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LA VRAIE PENSÉE D’AUGUSTIN COCHIN

Histoire. Loin du politiquement correct, Augustin Cochin, monarchiste et thomiste, a prouvé que la Révolution porte en elle sa raison d’être et en germe le totalitarisme. Entretien avec Yves Morel

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LA VRAIE PENSÉE D’AUGUSTIN COCHIN
Quelles sont les raisons qui vous ont décidé à écrire un livre sur la pensée d’Augustin Cochin ?

Les études pionnières d’Augustin Cochin sur le rôle des sociétés de pensée font aujourd’hui autorité. Elles ont battu en brèche les explications marxistes de cette période, et la vision jacobine et lyrique du peuple brisant ses chaînes et conquérant sa liberté de haute lutte. Cochin fait apparaître la Révolution comme l’émanation de groupes d’hommes déterminés, mus par une idéologie rationaliste et égalitaire, et habiles à manipuler les foules. Il démythifie la Révolution. Mais François Furet, Fred Schrader et leurs disciples ont, en fait, procédé à une récupération de l’œuvre de Cochin. Ils n’ont retenu de lui que ses analyses sociologiques, et ont tu ses convictions thomistes et antidémocratiques. Ils ont délibérément ignoré que Cochin n’avait entrepris l’étude de la Révolution que pour y trouver des arguments contre elle. Cela permet son intégration à une vision consensuelle de la Révolution. Le Cochin que l’on nous présente aujourd’hui est tronqué pour le rendre politiquement correct.

En quoi les analyses d’Augustin Cochin sont-elles profondément originales ?

À la suite de Tocqueville ou Quinet, on attribuait à la Révolution des causes lointaines, générales, qui commandent toute l’évolution. Au contraire, selon Cochin, la Révolution porte en elle sa raison d’être. Elle procède de sa propre logique, qui est sociale. Comme Durkheim, Cochin pense que le social est une réalité en soi, indépendante des individus, et qui ne procède pas de la seule évolution.

Cependant, vous distinguez tout de même nettement la pensée d’Augustin Cochin de celle de Durkheim et de la sociologie contemporaine. Vous affirmez que Cochin reste un auteur catholique et contre-révolutionnaire. Pouvez-vous préciser ce point ?

En effet, Augustin Cochin n’est pas un durkheimien de stricte obédience. Furet, Schrader et leurs suiveurs le savent d’ailleurs, et le précisent dans leurs livres. Mais, en se concentrant exclusivement sur l’utilisation par Cochin de la sociologie durkheimienne, ils le font oublier. Or, si Cochin pense que cette sociologie permet d’expliquer au mieux le fonctionnement des sociétés de pensée – précisément parce qu’elle est de même nature qu’elles : rationaliste et d’inspiration laïque – il expose, par ailleurs, tout ce qui le sépare de Durkheim. Et il développe une vision thomiste de l’homme, en opposition avec le rationalisme exclusif de la sociologie durkheimienne.

Cochin sait que les hommes sont mus par des forces psychiques et sociales qui les dépassent et qu’il se propose de mettre au jour.

Vous démontrez l’inanité de la notion de « volonté générale » de Rousseau. Quel est donc le défaut rédhibitoire de cette notion ?

Cochin a montré que la volonté générale de Rousseau est une pure abstraction, insaisissable et incompréhensible. Selon l’auteur du Contrat social, cette volonté ne siège ni dans l’unanimité, ni dans la majorité, ni dans une divinité, ni dans les individus, ni dans la société. Les individus comme la société sont inévitablement orientés, dans leurs choix, par leurs intérêts matériels et leurs préjugés, source d’errance de l’esprit. Or, la volonté générale exprime censément la Vérité, le Bien, le Droit et le Devoir. L’individu, comme le peuple, même unanime, peut ainsi errer et se prononcer contre le Vrai, le Juste. Ne se situant nulle part, cette volonté générale se présente comme un être de raison. On peut voir en elle l’émanation d’une raison pratique de type pré-kantien. Cochin, lui, y voit une perversion de la révélation selon l’Église catholique, ce qui paraît discutable, étant donné l’imprégnation de l’esprit de Rousseau par le protestantisme.

En réalité, Ostrogorski l’a bien montré, le défaut de Rousseau, sur ce point, réside en ce qu’il conçoit les principes démocratiques modernes, tels que la liberté ou le droit des peuples, comme des absolus, et il les définit suivant des concepts analogues aux universaux de la scolastique médiévale ou les concepts de la philosophie de l’âge classique. Or, ils se définissent contre ceux-ci et ceux-là, et sont marqués du sceau de la contingence, de la relativité. Dans notre monde moderne, la volonté générale ne peut être entendue que comme la loi de la majorité en un contexte donné, rien de plus. La volonté générale selon Rousseau, en prétendant contraindre les hommes, aboutit inéluctablement au totalitarisme.

Quelle est la place de l’œuvre d’Augustin Cochin au sein de l’historiographie contre-révolutionnaire ?

Cochin est celui qui a pourvu l’école contre-révolutionnaire de l’argumentaire qui lui faisait défaut. Il a démontré le caractère prémédité de la Révolution suivant une approche sociologique rigoureuse. Avant lui, l’école contre-révolutionnaire était enfermée dans deux types d’interprétations. D’une part, la théorie du complot maçonnique de l’abbé Barruel, auteur des Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1797-1799), d’autre part, l’explication psychologique de Taine, dans le premier tome de ses Origines de la France contemporaine (1878).

On oppose couramment Cochin à l’abbé Barruel, et Cochin lui-même a, en certaines pages, récusé la théorie du complot de son prédécesseur. En réalité, les deux auteurs s’accordent et se complètent plus qu’ils ne s’opposent. Ils sont séparés par une différence d’époque. Barruel, homme de la fin du XVIIIe siècle, est marqué par l’esprit classique, centré sur le sujet conscient et rationnel agissant en pleine responsabilité. Donc, à ses yeux, les révolutionnaires étaient les auteurs déterminés d’un complot. Cochin, lui, sait que les hommes sont mus par des forces psychiques et sociales qui les dépassent, et qu’il se propose de mettre au jour. En son temps, la psychologie a fait des progrès considérables et a découvert la notion d’inconscient, cependant que la sociologie a établi l’existence d’une réalité sociale indépendante de la volonté des individus, ainsi que les lois de fonctionnement des sociétés. Cochin dispose ainsi de connaissances qui manquaient à l’abbé. Avec lui, la Révolution résulte de l’action délibérée des sociétés de pensée, mais la logique sociale qui meut ces dernières, les dépasse. En fait, Cochin procède à un aggiornamento de l’intuition directrice de Barruel plus qu’il ne la récuse. Et, du même coup, il dépasse le psychologisme tainien, trop accroché aux mentalités et aux faits et gestes des individus pour rendre compte de manière satisfaisante d’un phénomène de très grande ampleur comme la Révolution.

 

« Quand je suis le plus faible,
je vous demande la liberté,
parce que tel est votre principe ;
mais quand je suis le plus fort, je vous l’ôte,
parce que tel est le mien. »

Louis Veuillot,
Conversation avec Augustin Cochin

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