solo pendant 23 ans. Il participa à diverses commémorations à Notre-Dame : les 4 (anniversaire du sacre de Napoléon) et 25 décembre 1808 (victoires d’Espinosa, Burgos, Tudela, Somo-Sierra et prise de Madrid), 28 mai (prise de Vienne), 23 juillet (victoires d’Enzersdorf et de Wagram), 1er décembre 1811 (anniversaire de la bataille d’Austerlitz), 15 août (saint Napoléon) et 4 octobre 1812 (victoire de la Moskowa). Dauprat fut membre de la Chapelle impériale, puis de la Chapelle royale de 1817 à 1830 et enfin soliste permanent de la musique de la Chambre de Louis-Philippe de 1833 à 1842.
En 1828, il figure parmi les fondateurs de la Société des Concerts du Conservatoire. Il jouait un cor Raoux au tonnerre (début du pavillon) assez large, produisant un son velouté et ample qui fit merveille dans les symphonies de Ludwig van Beethoven que François-Antoine Habeneck se donnait pour mission de révéler au public parisien !
Compositeur perfectionniste
Jugeant sa formation insuffisante, il avait repris des études entre 1811 et 1814 avec Antonin Reicha, qui enseigna aussi à Berlioz, Gounod et Franck. « J’ai travaillé pendant trois années avec lui, et j’ai pu dire alors que je savais quelque chose », admit-il en 1836. Attiré par la musique de chambre, il aida à la diffusion des quintettes à vent de son maître. Lui-même produisit de nombreuses partitions, tout particulièrement à l’intention de ses élèves. Ses trios, quatuors et sextuors explorent minutieusement les possibilités offertes par l’emploi de cors en plusieurs tons différents. Ils séduisent par la richesse des idées musicales et l’habileté des combinaisons repoussant les limites expressives. Il prit part à la première audition de son Grand Sextuor en 1817 à la Société Académique des Enfants d’Apollon. Profitant de sa retraite à partir de 1842, Dauprat résida temporairement en Turquie et en Égypte, chez sa fille. Le 16 juillet 1868, il s’éteignit en sa demeure, rue du Four Saint-Germain, à l’âge de 87 ans.
Pédagogue d’envergure
C’est surtout par son intense activité de pédagogue que Dauprat se bâtit une réputation. Titularisé professeur au Conservatoire en 1816, il resta en poste jusqu’en 1842. Son approche logique et raisonnée modernisa radicalement l’enseignement du cor : « N’ayant de méthode que celle du genre mixte de Fr. Duvernoy et celle de Domnich, ouvrage de paresseux, puisqu’elle est copiée à peu près servilement de la Méthode de Chant du Conservatoire, j’ai mis ma petite gloriole à faire une école complète pour cet instrument […]. Ma Méthode n’a été publiée qu’en 1824. Elle m’a coûté 3 années de travaux. Je voulais qu’elle fût le fruit de l’expérience. » L’ouvrage fit longtemps référence. « J’y ai répandu autant de mélodie que cela m’a été possible, me souvenant de ce précepte de Fénelon, Heureux ceux que l’on amuse en les instruisant. »
S’il ne pratiqua et n’enseigna que le cor naturel, il s’est intéressé aux développements du cor d’harmonie moderne et à la lente adoption du système à pistons. Déjà employé par Giacomo Meyerbeer, l’instrument séduisit Hector Berlioz qui inclut dans son opéra Les Troyens des pages sophistiquées utilisant une combinaison de cors simples et de cors chromatiques en tons différents. Son propre Traité d’Instrumentation et d’Orchestration (1842) montre à quel point il avait médité et assimilé la méthode du pionnier Dauprat !
Louis François Dauprat, Grand Sextuor, Die Detmolder Hornisten, MDG, 2024