Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Il était peu probable que Marine Le Pen arrive à gagner ces élections.
Elle avait contre elle tout l’appareil d’État, l’Union européenne, la grande cohorte du camp du Bien, qui l’accusait un jour de vouloir atomiser le monde (alors que l’Union européenne qui fournit des armes à l’Ukraine est un vrai gage de paix) et le lendemain d’interdire de manger casher en France (?!), l’immense masse des antifascistes paresseux et des bourgeois inquiets pour leurs capitaux ; enfin, elle luttait contre elle-même… Mais a-t-elle vraiment perdu ? Son score l’enivre et la conforte dans son rôle, institutionnellement inutile et inexistant, de première opposante à Macron ; mieux, il lui permet de considérer avec satisfaction la défaite cuisante de Zemmour et des infidèles qui lui ont fait défaut, on sent le RN occupé à préparer sa revanche contre Reconquête ! et son chef maladroit ; enfin, elle croit qu’il existe bien désormais un bloc populaire dont elle se disputerait à terme la maîtrise avec Mélenchon. Sans l’espérer, mais en le présumant, on peut compter que les législatives à venir lui donneront tort, et sur ses illusions de respectabilité (être populaire ne signifie pas être accepté dans les cercles du pouvoir) et sur son poids politique. Si Marine n’a retenue qu’une leçon de son père, c’est de ne jamais s’allier. Si ces cinq ans ont pu conforter une conviction, c’est que son succès épisodique se passe de vrai parti. Bref, on ne sait pas si Marine, d’un point de vue strictement partisan, a perdu l’élection. Mais il est bien certain que les patriotes l’ont perdue.
Ils l’ont perdu grâce aux règles imbéciles de la démocratie française contemporaine qui, aux mains d’une caste technocratique qui concentre tous les pouvoirs (d’éducation, de richesse et de technicité), travaille à éliminer le peuple du jeu des institutions, applaudit à la judiciarisation de la vie politique et n’aspire, au niveau national comme au niveau européen, qu’à l’avènement d’une technocratie qui voit enfin son rêve saint-simonien sur le point de se réaliser. Un rêve fondé sur une idée simple, très bien exprimée par Pierre Manent : « Au lieu d’une communauté de citoyens qui se gouverne elle-même, des institutions impartiales qui protègent les droits de tous […]. Ces institutions impartiales ne seront pas nécessairement nationales, elles pourront être « européennes » ou « internationales » avec avantage, car plus elles seront éloignées de « nous », plus elles seront impartiales, donc justes et rationnelles. […] Ce qui était la condition de la démocratie ou de la république représentative – le fait de former une communauté distincte capable de puiser en elle-même ses raisons d’agir – est devenu l’obstacle principal à ce qui est pour nous désormais le seul objectif défendable de l’action collective, à savoir la formation d’une société universelle du genre humain. » Il est à peine nécessaire d’ajouter que Pierre Manent, qui analyse très bien les raisons du malheur français, n’en tire aucune des conclusions évidentes et préfère appeler la classe dirigeante et le peuple à sortir de leurs mépris respectifs, comme si cinq ans de macronisme, dix-huit ans de forfaiture européenne et cinquante ans de dérives élitaires ne lui avaient rien appris.
Si encore ce mépris constant du “Parti de l’Ordre” avait produit quelques heureux effets ! Nous pourrions en rechignant concéder que ces politiques autoritaires et hypocrites servent l’intérêt général. Si la prospérité et la tranquillité régnaient, nous pourrions, furieux, faire le deuil des mœurs. Mais rien, ou plutôt pire. La dette est immense, on va l’augmenter. Les déficits sont massifs, on va les creuser. La diplomatie française est une ruine, on rase ce qui restait debout. L’immigration nous dissout, on fera tout pour ouvrir les frontières. L’insécurité gagne tous les lieux, on ne matraque plus que les honnêtes gens. Les institutions sont en panne, on n’imagine que d’inventer les moyens de les rendre encore moins démocratiques, seul et dernier petit espoir de tous les Français qui n’ont pas basculé dans l’hébétude de l’assistanat ou la rage stupide d’une révolution hybride qui réussirait à porter au pouvoir féministes radicales, islamistes impitoyables et indigénistes intransigeants. À croire que tous, macronistes ou mélenchonistes, n’ont en fait de programme réel, de boussole pour leur action concrète, que la volonté de dilapider ce qui subsiste du trésor de civilisation accumulé pendant des siècles, par haine de la France, par dégoût des Français. Cette ultime petite victoire électorale est présentée comme un grand assentiment populaire alors que la France économique, sociale, territoriale, légale, n’est plus qu’un pauvre corps démembré.
Désespérons ? Non. Ce système est périmé, il sort de l’histoire, la société universelle n’existera pas. Le juste et le bon redeviendront nationaux parce que les nations sont en train, douloureusement, de reprendre le dessus. La France n’aura pas conduit cette bataille, elle n’en retirera pas tous les fruits, mais au moins continuera-t-elle d’exister.