Le meurtrier de Carcassonne et de Trèbes, Radouane Lakdim, était connu de la justice, des services de police et des renseignements.
Né au Maroc en 1992, il était devenu français à la suite de l’obtention de la nationalité française par son père qui en avait formulé la demande. Il avait été condamné en 2011, il avait 19 ans, pour port d’arme, mais comme c’est la pratique habituelle de la justice en pareil cas, à 1 mois avec sursis, c’est-à-dire pour un garçon comme lui : rien ; recondamné pour trafic et usage de stupéfiants en 2015, cette fois-là, il écope d’un mois ferme, c’est-à-dire presque rien. Il s’arrange pour ne pas se faire remarquer.
Il reprend sa vie ordinaire en ne faisant rien de toute la journée que mener, comme ses camarades, ses petites activités dans une cité où il n’y a plus de vie normale en dehors des trafics illégaux et où aucun service d’État ne peut pénétrer de manière assurée, coutumière et continue. La cité Ozanam – c’est ainsi qu’elle s’appelle, du nom du grand chrétien qui fut un apôtre de la charité ! – selon un langage devenu courant, « vit sur elle-même » ; trois cités de ce genre « prospèrent » dans les mêmes dispositions selon les mêmes « lois », « mœurs » et « habitudes », autour de Carcassonne ; personne ne l’ignore ni dans la population ni dans les services d’État. « Les étrangers » – entendez évidemment les personnes extérieures à la cité – sont rejetés, comme l’ont éprouvé violemment les journalistes qui ont essayé d’y faire un reportage après l’évènement, et les forces de l’ordre qui y sont intervenues non sans difficultés.
Il est plus que probable qu’une fois passée l’émotion, tout y redeviendra comme avant, c’est-à-dire comme dans des centaines, voire des milliers de cités et de quartiers en France, ce qu’on appelle pudiquement « les territoires perdus de la République ». Qu’y peut-on ? Et qui y pourrait quelque chose ? Hors, jusqu’à aujourd’hui, des discours. Et des discours, Dieu sait s’il y en a et s’il y en aura après l’affaire de Carcassonne et de Trèbes !
Il était repéré !
Radouane Lakdim était suivi par les renseignements, mais ce n’était que par intermittence, tantôt en haut du spectre, tantôt en bas pour reprendre les termes d’usage, ce qui se comprend – explique-t-on – puisque c’est maintenant près de 10 000 personnes – certains disent le double – qui sont susceptibles en France de mener des actions terroristes.
Selon les précisions officielles bien connues et cent fois répétées, comme il est difficile de discerner le degré de radicalisation d’un si grand nombre de personnes, il apparaît qu’il est impossible d’exercer une surveillance totale et continuelle sur l’ensemble des criminels potentiels. De fait ! C’est parfaitement compréhensible ! Mais, soit dit entre nous, quel aveu !
Toutefois, lui avait fréquenté un groupe sur Carcassonne en lien avec une cellule d’islamistes radicaux venus d’ailleurs. Il avait donc été, dès 2014, fiché S ; ainsi que, plus tard, sa compagne, une « convertie » à l’islam, âgée de 18 ans, dont les enquêteurs constatent aujourd’hui l’islamisme farouche ; elle ne regrette rien et approuve l’action de son compagnon.
Radouane Lakdim ne cachait pas sa radicalisation sur les réseaux sociaux, mais selon encore l’expression consacrée – car tout dans ce domaine est affaire d’expression –, rien ne laissait prévoir « qu’il allait passer à l’acte ». Il a agi seul – expression pareillement convenue et resservie à chaque fois. Il s’était procuré – vraisemblablement seul ! – une arme de poing, trois engins explosifs artisanaux et un couteau de chasse pour signer son acte : le lieutenant-colonel Beltrame est décédé de l’égorgement perpétré rituellement et non des balles qui l’ont atteint.
L’homme a manifesté la plus décidée des intentions, comme tous ceux qui ont commis les précédents attentats. Pour voler une voiture à Carcasonne, il a blessé gravement le conducteur et tué le passager ; il a tiré sur une équipe de gendarmes, car – apprend-t-on de source autorisée (!) – il détestait la police et les gendarmes ; puis, survenant à Trèbes, cherchant à faire une prise d’otages dans le Super U, il a tué, au cri d’Allah akbar, encore deux personnes, le boucher et un client du magasin ; il s’apprêtait vraisemblablement à tuer une autre otage prise comme bouclier humain et peut-être à commettre d’autres tueries si le lieutenant-colonel Beltrame ne s’était interposé en proposant de se substituer à l’otage et sans doute – car il faut le faire ! – en impressionnant le meurtrier par son autorité, sa parole, son attitude et son courage, puisque Lakdim a accepté cette étrange substitution. Leur face à face en huis-clos a duré près de trois heures. Arnauld Beltrame ayant laissé exprès son téléphone portable ouvert sur une table, il fut possible d’entendre les propos de Radouane Lakdim qui ne différaient guère de ceux de ses prédécesseurs en pareil genre de crimes, revendiquant son acte, récitant des sourates du Coran, parlant de la Syrie et de Daech, réclamant la libération de Salah Abdeslam, le survivant du commando de Saint-Denis et du Bataclan.
C’est lorsque trois coups de feu retentissent que le GIGN de Toulouse se décide à intervenir et met hors d’état de nuire Lakdim. Le lieutenant-colonel gît dans son sang ; il décèdera à l’hôpital de Carcassonne dans la nuit du vendredi au samedi, assisté par le père Jean-Baptiste des chanoines de La Mère de Dieu de l’abbaye de Lagrasse, devenu son ami, qui lui administra l’extrême-onction.
La politique s’en mêle
Le président Macron a voulu rendre un hommage national à celui qui est devenu à titre posthume le colonel Beltrame. La France émue et admirative ne peut qu’approuver. Elle l’a montré par sa présence. Il y a là une union nationale qui se réalise autour d’une personnalité exceptionnelle, un vrai fils de la France, qui a témoigné par son sacrifice de la noblesse de son âme et de la grandeur de sa vocation. Son nom est déjà donné à des rues de France et c’est tant mieux.
Reste qu’il s’agit encore d’un attentat islamiste. Les télévisions, les radios, les réseaux sociaux ont été saturés de déclarations et de commentaires. L’essentiel est perdu de vue. À écouter Gérard Collomb, rien n’était prévisible et c’est la faute à personne. Le président Macron chante l’union nationale mais estime que sa loi contre le terrorisme suffit à préserver la République pourvu qu’elle soit rigoureusement appliquée.
Laurent Wauquier réclame la restauration de l’état d’urgence. Marine Le Pen pense qu’il est grand temps que le fichier S serve à quelque chose de plus précis que de simples surveillances qui se révèlent n’être, de plus, qu’occasionnelles – et elle n’a pas tort !
Cependant, les autorités compétentes nous assurent que les services français font bien leur métier ; ce qui est certainement vrai. Pour un attentat qui s’est malheureusement concrétisé, ce sont cinquante projets d’attentats qui – nous confirment les experts – ont été déjoués dans les derniers mois ! On reste pantois. Tant que ça ! Et qu’en est-il alors de tant de potentiels criminels ? Les experts nous certifient encore que les différentes directions des services vont mieux se coordonner. La justice se réveillerait : le 8 mars dernier, la commission d’expulsion – dite la comex –, composée de magistrats de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, a consenti au renvoi en Algérie d’un iman salafiste de Marseille, El Hadj Doudi, dont la mosquée As-Sounna a été fermée, il y a trois mois, pour prédication islamiste et terroriste et activisme salafiste. Le quartier tout entier a été infecté par une radicalisation intolérable. La procédure entamée par la préfecture de police de Marseille aurait enfin une chance d’aboutir. Ce n’est pas fait. Le ministère de l’Intérieur doit prendre la décision de l’arrêté d’expulsion. Combien d’arrêtés pris, depuis trois ans que les attentats se multiplient ? À peine une quarantaine…
Le sens d’une vraie politique
Qui ne voit qu’une telle politique se contente seulement de répliquer – et comme elle peut – aux attaques d’un adversaire acharné et prêt à évoluer selon les circonstances et l’actualité qui l’inspirent. Cet adversaire – non déclaré comme tel – dispose sur notre sol de territoires, de quartiers, de cités. Certes, la France a à sa disposition des hommes remarquables et des services de haut niveau comme le montrent – et que trop, malheureusement ! – tous les évènements récents. Mais, en raison des politiques suivies, il est clair que la France ne cherche en fait que des réponses à des problèmes qu’elle s’est elle-même créés. Elle ne fait jamais que répondre aux agressions de toutes sortes qu’elle subit ; et elle est contente et fière d’elle-même quand elle oppose une réponse efficace ou héroïque, comme ce fut le cas à Trèbes.
Cependant, il est facile de comprendre qu’une telle politique ne suffit pas. Que ce soit pour le terrorisme, que ce soit pour la criminalité, pour l’immigration ou toutes les questions politiques, sociales, économiques, pendantes. L’État français demeure toujours dans la réponse ou la réplique, même quand il donne et se donne l’impression d’anticiper.
Aujourd’hui, plus aucun État ne peut se permettre une telle conception, surtout dans les graves matières de sécurité. La France se devrait d’avoir une énergique politique de redressement, toute d’initiative, qui recompose le tissu national déchiré et redonne aux Français le goût de vivre – et pas seulement de se défendre ! C’est ce qu’ils attendent. Des faits et non des discours. Une indépendance nationale recouvrée qui les sorte de leurs sottes querelles intestines. Macron est-il capable de porter un tel projet ?