Editoriaux
LOIN DE LA FRANCE
Écoutons deux Français, un agriculteur et un ancien ministre des Finances…
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Il aurait certainement fait un idéal bébé Cadum tant en lui tout semble depuis toujours rose et lisse.
On devine qu’il a été cet enfant sage des meilleurs établissements privés, sans jamais un épi dans les cheveux ou une tâche sur les vêtements. Ce fut ensuite l’adolescent appliqué, le normalien, premier du concours de l’agrégation de philosophie, l’énarque. Et très vite, ce seront pour lui les couloirs des palais de la République où ce conseiller apprécié gravit les échelons avant d’arriver, à la quarantaine, sous la double lumière de la députation et d’un maroquin.
Villepiniste, filloniste, macroniste, Bruno Le Maire aura toujours cherché à se forger par lui-même un destin national, sans jamais y parvenir. Est-ce l’effet des deux seuls handicaps qu’il se reconnaît publiquement, sa trop grande intelligence et ses yeux trop intensément bleus ? À cinquante-deux ans, il continue en tout cas sa route de bon élève impassible sans laisser derrière lui aucun sillage. Quand Édouard Philippe a imposé un style en quelques mois, il s’en est montré incapable en des années.
Pour y remédier, il livre de manière régulière ce qu’une presse soucieuse de ne pas tromper ses lecteurs nomme des publi-reportages. Même quand ils paraissent centrés sur d’autres, ses livres ne parlent en effet jamais que de lui : de ses talents, multiples, de la manière dont il aurait tout évité des échecs auxquels il est pourtant mêlé, si seulement on l’avait écouté…
Daudet évoquait les poésies du sous-préfet aux champs, nous avons les rêveries du ministre à Bercy. Le style n’en est pas spécialement mauvais, moins Chateaubriand cependant que Châteaubriant : son maintenant célèbre « Il se tut, me fixa de son regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques, comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible, sous le scintillement des reflets, de percer la surface », évoquant Emmanuel Macron, renvoie ainsi manifestement au « Ses yeux sont du bleu profond des eaux de son lac de Königsee, quand le lac tout autour de Sankt Bartholoma reflète les puissantes cassures striées de nuages de son Tyrol », par lequel l’auteur de La Brière décrivait un autre homme politique, célèbre en son temps.
Mais on tourne les pages sans surprise, sans jamais rien ressentir, et même lorsqu’il évoque, Dieu sait pourquoi, un supposé troublant instant d’intimité vénitien, la description de la caresse distraite ainsi accordée à l’enfant qu’il n’a pas cessé d’être nous endort. Bruno Le Maire, ici comme ailleurs, croit visiblement trop souvent que l’on soupire d’aise, quand on baille d’ennui.
Comme sa prose donc, tout en lui est lisse, sa peau, sa chevelure, son regard, ses mains que l’on devine trop douces et auxquelles on s’étonne de ne pas voir l’ongle démesurément long du lettré chinois. Même surpris par le photographe dans l’intimité de sa campagne il est encore lisse, improbable rustique habillé par Cyrillus. Publi-reportage encore dira-t-on, mais il est permis d’en douter : si on le réveillait à trois heures du matin, nul doute que les plis de son pyjama seraient impeccables, ses dents brillantes et sa mèche bien rangée.
De cette fade froideur vient sans doute que lorsque Bruno Le Maire tente de se donner les couleurs d’une vie de chair et de sang qu’il connaît si peu, lui si crédible quelques instants auparavant en récitant les chiffres et en comptant les citations, sonne subitement faux en jouant au démocrate indigné. Lisse, désespérément lisse, il aimerait être un silex dont jaillirait l’étincelle qui mettrait le feu à la politique ; il ne sera jamais que ce galet poli par les flots qu’un touriste pressé ramasse pour en faire un presse-papier décoratif.