Un entretien avec Laurence Trochu, députée européenne. Propos recueillis par courriel par Richard de Seze
Comment l’Union européenne envisage-t-elle la condition de la femme en Europe ? Et dans le monde ?
La condition de la femme est vue sous le prisme socialisant de l’égalité, qui souvent se confond à gauche avec l’indifférenciation. Avant même de traiter de sujets précis, on tombe donc dans une contradiction : la femme est l’égale de l’homme, mais elle doit être considérée différemment. Cela ne peut fonctionner. Considérée comme une minorité parmi d’autres, la femme possède donc le statut de victime, envié dans les institutions. Le problème, c’est qu’elle serait victime de sa propre nature, qui est celle de la potentialité de la maternité, considérée au sein de l’Union européenne, ou du moins dans les organes censés défendre les femmes, comme un frein à la nouvelle vocation de la femme. Quelle est-elle ? Devenir, comme tous, un individu déstructuré, producteur si possible, consommateur avant tout, détaché de tout élément structurant, qu’il soit national, familial ou même biologique. La femme est donc victime de sa non-représentation dans les institutions, des violences intrafamiliales (et uniquement celles-ci) qui sont le résultat d’un patriarcat culturel occidental et donc suspect, et de son assignation à un rôle de mère qui la prive de sa pleine expression individuelle sur la place publique. Et cette vision de la femme étant morale, belle et bonne pour ceux qui la défendent, elle doit s’exporter dans le monde telle une Bonne Nouvelle qui ne souffre guère de contestation ou d’interprétation.
Il y a bien une « feuille de route pour les droits des femmes » mais qui paraît totalement utopique.
J’évoquais la Bonne Nouvelle, vous me citez le catéchisme. Ces sujets sont effectivement abordés avec un angle quasi religieux. Les huit principes de cette feuille de route sont d’ailleurs assez peu discutables : absence de violence fondée sur le genre, meilleur état de santé possible pour les femmes, égalité de salaire, droit à l’équilibre entre vie familiale et vie privée, égalité des chances, accès à l’éducation, participation à la vie politique, tout cela est difficilement contestable sur le papier. Mais on en vient assez rapidement à des considérations bien éloignées des préoccupations quotidiennes des femmes. Par exemple, cet objectif de la feuille de route : « promouvoir l’équilibre hommes-femmes en ce qui concerne la participation et le leadership en matière de prévention, de gestion et de résolution des conflits et des crises, de préparation, de sécurité et de consolidation de la paix ». Quelles sont les conséquences réelles pour les femmes de son éventuel accomplissement, par ailleurs totalement utopiste ? Elles sont nulles, totalement nulles. Mais l’Union européenne va consacrer des ressources à évaluer la progression de l’Humanité vers ce néant, pioché dans le dogme de l’intégration universelle dans le temps, l’espace et les dossiers, de la « dimension de genre », comme on lit partout dans les rapports du Parlement.
En fait, il y a dans l’Union européenne un « socialisme mental », pour reprendre vos mots, qui prône une vision utopique de l’égalité entre hommes et femmes… mais refuse de reconnaître la maternité comme une spécificité irréductible à l’idéologie.
Au sein de la commission Droit des femmes et égalité des genres dans laquelle je suis coordinatrice pour le groupe ECR, cela va même plus loin : la maternité est perçue comme un frein à l’émancipation de la femme. S’il faut plus de femmes dans les instances politiques, dans les comités directeurs des grandes entreprises (cela peut faire sourire, mais l’instauration de quotas dans les conseils d’administration a été très sérieusement envisagée par l’UE et reste un objectif vers lequel tendre) ou sur les plateaux de télévision, il en faut moins dans les maternités. La possibilité de devenir mère étant pourtant selon moi ce qui définit la femme le plus précisément, la supprimer rend le combat pour l’égalité caduque. Et encore, la majorité des pays européens continuent d’admettre qu’il n’existe que deux sexes. Ce n’est néanmoins pas le cas de la Commissaire en charge de ces questions ni même de Von der Leyen, qui a rappelé publiquement que l’Union européenne doit être un espace où l’on peut « être qui l’on est et aimer qui l’on veut ».
Concernant la GPA, quelle est la position de l’UE ? Vous parlez très justement de violence à l’égard des femmes et des filles, à travers l’exploitation de leur maternité.
De la part de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la Commission, des représentants du Conseil ou de la majorité du Parlement, il y a sur la GPA un silence gêné et coupable. Je l’ai constaté quand j’ai réussi à imposer un débat sur le sujet lors de la plénière du mois d’octobre dernier. Le titre était : violences faites aux femmes dans le cadre de l’exploitation de la maternité, le terme de gestation pour autrui n’ayant pas été accepté par les groupes politiques centristes. Dans les déclarations du Conseil et de la Commission, ils n’ont pas mentionné la GPA, mais uniquement les violences conjugales. C’est une volonté affichée de refuser le sujet, en se cachant derrière le fait que cela relève uniquement de la compétence des états membres. Je me bats quant à moi pour l’abolition universelle de la GPA, comme l’a demandé l’ONU, comme l’a fait l’Italie en la considérant comme un crime universel, comme l’a fait la Slovaquie en inscrivant son interdiction dans la constitution. L’Europe doit avoir le courage de se prononcer.
Un autre biais idéologique, c’est cet autre refus de reconnaître la part importante des violences faites aux femmes par les immigrés. Vous disiez le 10 septembre 2025 : « Après les viols de Cologne, après les « grooming gangs » du Royaume-Uni, après les attentats de Paris, il se trouve encore des irresponsables politiques, dans cette assemblée notamment, pour fermer les yeux et accuser de racisme ceux qui sonnent le tocsin. »
On touche aux contradictions ultimes de la gauche. Quand les droits de deux minorités s’opposent, la machine ne tourne plus rond, le logiciel idéologique est grippé. Seule solution : invisibiliser le problème, prétendre qu’il n’existe pas. Ma collègue macroniste Fabienne Keller l’a dit droit dans ses bottes dans l’hémicycle européen : il n’y a pas de lien entre l’immigration et les violences faites aux femmes. Circulez, il n’y a rien à voir. Les Lola, Philippine et les autres apprécieront. En commission Droit des femmes toujours, alors qu’un membre de la Guardia Civil espagnole qui intervenait comme expert expliquait la surreprésentation des étrangers dans les violences faites aux femmes, j’ai eu droit aux honneurs de la gauche, m’accusant de profiter de la faiblesse des femmes pour promouvoir un agenda raciste, quand je relevais l’intérêt de cette information pour la protection des femmes. Le biais idéologique se fait donc au détriment des droits des femmes, dont celui de la sécurité, dans une enceinte consacrée à leur défense. Ça serait drôle si ça n’était pas triste.
Fermer les frontières pour ne pas importer sur le sol européen ceux qui voilent les femmes et les considèrent comme des inférieures, ne pas autoriser que leurs corps soit une marchandise, restaurer une véritable politique familiale, autant de combats que vous avez menés en 2025. Quel bilan tirez-vous de votre action ?
Je crois que mon action sur le sujet des femmes doit se lire à travers un seul prisme : redonner aux femmes européennes leur identité. Biologique, ce qui n’est pas une mince affaire, mais aussi culturelle. C’est notre civilisation qui la première a donné sa place aux femmes, depuis la glorification de la Vierge dans notre héritage chrétien jusqu’à la chevalerie qui défend la veuve et l’orphelin, en passant par l’amour courtois qui fait chanter aux hommes les merveilles de la féminité. Mon bilan, c’est déjà celui de faire entendre une voix qui était presque éteinte, notamment au sein de la commission des Droits des femmes, délaissée par notre camp depuis trop longtemps. C’est un point important. Plus concrètement, nous arrivons à ce que des sujets émergent, comme celui de la GPA, et à construire des majorités de blocage contre certains délires intersectionnels de la gauche. Sur ce sujet comme sur tous les autres, la coalition des droites est le seul chemin d’efficacité politique.
Et quels sont les combats à venir ?
La condamnation universelle de la GPA reste un de mes objectifs majeurs pour ce mandat et m’occupe chaque semaine. Fort heureusement il n’y a pas que les femmes comme sujet au Parlement européen. La lutte contre la christianophobie est aussi au cœur de mes actions. Et ce qui va dans le bon sens sur les autres dossiers doit continuer : je pense notamment à mon rôle au sein de la commission Environnement, où depuis le début du mandat nous défaisons les folies du Pacte Vert. Avec la défense de notre identité et de notre civilisation européenne, ce sont les priorités de notre délégation, menée par Marion Maréchal.
Mère de 6 enfants, professeur de philosophie, Laurence Trochu est député Identité Liberté / ECR au parlement européen et ancienne Présidente du mouvement conservateur. À Bruxelles, elle est membre des commissions Femmes (FEM), Santé (SANT) et Environnement (ENVI).
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