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Exigences narratives

Le Conseil d’État lui a dit que sa loi était mal ficelée, que c’était un comble après deux ans et demi de prétendues concertations et qu’en plus elle était sans doute inutile.

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Exigences narratives

Il a l’air fin mais il pense que ça l’autorise à continuer. La première présidente de la Cour de cassation et le procureur général près cette Cour lui ont rappelé que « l’indépendance de la justice, dont le Président de la République est le garant, est une condition essentielle du fonctionnement de la démocratie » parce qu’il avait appelé à la tenue d’un procès dans l’affaire Halimi, dont l’examen du pourvoi est en cours. Il a l’air fin mais il pense que ça l’autorise à continuer. Il a demandé à Cédric Villani de retirer sa candidature à la mairie de Paris. Cédric a pensé que ça l’autorisait à continuer. Le président a l’air fin. Quant à la taxe GAFA, Trump lui a dit qu’il pouvait continuer s’il voulait mais qu’il faudrait en payer le prix. Il a pensé que ça ne l’autorisait pas à continuer.

Elles sont où, les foudres de Jupiter ? Où est passé le fringant starteupeur qui nous expliquait qu’on allait voir ce qu’on allait voir ? Il s’est replié sur la France, sur les métropoles, sur son parti, sur lui-même. Son destin lui échappe. Il en est réduit à vaticiner dans un avion, tenant sur l’identité de la France des propos aussi incohérents que ceux de Sibeth : « l’identité narrative […] c’est qu’il y a un récit qui se modifie toujours en se frottant à d’autres que soi, à des accidents de l’histoire… » C’est toi l’accident ! comme diraient les jeunes. Et quelle odieuse idée que de se frotter à ce récit sur pattes (« Ce qui fascine chez Emmanuel, analyse un proche, c’est que le réel compte moins pour lui que le récit qu’il s’en fait. » Figaro Magazine, 3 janvier 2020)…

En présentant ses vœux à la presse, Macron a expliqué être « confronté à une lutte contre les fausses informations ». Voulait-il parler des innombrables fausses déclarations de ses députés et de ses ministres (je ne parle pas de leurs fausses déclarations fiscales ou de leurs fausses déclarations à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, je parle de leurs fausses déclarations, quand ils déclarent des choses fausses) ? Il voulait plutôt parler d’un de ses glorieux combats qu’il mène avec fièvre et passion pour la vérité, sa vérité, qui est la vérité vraie. Il a donc annoncé aux journalistes qu’eux seuls, estampillés et certifiés, et stipendiés et autorisés, « professionnels », en un mot, étaient des garants de la vérité et que tous ceux qui prétendaient parler sans certificat de journalisme étaient des menteurs en puissance et qu’il était donc nécessaire de brider encore un peu plus les espaces d’expression libre qui subsistent.

T’as raison Manu, sécurisons la thune !

Il s’attendait à ce que les journalistes lui emboitent le pas avec enthousiasme (« – Oui, il a bien parlé ! – C’est vrai, c’est nous qu’on a raison ! – Et puis tous ces gens qui disent des choses sur Facebook sans être salariés, c’est rien que jaunes ! – T’as raison Manu, sécurisons la thune ! »), il a été déçu. Il faut dire que des propositions comme « Ce n’est pas au gouvernement de dire qui est journaliste et qui ne l’est pas. Mais la société du commentaire permanent n’est pas une société de l’information » sont curieuses chez un homme qui doit son succès à la manière dont les journalistes de BFMTV commentent ses actions en boucle, sans rien dire de neuf, et dans une république où chaque loi n’est qu’un commentaire de l’actualité. Ce qui a achevé de déconsidérer le caractère aimable de ces vœux, c’est lorsque Macron a regretté la lapidation : « Il y a une forme de paradoxe dans l’époque que nous vivons, où la liberté absolue sans aucun tabou conduit à ce qu’on puisse lapider du jour au lendemain ceux que l’on avait célébrés, que l’on puisse lapider celles et ceux avec qui on avait pu se monter conciliants”. » Mais ne parlerait-il pas de lui-même ?… se sont demandé plusieurs journalistes perspicaces. Ça sent un peu l’identité narrative, tout ça, ont opiné les sagaces.

Macron a donc fait voter la loi Avia en procédure accélérée, loi qui délègue aux plateformes numériques, assurément composées de « professionnels » ayant « une certaine idée de la vérité », le soin d’éliminer les propos haineux – c’est-à-dire ceux qui déplaisent à la députée Avia – sans examen par la justice et dans des conditions si arbitraires et si opaques que l’Union européenne et la justice française ont déjà condamné (en vain) ces mêmes plateformes. Confronté au réel, Macron le nie et nie même qu’on puisse le narrer. Il croit ainsi s’autoriser à continuer. C’est abuser et s’abuser.

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