Civilisation
Juste un souvenir
Avec Myriam Boyer. Mise en scène de Gérard Vantaggioli. Avec la participation de Philippe Vincent
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Jean-Laurent Cochet est mort. Bruno-Stéphane Chambon se souvient de leur rencontre, en Vendée, et retrace sa carrière d’immense passeur de textes et de talents.
Jean-Laurent Cochet, dans son parcours d’enseignant de l’art dramatique, alors qu’il était un professeur reconnu et célèbre dans le milieu parisien, eut une initiative heureuse : exporter ses cours en se rendant de façon hebdomadaire en province, notamment en Pays de Loire. Au cours de son passage en Vendée, à l’invitation du président du Conseil général de cette région riche en histoire, il visita le logis de la Chabotterie. C’est là que, le 23 mars 1796, François-Athanase Charette de La Contrie, dit Charette, fut fait prisonnier par le général Travot. La visite sur ce site, converti en musée, intéressa fort l’homme de théâtre, qui était accompagné par un de mes plus chers amis, conseiller culturel pour le département. À l’issue de cette visite, un repas privé fut organisé entre le Maître et le conseiller J’y fus convié.
Nous pûmes alors disserter sur l’exigence du travail de l’acteur et l’enseignement que l’on doit dispenser à celui qui veut entrer dans cette carrière. Jean-Laurent Cochet était intarissable et donnait moult exemples. La première qualité qui incombe à un maître est tout d’abord le discernement, et parfois l’intuition. Comment repérer chez le jeune candidat à cette carrière, ô combien difficile, la pâte indispensable qui fera de lui un artiste et non point un amateur ? Puis la maîtrise technique : donner les outils pour s’exprimer et interpréter, enseigner la diction, la pose de voix et l’expression corporelle. Enfin, le maître doit être un professeur de littérature pour le jeune acteur, il doit pouvoir lui conter l’histoire de la vie de l’écrivain, analyser son œuvre, enfin l’introduire dans son univers.
L’honnêteté du professeur consiste à savoir parfois décourager le candidat, le prévenir que la voie est étroite et par-dessus tout rappeler ces deux adages : beaucoup d’appelés mais peu d’élus et surtout, en paraphrasant une phrase de Louis Jouvet, 20 % de talent, 40 % de travail et 40% de chance. Un artiste peut être travailleur et avoir du talent, mais s’il n’a pas la chance dans les rencontres, il ne percera jamais. Par contre, que justice soit faite, avec beaucoup de chance, sans talent et surtout sans travail, il ne sera qu’une étoile filante qui se brûlera les ailes en peu de temps.
Il est maintenant nécessaire d’analyser la méthode de Jean-Laurent Cochet, qui a pour but de mettre en valeur l’interprétation. Au départ, en symbiose avec le caractère de l’élève et le personnage qu’il doit interpréter, il impose une diction, un rythme vocal, et une gestuelle appropriée où chaque mouvement est scrupuleusement respecté. Nous sommes d’une certaine sorte dans l’univers du théâtre japonais avec son Nô et son Kabuki. À cet égard il nous faut, non pas opposer mais mettre en parallèle l’enseignement de Jean Périmony, qui fut le maître d’école de nombreux acteurs de renom, et celui de Jean-Laurent Cochet, dont il fut l’alter ego. Ces deux personnages furent formés par les mêmes grands maîtres que furent les professeurs d’art lyrique et du Conservatoire national, comme Henri Rollan. Jean Périmony laissait à l’apprenti la découverte du personnage, quitte à tâtonner, mais lui donnait en dernier ressort les clefs pour aborder le rôle. Jean-Laurent Cochet, lui, indiquait en amont le mode de l’interprétation. Les deux Maîtres furent reconnus pour l’excellence de leurs méthodes et on peut oublier certains cours mondains ou centres d’expérimentation intellos en vogue, sources d’intermittents du spectacle plus politisés que véritables artistes.
Pour en revenir à ce délicieux échange que j’ai eu le privilège de partager avec Jean-Laurent Cochet, il me fit le récit d’une rencontre. Un point d’orgue ! « Un jour se présenta un rustre baraqué qui ne savait point parler. Il récita en ânonnant un texte qu’il ne semblait pas comprendre. Je lui demandais alors d’apprendre quelques répliques d’une scène d’une pièce classique. La semaine suivante il revint et récitât l’entièreté de la pièce car il ignorait les séquences des scènes et actes. Il s’appelait Gérard Depardieu. Dès lors j’avais pressenti que ce brut de décoffrage était un génie de l’interprétation. Il était comme une éponge, il absorbait tout et le retransmettait en puissance infinie. » Ce que Jean-Laurent Cochet n’a pas dit ce jour là, c’est que Depardieu était affecté d’un léger bégaiement. Il le confia à un orthophoniste de sa connaissance en réglant lui-même tous les honoraires, le prit gratuitement dans son cours et lui transmit la culture qui lui manquait. Il ne l’a point dit, pudeur, discrétion, apanage d’un homme de cœur et de grande noblesse. Tout au cours de la carrière internationale de Gérard Depardieu, ce dernier ne manqua jamais de se retourner vers son Maître pour qu’il le conseille dans ses choix et lui donne son avis sur ses interprétations.
Par-delà son activité d’enseignant, Jean-Laurent Cochet se révéla un grand comédien, entrant à la Comédie Française puis interprétant plus de cinquante rôles, particulièrement celui de Philaminte, la mère dans Les Femmes Savantes. Ce personnage militait pour la « libération » des femmes et se prévalait de diriger la maisonnée. Le rôle, à sa création, fut tenu par un homme, André Hubert, qui appartenait à la troupe de Molière. Jean-Laurent Cochet releva le défi et, suivant la tradition, reprit ce rôle, sans ambiguïté. C’était en 2010 dans une mise en scène d’Arnaud Denis au Petit Théâtre de Paris, pièce à laquelle nous avons eu le privilège d’assister. Mais c’est surtout dans l’art de la mise en scène qu’il se révéla. Près de 90 mises en images théâtrales avec des pièces de Musset et, naturellement, Molière. Son répertoire de prédilection était Labiche et surtout Georges Feydeau. Avec ce dernier, son sens du rythme et de la précision dans l’échange des répliques ne pouvait que servir l’horloger du rire. Il mit en scène aussi de nombreuses fois des pièces de Sacha Guitry avec il partageait l’humour et parfois l’acrimonie. Car Jean-Laurent Cochet avait aussi la dent dure.
Il avait aussi le courage, celui de présenter, en 1973, La Reine de Césarée de Robert Brasillach au Théâtre Moderne, alors qu’en novembre 1957 la première représentation publique, au Théâtre des Arts, avait été troublée par de vifs incidents. Permettez-moi de donner mon témoignage : pour entrer dans le théâtre, mon père, qui m’y avait invité, s’apprêtait à faire le coup de poing.
Les trois coups funèbres du brigadier ont été frappés : Jean-Laurent Cochet, né le 28 janvier 1935, s’est envolé dans les cintres du décor de Molière et le rideau de pourpre s’est baissé sur lui le 7 avril 2020. En guise d’épitaphe et en hommage, laissons la parole à Fabrice Luchini, son fidèle et prestigieux élève, qui déclarait dans Le Monde, en 2008 : « J’ai eu la chance d’apprendre le métier dans le cours de Jean-Laurent Cochet, où il fallait travailler le passage de texte, et pas la confidence personnelle. On devait d’abord apprendre à articuler pendant des heures. Moi, je suis comme Michel Bouquet : je viens sur scène pour passer quelque chose de plus grand que moi. Mais cela ne suffit pas d’aimer et d’admirer Baudelaire ou Molière : il faut savoir les phraser. Cela demande des années de pratique. Comme un pianiste, avec ses gammes. »