Lors de sa venue aux Bernardins, le président Macron avait proposé aux évêques de France que, pour rétablir la confiance entre l’État et l’Église, les autorités catholiques puissent faire part de leur « questionnement » sur tous les sujets de société. C’est ce que les évêques français viennent de faire avec leur déclaration sur La dignité de la procréation (1). Mais le président les avait avertis : comme l’Église n’est jamais « tout à fait de son temps », si elle est libre de s’exprimer, lui reste libre de trancher dans un autre sens ! Quelle est donc la portée politique de la position prise par les évêques dans un tel contexte, puisque, par une sorte de respect de la forme convenue, l’exposé épiscopal repose essentiellement sur des arguments de droit, politiques et techniques, censés fournir des éléments dans un débat de société ?
Un texte exceptionnel
Ce texte a été présenté dans les médias comme exceptionnel en tous points, ce qui est en apparence lui donner un poids considérable : il résumerait le tout de la position de l’Église ! L’Église s’est exprimée, librement ; elle a dit tout ce qu’elle avait à dire. Pensez ! Ce texte a été signé individuellement par tous les évêques de France ; pas un ne manque. Et chacun a eu le temps, avant sa publication, de faire part de ses observations personnelles. De plus, il s’agit d’un document suffisamment étoffé pour que tous les arguments aient pu être développés. Pensez ! Il fait 112 pages. En réalité, si on enlève les pages consacrées à la préface de l’archevêque de Rennes, celles où sont reproduits les noms des évêques, celles qui en font un résumé et les pages de garde, il n’en reste plus que 65, et de petit format : 11 sur 17 cm. Comme la typographie est aérée – cinq mots par ligne en moyenne –, le texte n’est pas trop long.
Ce texte est aussi très argumenté et voulu comme tel. Les citations, en note, sont abondantes. Surtout les citations des décisions et avis du Conseil d’État et du Conseil Consultatif National d’Éthique, de la Convention internationale des droits de l’enfant, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Conseil Constitutionnel, au point que les références aux textes du magistère de l’Église ont été réduites ; pour ne pas alourdir le texte, probablement. Le texte des évêques est donc avant tout politique et non religieux ; il se veut une participation à un débat apaisé. Ce point préliminaire étant posé, sous cet aspect le texte est très solide. Les arguments sont développés avec clarté et avec une cohérence remarquable. Ce qu’il faut regretter, c’est qu’un tel texte aurait dû être présenté et signé par des juristes et des philosophes catholiques plutôt que par les évêques. Ce travail de réflexion préalable aurait permis alors à l’autorité religieuse de se situer, elle, à son niveau : elle a en charge de rappeler le plan de Dieu qui domine nécessairement le plan des hommes.
Avec de pareils principes, on va loin !
Un raisonnement à partir de mots mal définis
C’est ainsi que, répondant aux souhaits du président Macron aux Bernardins, la déclaration épiscopale manifeste d’abord, avec la note d’introduction de l’archevêque de Rennes, une volonté – très ferme – de ne pas heurter. Ils entrent en dialogue avec le monde. C’est pourquoi ils prennent soin d’expliquer ce qu’ils entendent par « dialogue ». C’est, dit Monseigneur d’Ornellas, « le lieu où les paroles se confrontent respectueusement pour que jaillisse une parole neuve ». Mais, pour que le dialogue puisse vraiment exister, encore faut-il que chacun des participants traite l’autre « sur un pied d’égalité, au sein d’un espace de liberté fondé sur le respect des personnes » et dans « l’amour de la vérité ». Personne ne peut douter un instant que les évêques de France sont bien dans cet état d’esprit. Reste à espérer (!) qu’ils ne soient pas les seuls. De plus, présenter « leur » position comme un élément de dialogue, semble la réduire à une simple opinion, d’où devrait sortir une opinion « nouvelle », dans le plus pur respect de la méthode dialectique.
Le texte des évêques est fondé sur la notion de « dignité ». Il commence par expliciter ce qu’il faut entendre par cette notion mais en s’appuyant sur la conception de la dignité du corps humain telle qu’elle est donnée par le Conseil d’État, précisant seulement que « cette conception s’incarne dans les principes de respect, d’inviolabilité et d’extra-patrimonialité du corps, qui visent à protéger l’individu indépendamment même de sa volonté ». Cette notion est juste, mais on aurait aimé que, sans se contenter de citer en note le discours du pape François à l’Académie pontificale pour la Vie le 25 juin 2018, les évêques rappellent aussi, à la suite du Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, qu’il n’est pas possible de séparer de la dignité de la personne humaine des « valeurs » fondamentales – acceptons ce mot ambigu – que sont la vérité, la liberté, la justice et l’amour, et qu’ils expliquent ce qu’il faut entendre par de telles notions. Parce que, si les pages consacrées à cette dignité sont bien argumentées, le fondement même de cette dignité qui est d’un ordre spirituel supérieur, mérite mieux qu’un discret rappel. Tout juste en début de la déclaration, l’évocation d’une révélation et une référence à une autre réalité que le seul débat politique !
Le regard de nos évêques sur la personne en société ne porte pas que sur la « dignité » ; il porte aussi sur la « fraternité ». Et pour prouver la justesse de leur regard, ils se réfèrent à la Déclaration universelle des droits de l’homme. On aurait aussi aimé qu’ils rappellent l’enseignement du pape Benoît et du pape François dans leur encyclique Lumen Fidei : « Dans la modernité, on a cherché à construire la fraternité universelle entre les hommes, en la fondant sur leur égalité. Peu à peu, cependant, nous avons compris que cette fraternité, privée de la référence à un Père commun comme son fondement ultime, ne réussit pas à subsister. Il faut donc revenir à la vraie racine de la fraternité ». Au lieu de cette affirmation limpide qui concilie foi et raison, le texte sinue comme s’il se proposait en quelque sorte de compléter la devise de la République : « Liberté, Égalité, Dignité, Hospitalité, Fraternité » !
Un discours inaudible
Restant dans un registre beaucoup trop politique et trop technique, le discours des évêques paraît inaudible dans la société d’aujourd’hui. Personne ne conteste, en effet, les graves dangers qu’il dénonce si la société s’oriente vers ce que François-Xavier Bellamy appelle avec beaucoup plus de justesse, la « procréation artificiellement suscitée ». Même le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) les admet, mais il considère que de telles conséquences ne sauraient l’amener à donner un avis négatif sur le sujet ! Alors à quoi sert-il ? Et que sert aux évêques de le prendre comme référence ? Comme lors du vote de la loi organisant le PACS qui devait rendre inutile le « mariage pour tous », selon l’exposé initial, pareillement il est de beaux esprits pour expliquer que la PMA n’a rien à voir avec la GPA. Les médias n’acceptent pas la liaison entre les deux que les évêques évoquent à la fin de leur texte et qui est déjà inscrite dans les intentions de tous les partisans de l’évolution sociétale. Il est d’ailleurs symptomatique que les journaux interrogent des personnes « choisies au hasard » pour leur demander ce qu’elles pensent de la PMA ou du texte des évêques. Dans Aujourd’hui en France, les personnes se disant catholiques expliquaient qu’elles n’étaient pas hostiles à la PMA pour les femmes seules et les couples de lesbiennes. Le seul qui était contre se trouvait comme par hasard être un homme se référant à l’Islam.
Lorsque l’on examine aujourd’hui les questions bioéthiques, la question n’est plus que de savoir comment la « loi » à laquelle on a donné le nom du physicien Gabor, s’applique : « Tout ce qui est techniquement possible, se fera tôt ou tard ». Autrement dit, la bioéthique a totalement évacué la vraie morale ! Quant aux fondements de cette nouvelle morale, ils ne résident plus que dans l’humeur changeante des peuples au gré de leurs désirs et de leur pouvoir d’achat. Chacun sait comment cette opinion est manipulée et par qui ! Ne reste donc plus qu’à présenter le débat comme l’opposition entre l’opinion fugace et personnelle des évêques et la loi scientifique découverte par un savant qui a obtenu le prix Nobel.
Le discours des évêques est d’autant plus inaudible que les représentants des catholiques de France au sein du CCNE ont trop cherché à ménager la chèvre et le chou. Ainsi, lors de son premier avis, il y a six mois, le CCNE avait dû reconnaître qu’onze de ses membres n’étaient pas d’accord ; ceux-ci avaient signé un « avis minoritaire ». Cette fois-ci, il n’y avait plus que deux signataires à l’avis minoritaire. Madame Quinio, l’ancienne directrice de La Croix, a expliqué qu’ayant déclaré au sein du Comité qu’elle n’avait pas changé d’avis, il n’était pas utile qu’elle signât à nouveau un « avis minoritaire ». Probablement voulait-elle rester cachée, comme le levain dans la pâte ! À force de rallier, de toujours rallier, de répondre aux exigences de l’éternel « ralliement », les meilleurs en viennent à perdre leur âme… et leur dignité !
Une erreur de stratégie
Trois réflexions en guise de conclusion. Tout d’abord : à qui s’adresse ce texte ? Au gouvernement ? Il lui fera suivre le même sort que celui que le CCNE a déjà réservé à la position clairement exprimée lors des États généraux de la bioéthique. Aux citoyens ? Mais les médias ne leur présenteront que ce qui ira dans leur sens ou qui fera vendre leur papier. Aux chrétiens ? Mais il manque la dimension fondamentale qui ancre ce texte sur la parole de Dieu et la foi de l’Église. Il semble bien, et c’est là le second point qui mérite d’être souligné, que les évêques se sont trompés de combat. Ils ont voulu entrer en dialogue avec des personnes et tout un monde qui ne cherchent qu’à détruire la civilisation chrétienne. Leur texte est solide, mais ce n’était pas à eux de prendre en charge cet aspect de la question. Ils se sont conduits comme ces généraux qui, au lieu de diriger leur corps d’armée, se battent comme de simples soldats. C’est donc le devoir des fidèles de reprendre à leur compte le texte de leurs évêques et à exiger d’eux qu’ils le complètent en insistant plus fortement sur la parole de Dieu qui fonde cette vérité. Dernière réflexion : il serait bon de relire l’avertissement donné par la Genèse ; c’est parce qu’ils avaient mangé du fruit de l’arbre de la connaissance que nos premiers parents ont été chassés du Paradis terrestre, afin de les protéger de peur qu’ils n’en viennent à toucher à l’arbre de la Vie.
(1) La dignité de la procréation, PMA – Révision de la loi bioéthique. Les Évêques de France. Bayard, Cerf, Mame, 110 p, 5 €.
À quand l’emplette d’enfants ?