Empire du milieu. La Chine, épuisée par Mao, n’a fait que rattraper les économies occidentales. Son économie, encore dominée par le Parti communiste et ses entreprises publiques, et produisant une richesse qui profite peu à la population, lui permettra-t-elle de soutenir sa croissance ?
Le pouvoir chinois célèbre actuellement le 40e anniversaire des réformes de Deng Xiaoping, début du redémarrage du pays. Mais le régime se garde bien de remonter plus avant dans le temps pour des raisons politiques.
La Chine partait de zéro
Jusqu’au XVIIIe siècle, la Chine était le pays du plus important du monde, mais comme elle vivait en vase clos, peu d’Occidentaux y prêtaient attention. Puis vinrent le déclin avec les guerres “coloniales”, de très mauvais gouvernements, l’éclatement sanglant de l’époque des « seigneurs de la guerre », une occupation japonaise féroce avant et après laquelle la guerre civile entre communistes et nationalistes a fait rage.
Le pays était donc tombé très bas au moment de la prise de pouvoir par les communistes, malgré un début de modernisation mené par la bourgeoisie occidentalisée, notamment à Shangaï.
La gestion de Mao Tsé-toung a ensuite été catastrophique, avec, au début, le départ pour Hong-Kong ou l’exécution des élites, puis la paralysie par « le grand bond en avant », ses immenses « communes populaires » s’épuisant à produire un mauvais acier et cessant d’alimenter les villes … et la famine corrélative, la pire de l’histoire de l’humanité, dépassant celle générée par Staline.
Mao fut alors mis à l’écart, mais reprit le pouvoir avec la « révolution culturelle » qui élimina les cadres et les personnes cultivées, détruisit une grande quantité de monuments et d’objets d’art, et ferma les universités. Bref, la Chine était tombée à zéro politiquement, économiquement et culturellement.
Une libéralisation progressive a permis un rattrapage rapide
Les réformes de Deng furent d’abord progressives avec un début de libéralisation de l’agriculture pour faire face à l’urgence alimentaire, puis l’ouverture en 1980 d’une zone économique spéciale relativement libre. Les réformes se succédèrent et se généralisèrent jusque vers 2010.
Le retour à la tolérance d’un secteur privé a bien sûr été le point clé. Ce secteur privé se peupla assez rapidement d’entreprises étrangères attirées par la combinaison de très bas salaires et d’un ordre public très strict, contrairement, pour ce dernier point, à d’autres pays très pauvres, notamment africains.
Le secteur privé national a “explosé”, allant d’innombrables TPE aux sous-traitants des entreprises étrangères, bien pratiques pour ces dernières, mais qui “pompaient” leur technologie et devenaient peu à peu des concurrents de taille importante.
Et c’est là qu’intervient un facteur certes connu, mais très sous–évalué : le rattrapage. Un ordinateur grand public coûte aujourd’hui 500 à 1 000 euros, alors qu’il procure la puissance de calcul et d’organisation fournie par des centaines de milliers d’années de travail d’ingénieurs qualifiés des soixante dernières années. Ce constat peut être étendu à toutes sortes de matériels, de méthodes d’organisation, de programmes d’enseignement, etc.
Ainsi, tout pays pauvre ayant un gouvernement se contentant d’un ordre public convenable et d’un minimum de liberté économique peut rattraper facilement une partie de son retard sur l’Occident. Pour des pays partant de très bas, cela donne des taux de croissance de 7 à 10 % par an. L’Inde, l’Éthiopie et bien d’autres ont également réussi cela. Ce fut aussi un des facteurs des Trente Glorieuses en France et du redressement de l’Allemagne à la même époque.
La croissance chinoise n’a donc rien de miraculeux : elle vient du passage à une productivité industrielle normale des jeunes quittant la campagne où ils avaient une productivité marginale quasi nulle. Puis, lorsque le réservoir campagnard se vida, les salaires montèrent rapidement mais la croissance de la productivité laissa intacte la compétitivité chinoise. Par ailleurs, cette croissance est probablement surévaluée depuis une dizaine d’années
Une croissance surévaluée pour des raisons politiques
Ces cinquante ans de progrès (ou de retour à la normale) n’ont mené le pays, en parité de pouvoir d’achat (PPA) par tête, qu’à 12 000 $ contre 53 000 $ aux États-Unis et 79 000 $ à Singapour (FMI 2015). De plus, avec une consommation privée de 38 % du PIB en 2014, seul un gros tiers de l’économie est au service de la population, contre 85 % en France. Le vrai niveau de vie par tête est donc sensiblement inférieur.
Cela revient à dire que le taux officiel de croissance est surévalué. Pourquoi ? Parce qu’une partie de croissance officielle est gaspillée dans les entreprises publiques, qui restent prédominantes. Malgré d’importants “dégraissages” il y a quelques années, et la croissance rapide du secteur privé, elles représentent toujours 50 % de la production, car elles bénéficient d’un accès privilégié au crédit, aux ressources naturelles et au foncier. (cf. notre article « Chine : fausse croissance donc fausse crise ? »)
Mais le pouvoir hésite à les sabrer davantage, d’une part parce que les entreprises sont le refuge de cadres bien payés du parti, d’autre part parce qu’étant conscient de la moindre croissance réelle, il craint des mouvements sociaux, car il estime que c’est la satisfaction matérielle qui évite la revendication de la liberté politique.
Par ailleurs les pouvoirs locaux contrôlent le foncier, source de plus-values, en changeant l’affectation des terrains (de terres agricoles à terres constructibles par exemple), et bloque toute réforme dans ce domaine, notamment celle qui donnerait aux paysans la pleine propriété de leurs terres. Enfin, le pouvoir central contrôle les grands flux financiers.
Bref un bureaucrate peut toujours tuer une entreprise privée qui déplaît, alors que les entreprises publiques ne sont réorganisées qu’exceptionnellement et certainement pas en période délicate, comme aujourd’hui où les discussions commerciales avec les États-Unis pèsent sur une croissance déjà en diminution.
En résumé, ce qui échappe aux consommateurs est largement gaspillé dans des investissements inutiles : autoroutes et TGV sous-utilisés, immeubles vides, surproduction d’acier et de panneaux solaires… Certes une partie n’en est pas perdue pour tout le monde comme le suggère la très grande richesse des « princes rouges ». C’est une raison supplémentaire du blocage des réformes.
Nous voici donc aujourd’hui avec un pays qui a fait un brillant rattrapage, même si le résultat réel n’est pas celui qui est proclamé, mais qui se heurte à des problèmes structurels. Il est maintenant doté d’un président puissant et autoritaire qui pense les résoudre par une poigne de fer. Nous verrons dans l’article suivant quelles sont ces problèmes structurels, et si l’autoritarisme peut les résoudre ou au contraire les aggraver.
Les données chiffrées détaillées et leur source sont issues des précédents articles de l’auteur sur la Chine publiés sur yvesmontenay.fr.
Par Yves Montenay