Civilisation
L’œil écoute-t-il ce que voit l’oreille ?
Face à l’inflation visuelle envahissant l’univers musical, un subtil essai de Matthieu Guillot, docteur habilité en musicologie et musicien, nous rappelle l’étrange pouvoir des sons.
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Anthony Giambrone est exégète du Nouveau Testament (tendance Luc, si j’ose dire), dominicain, américain, vice-directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Bref, c’est un savant, qui enseigne sur deux continents.
Qu’enseigne-t-il ? La personnalité de Jésus. Sa position est assez originale car il pense que Jésus est Dieu, que les évangélistes sont de bons historiens, que Jésus maîtrisait les Écritures du fait de sa divine nature, qu’on ne peut le réduire à un prophète obsédé d’apocalypse, qu’il était conscient de sa divinité. Le résumer ainsi est presque lui faire injure car ce gros volume, riche de quinze textes, est en fait une magnifique cavalcade à travers deux siècles d’exégèse chrétienne. Tout part d’Albert Schweitzer, protestant allemand, qui, faisant œuvre d’exégète, bouleverse les théologiens et finit par réduire le Christ à sa seule dimension humaine. On sait la postérité de cette idée. A. Giambrone reprend cette « quête » schweitzerienne, dans un esprit à la fois scientifique et chevaleresque (et c’est un bonheur de sentir percer l’homme sous le savant et d’entendre résonner sa foi à l’arrière-plan de ses développements rigoureux), et nous permet de parcourir tous les débats exégétiques contemporains avec, en permanence, le souci d’en montrer les implications théologiques – et donc le souci de montrer que la théologie devrait se raccorder à l’exégèse et ne pas croire que le “Jésus historique” est désormais un objet scientifique distinct des méditations spirituelles.
Giambrone est-il pour autant “conservateur” ? Non. Il n’y a que les Français pour se crisper ainsi sur des positions intellectuelles dont on traque plus les indices peccamineux qu’on n’essaie d’en saisir la pensée (permettons-nous quand même de souligner la manière dont les progressistes sont extrêmement conservateurs quand il s’agit de figer un débat au point où il leur paraît qu’il les avantage, comme si la science ne progressait pas par ailleurs). Dans une lumineuse introduction, l’auteur raconte son livre et souligne les enjeux intellectuels et chrétiens de ces débats historiques, dominés par l’école protestante, auxquels il apporte le précieux contrepoint d’une vision catholique tout inspirée par les intuitions du Père Lagrange. Son livre fait le point, au double sens où il établit l’état de l’art exégétique et permet aussi de focaliser sur le point important : Jésus avait conscience d’être le Messie. Ceux qui sont familiers des débats catholiques percevront ce que la thèse, ressuscitée, a de révolutionnaire. Les autres seront saisis d’un bienheureux vertige à considérer comment une méthode appuyée sur une connaissance encyclopédique et un sensus fidei aiguisé réussit à produire une science à la fois assurée et spéculative.