L’idée directrice des lignes qui vont suivre, je l’ai piquée au mémorable poète Sylvoisal, alias Gérard Joulié quand il est l’excellent traducteur de livres anglais, excellent traducteur parce qu’il sait le français, ce qui n’est pas le cas de tous les traducteurs qui font fleurir le charabia. Qu’on ne traite pas mon vol de vilain, Joulié s’est laissé faire et m’a même donné son amicale et patriarcale bénédiction.
Le superpréfet, que certains s’obstinent encore à appeler le président de la République, a déclaré bravement que l’épisode d’épidémie était une guerre. Au mieux c’était une comparaison et, pour beaucoup de raisons, cette comparaison n’est pas exacte. Il en est une qu’on n’a pas remarquée et qui montre même que cette épidémie est, d’une certaine manière, tout le contraire d’une guerre, en est l’inverse, tout au moins si on parle d’une guerre classique, comme le fut la Première Guerre mondiale, « moi, mon colon, celle que je préfère, c’est la guerre de 14-18 ».
En 14-18, ceux qui mouraient, c’étaient les jeunes. Maintenant, ce sont les vieux. En 14-18, les morts et même les blessés étaient, avec un peu de chance, décorés. Il y avait des drapeaux, des sonneries, des noms gravés dans de la pierre dans chaque village, d’affreux monuments à leur gloire. Maintenant, les vieux n’ont pas eu le droit, quand on les a laissés crever, à une cérémonie, ou alors à une très petite cérémonie en très petit comité, vite fait, à la va-vite, et vas-y comme je te pousse dans « ton joli cercueil » (décidément, Brassens m’inspire). Aucun sculpteur ne gravera leurs noms ni ne leur élèvera un monument (oh, peut-être, un petit mémorial, discret, vite oublié au fond d’un jardin). Il n’y aura pas, dans une place prestigieuse, la tombe du covidé inconnu. Il faut dire aussi qu’ils n’étaient pas spécialement héroïques, ce n’étaient pas des poilus, beaucoup même étaient chauves.