Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Le meurtre de la petite Lola a suscité une puissante vague d’émotion, scandalisant toute une partie du pays, renforçant la défiance à l’égard de l’immigration… Six mois plus tard, un documentaire de France 5 revient sur cette affaire et sa médiatisation. Pour dénoncer une « manipulation ».
C’est une réaction pleine d’indignation : « Il faut vraiment être inhumain pour faire ça. » Une réaction recueillie après le meurtre de la petite Lola survenu en octobre 2022. N’allez pas croire toutefois que cela traduit l’effroi suscité par sa disparition. Non, dans le cas présent, ce n’est pas le crime qui est en cause, mais sa « récupération ». Une « récupération » à laquelle France 5 vient précisément de consacrer une émission diffusée dimanche dernier, 21 mai 2023, dans le cadre d’une série documentaire intitulée La Fabrique du mensonge.
Le présentateur donne le ton dans son introduction : il évoque « un crime atroce qui aurait pu, qui aurait dû rester un terrible fait divers, mais qui est devenu en quelques jours seulement un sujet de débat national, et qui a réveillé le fantasme d’une immigration incontrôlée et meurtrière ». Et d’alpaguer ainsi les téléspectateurs : « nous allons vous raconter […] ce qu’il y a derrière ce que vous avez vu en boucle sur les chaînes d’info » – à savoir : « un modèle parfait de manipulation ».
Écho fortuit à ces propos, un peu plus tard dans l’émission, critiquant « le terme de réinformation », un intervenant assure qu’« on n’est pas loin d’une vision assez complotiste de la société, avec cette idée que la vérité nous serait cachée et qu’il faudrait la révéler ». Une idée visiblement très partagée.
Complotisme oblige, reste à savoir qui tire les ficelles. En résumé, « une armée numérique d’extrême droite a réussi à s’emparer de ce meurtre pour imposer son idéologie et des théories conspirationnistes dans le débat public ». En guise d’illustration, une image donne à voir régulièrement un sous-sol mystérieux, rempli d’ordinateurs répliqués à l’infini, où s’affairent des silhouettes sorties tout droit d’un imaginaire dystopique. Le décor est planté.
C’est là, symboliquement, qu’est exécuté un plan programmé de longue date. Car « l’extrême droite a théorisé dès les années soixante ce concept de métapolitique », selon les révélations d’un sociologue cité ingénument, comme s’il fallait s’étonner de voir ainsi investi le « combat culturel ».
À ce sujet, il est rappelé qu’après la mort de Lola, Éric Zemmour avait dénoncé un « francocide ». Un terme « conspirationniste », nous dit-on. Et cela bien que son promoteur se soit ouvertement inspiré du « féminicide » qui, lui, a fait florès. Qu’il s’agisse d’opposer les hommes aux femmes, ou bien les immigrés aux Français, la démarche vise dans chacun des cas à politiser la mention du moindre homicide. Prise de conscience dans d’un côté, odieuse tentative de « manipulation » de l’autre ? Allez comprendre !
Au cours de l’émission, le parti Reconquête ! est accusé d’avoir orchestré une opération d’astroturfing. De quoi accréditer la thèse d’une authentique « manipulation », par ailleurs très faiblement étayée ? Comme expliqué par un collaborateur de BFM TV, l’astroturfing, sur les réseaux sociaux, « c’est faire croire qu’un mouvement vient de la masse des utilisateurs alors que ce n’est pas le cas, en “hackant” – entre guillemets – les algorithmes ». De fait, assure-t-il, peu après le meurtre, « on va tomber uniquement, j’ai envie de dire à 90 %, sur des tweets de Reconquête !, donc sur des tweets politisés sur cette affaire Lola ». Voilà ce qu’il avait « envie de dire ». Et voilà comment La Fabrique du mensonge produit ses chiffres clefs. Autant dire qu’elle porte bien son nom.
Dans un autre passage du documentaire, évoquant le Grand Remplacement, Jean-Yves Camus, politologue, souligne pourtant que cette « idée est redoutable parce que Renaud Camus ne s’embarrasse pas de statistiques » ; « il dit simplement : sortez dans la rue et comparez les gens que vous voyez à ceux qui étaient au même endroit il y a vingt, trente, cinquante ans ». « Une démarche tout sauf scientifique », d’après la voix off du documentaire. Sans doute Renaud Camus a-t-il, lui, manqué d’envie.
En tout cas, c’est paraît-il comme ça que s’est construit « l’intérêt artificiel autour de Lola ». Oui, « artificiel ». Qu’importe le précédent de l’affaire Grégory, mentionnée par un intervenant pour souligner combien le meurtre d’un enfant peut susciter l’émotion. Qu’importe le témoignage de Clément Lanot, premier journaliste à prendre connaissance du meurtre de Lola, tellement sordide qu’il s’est d’abord montré incrédule : « Je ne prends pas forcément cette information au sérieux parce je me dis c’est trop gros, c’est trop bizarre. » Qu’importe le constat fait par le commentateur du documentaire lui-même, qui constate « un crime d’une violence rare ». Pour les auteurs de cette émission, indisposés, révulsés par la tournure politique des événements, on ne saurait envisager que ceux-ci aient suivi un cours normal, ni tolérer une quelconque fatalité ; l’invocation d’une « manipulation », sinon celle d’un complot, les satisfait bien davantage.
Au cœur de la controverse, il y a bien sûr la nationalité de la meurtrière. Un « détail », selon le documentaire, qui reproche aux « réseaux sociaux d’extrême droite » d’en avoir fait « une information capitale ». Quant aux « politiques d’extrême droite », ils sont accusés d’avoir voulu « réécrire l’histoire ». Rien de moins. « Leur objectif », nous explique-t-on : « que le meurtre de Lola soit uniquement vu à travers le prisme de l’immigration ». Revendiquer un point de vue ? Assumer un parti-pris sans équivoque ? Cela valait assurément un procès en négationnisme. Peut-être nous reprochera-t-on d’extrapoler nous aussi, mais il y a de quoi : au cours de l’émission, un drapeau flanqué d’une croix gammée surgit tout de même devant la tour Eiffel, comme un message subliminal…
« Le lien supposé entre le meurtre de Lola et l’immigration se propage massivement », est-il encore déploré, alors qu’« après la fachosphère, les chaînes du groupe Bolloré, C-News et C8, vont prendre le relai ». Un lien « supposé » ? Peut-être ce lien a-t-il été exagéré. Peut-être est-il effectivement discutable d’en tirer des conclusions générales. Mais de là à le contester, alors que l’identité de la meurtrière (sous le coup, rappelons-le, d’une obligation de quitter le territoire français) semble parfaitement établie… Négationnisme, quand tu nous tiens !
En conclusion du documentaire, il est affirmé que « l’affaire Lola fait aujourd’hui partie du grand imaginaire complotiste ». Ses auteurs ne croyaient pas si bien dire. Sachons gré au “service public” d’en avoir financé une si magistrale démonstration.