Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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L’histoire de la musique ne s’étend pas sur cette particularité : la seule écriture musicale connue est celle de la civilisation européenne. Aucune autre civilisation de l’histoire de l’humanité n’a pu concevoir une écriture musicale permettant d’archiver les compositions de ses musiciens. Les écritures musicales actuelles ou antiques connues ne transcrivent pas les mélodies, et ne peuvent donc constituer des bibliothèques de compositions permettant de rejouer les œuvres des grands compositeurs. En effet, il ne faut pas confondre les systèmes mnémotechniques – correspondants aux neumes grégoriens – avec les partitions utilisées par les musiciens européens. La civilisation européenne a été la seule à pouvoir constituer le grand orchestre. Contrairement aux autres civilisations où les interprètes improvisent en suivant un meneur qui donne le thème, les musiciens de l’orchestre européen sont capables de jouer en lisant des partitions toutes différentes mais suivant des règles communes. Il est ainsi possible de constituer des formations de plusieurs dizaines ou centaines, voire parfois de plus de mille musiciens, en salle ou en extérieur. Cette singularité européenne n’a pas d’équivalent historique.
La musique est un art de séduction et de communication. La musique de ces orchestres fascine. Elle peut susciter l’admiration de ceux qui sont sensibles au Beau. Elle suscite aussi l’envie et même la haine de ceux qui sont incapables de s’astreindre aux dix années d’études nécessaires à la maîtrise d’un instrument. De nos jours où la technologie donne l’illusion à n’importe quel bricoleur informatique facilement manipulable qu’il dépasse en science les plus grands compositeurs. Alors quel intérêt de conserver ces orchestres coûteux à entretenir, d’autant plus qu’ils sont financés sur des fonds publics ? La coïncidence entre la pandémie et cette campagne contre la musique classique ne doit rien au hasard. En France, les orchestres militaires avaient subi une considérable réduction de volume avec la fin de la conscription. Il y en avait encore 85 en 1986, il en reste à peine 30 actuellement, en comptant large, et bien souvent en sous-effectifs. Des réductions similaires s’observent dans les armées européennes.
Par mesure sanitaire, l’État interdit les concerts. Le confinement de la musique ne laisse la place qu’aux musiques artificielles, enregistrées ou transmises, c’est-à-dire des musiques mortes. Cette situation, sans équivalent dans l’histoire, est dangereuse. Le récent suicide du claveciniste François Grenier, de l’ensemble Hemiolia, en est une triste illustration : « il ne supportait plus de ne pouvoir vivre et transmettre son art avec cette crise sanitaire qui n’en finit pas ».
L’interdiction des concerts affecte essentiellement les musiques naturelles, vivantes. Ces musiques ont besoin de leur public pour exister, leur écoute est collective. Les musiques artificielles, enregistrées, peuvent continuer à créer et à produire car leur diffusion se fait par les réseaux numériques et leur écoute est individuelle. Déjà réservée à un public éduqué à son écoute – certains disent une élite –, la musique classique perd de l’audience. Selon Le Figaro, « une étude réalisée par le National Endowment for the Arts rapporte ainsi que la population ayant assisté à un concert de musique classique était passée de 13 % en 1982 à 8,6 % en 2017. La part de spectateurs de moins de 30 ans a, elle, chuté de 27 à 9 % sur la même période. » La pandémie ne va qu’accélérer le processus. Alors, pourquoi continuer de financer des orchestres de musique classique ?
Les directives contre la musique classique émanent de la presse étasunienne. Le New York Times l’accuse de masquer « un problème raciste », la National Public Radio observe que ce milieu est « extrêmement blanc et de plus en plus marginalisé » et New Music USA va jusqu’à affirmer que « la musique classique est intrinsèquement raciste ». Répondant aux injonctions de Black Lives Matter, un rapport de l’université d’Oxford récemment médiatisé considère que « la musique blanche européenne date de la période esclavagiste ». Mozart, Schubert, Beethoven, etc., causent « une grande détresse aux étudiants de couleur ». Rien que pour reprendre ces trois compositeurs, Mozart a été enterré dans une fosse commune, Schubert est mort syphilitique à 31 ans et Beethoven devient sourd à la moitié de sa vie. Quel rapport peut-on leur trouver avec le racisme ou l’esclavage ?
Apportant sa pierre à la campagne de lapidation musicale, en janvier dernier le trompettiste “racisé” Ibrahim Maalouf s’était distingué avec son tweet : « Sublime orchestre de Vienne qui chaque année excelle autant musicalement qu’il se fait tristement remarquer par son manque de diversité ethnique. En 2021 on veut plus de diversité ! » C’est la violoniste chinoise Zhang Zhang qui lui répond : « La musique est le langage de tous les hommes. Même quand nous ne parlons pas la même langue nous pouvons jouer ensemble. La musique est un témoignage de notre humanité. […] Votre haine et la culture de la dénonciation ne passeront pas par nous. »
Cette réaction est révélatrice. Actuellement, l’Asie est le continent qui organise le plus grand nombre de master-classes de musique classique. Oubliée l’interdiction du Grand Timonier, en 1966, de toutes les musiques occidentales sur le territoire chinois, car elles représentaient « l’impérialisme et le capitalisme ». On en trouve aussi en Amérique du Sud avec le programme El Sistema. En France en septembre dernier, la jeune Vénézuélienne Glass Marcano (24 ans), formée par ce programme, a remporté le concours Maestria de chef d’orchestre, réservé aux femmes. Gustavo Dudamel, prodige lui aussi formé par El Sistema, vient d’être nommé à la direction de l’orchestre de l’Opéra de Paris. On se souvient que les grandes artistes Barbara Hendricks et Jessye Norman ont été saluées dans le monde entier pour leur voix, pas pour leur couleur de peau. Les accusations anglo-saxonnes contre la musique classique ne reposent sur aucun fondement.
La musique ne fonctionne pas comme les autres arts. Les boniments des critiques institutionnels ne suffisent pas à imposer leurs critères. Il suffit d’aller dans n’importe quelle exposition d’art contemporain, pour constater qu’on peut y présenter toutes les lubies contraires aux règles esthétiques classiques. Mais très rarement les organisateurs font entendre les “musiques” s’inscrivant dans cette démarche, l’oreille ne le supporte pas. La grande majorité des gens souffre des fausses notes même sans avoir fait de solfège. Ce qui signifie qu’il est impossible de s’affranchir des règles de l’harmonie. Ce constat est révélateur des propriétés particulières de la musique, seul art inaccessible aux révolutionnaires (déconstructeurs).
Pour faire plier les peuples, il reste les arguments intersectionnels relayés par les médias. Ce n’est pas parce qu’ils sont simplistes qu’il faudrait les sous-estimer. Ils sont adaptés aux populations qui servent de levier. Ils sont d’autant plus dangereux qu’ils s’inscrivent dans une période où les musiciens classiques ne peuvent plus exercer leur rôle.
La musique a deux fonctions principales : harmoniser les individus de la communauté qui la produit et séduire ceux qui peuvent l’entendre. Jacques Chailley disait que « la chanson est le plus fidèle reflet de l’âme d’un siècle ». Ainsi la musique rend compte de l’état d’une société.
On peut toujours rêver de la contre-offensive menée contre cette campagne culturelle visant la musique de la civilisation européenne. Même si elle est improbable, il est déjà trop tard pour les agresseurs : d’européenne, cette musique a séduit d’autres continents sur lesquels la propagande intersectionnelle n’a pas de prise, que ce soit l’Asie ou l’Amérique du Sud. Si le front musical cède en Europe, il ne fera que se déplacer. La musique ne fait que rendre compte de l’état des sociétés.
Illustration : Spectacle totalement réactionnaire d’un entre-soi élitiste, ethnique et musical. Musiciens, chef, instruments et partition sont oppressifs.