Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Lorsque la mer se retire, retrouvons les bons et solides rochers qu’elle nous avait cachés.
Sans doute n’avons-nous jamais été aussi proche d’un monde sans hommes véritables. La fin de l’histoire annoncée se présente sous des traits méconnaissables, mais elle vient, non pour finir, simplement pour ouvrir de nouveaux temps. Des auteurs ont tenté d’offrir une image de ce qui se préparait, Aldous Huxley, George Orwell, Georges Bernanos… Deux sur trois se prénomment Georges, comme un signe du combat que le saint soldat devra livré une fois encore contre le dragon. Cependant, ils ont seulement entrevu dans le brouillard de l’invention. Comment auraient-ils pu savoir sans don de prophétie que le monde nouveau s’installerait un peu plus à l’occasion d’une épidémie, et grâce à des comités d’experts scientifiques sans autres armes que le principe de précaution ? Et que ces pantins ne sauraient même pas ce qu’ils font ? Que leurs chefs mêmes ne sauraient pas clairement ce qu’ils font ?
Nous aurions pourtant pu nous préparer à cette conquête qui se ferait selon les principes des organisations mafieuses : chacun ne doit connaître que son commanditaire immédiat, afin que tous ignorent qui est le Maître. Nous aurions dû comprendre que ce nouveau combat contre l’homme serait conduit comme a été conduit le premier de tous ces combats, par un Serpent menteur et trop aimable, qui nous propose ce qui nous flatte afin d’endormir notre bon sens. Le serpent – nous aurions pu le reconnaître dans le caducée des professionnels de santé – le serpent, qui n’est rien que le plus rusé des animaux de la terre, n’est pas le véritable adversaire ; il est celui qui nous endort gentiment, comme dans les contes pour enfants, afin que règne le Maître, le Maudit. Tout le grand guignol d’Hollywood, des guerres des étoiles et des apocalypses de studio, ne nous montre pas le Maître ; il nous montre les monstres nés de notre imagination qui s’est emballée dans l’angoisse. Une angoisse qu’on nous a instillée en même temps qu’on nous privait de ce qui permet de lui résister : le courage éclairé par la raison droite.
Pour connaître le Maître, on peut revenir à nos bons auteurs classiques, à notre fabuliste national, et relire quelques-unes de ses fables. Le Maître s’y présente par exemple sous les traits sympathiques du lion des Animaux malades de la peste, qui reconnaît ses torts et invite ses bons sujets à l’aider dans ses efforts pour sauver son peuple. Lisez la suite pour savoir ce qu’il en advint : on trouva un bouc émissaire, et on lui fit bien voir sa sottise d’avoir cru le lion et ses flatteurs. Il s’y montre aussi sous les traits du chat « qui sous son minois hypocrite » contre toute notre parenté « d’un malin vouloir est porté » (Le cochet, le chat et le souriceau) ; dans cette fable étonnante, on trouve même une figure de ce professeur excentrique, qui, comme le cochet, inquiète par son aspect, alors qu’il est toute bienveillance. Il s’y montre encore sous les traits changeants du renard, menteur impénitent, flatteur génial, trompeur éternel, ainsi qu’il parut d’abord dans le roman qui porte son nom.
On peut, on doit aussi revenir à notre immense Molière, un homme qui avait le bon sens si solide qu’il en est resté le modèle absolu. Voyez ce qu’il dit des médecins, et vous saurez tout sur ce qu’il faut penser de la cohue des experts en blouse blanche. Il a la dent dure, certes, et on peut considérer qu’il force le trait, remarquant d’ailleurs qu’il vivait aussi dans un monde où la médecine était fort novice et où les médecins ne méritaient pas beaucoup de respect. Cependant, son époque fut aussi celle de fort belles découvertes, celle de la circulation du sang par exemple, et de grands et bons médecins, dont les travaux furent portés à la connaissance du public à partir de 1665 par le Journal des savants (créé par Colbert, soutenu par Louis XIV, passionné de sciences et de progrès), et qui, en faisant avancer le savoir et les pratiques, « ouvrirent la voie à la médecine moderne », comme l’écrivit le professeur Roger Rullière. Molière le savait, bien sûr. Mais pour lui, plus la médecine pouvait impressionner par ses progrès, plus il fallait se moquer de ses prétentions à régir notre vie, afin de ne pas tomber dans l’esclavage de cette idole souriante : la santé. Relisez Le malade imaginaire, relisez-le avec l’œil à l’affût de ce qui permet de garder l’esprit libre. Vous verrez en Argan le parfait exemple de l’homme moderne, qui, voulant être soigné avant d’être malade, remet son libre-arbitre entre les mains d’un expert en guérisons, et qui, ce faisant, oublie que la vie est fragile, toujours menacée, que la mort est son terme nécessaire, inéluctable. Qui oublie surtout que la vie doit être réglée selon des principes moraux, non selon des critères médicaux.
Il ne s’agit pas d’être imprudent, il s’agit d’être raisonnable ; il ne s’agit pas de faire l’imbécile, mais de se conduire avec prudence, l’esprit clair et l’âme forte. Ne jamais oublier que ce ne sont pas les médicaments qui nous guérissent, que c’est la machine de notre corps qui se rétablit, avec l’aide de médicaments bien choisis certes, mais aussi bien souvent sans aucun médicament. Jamais en tous cas la médecine ne guérira un corps épuisé, qui ne réagit plus par ses propres moyens. Ce sont nos anticorps qui repoussent les microbes, bactéries et virus, c’est notre système immunitaire qui vainc les invasions dangereuses de ces animalcules. Comme disait Molière, c’est toujours la nature qui nous guérit. Et quand la nature affaiblie, épuisée, usée devient incapable de faire face, il est inutile de s’acharner : à quoi bon faire survivre artificiellement un corps qui se dérègle de partout ? Ce n’est pas parce qu’on est capable de créer l’illusion pour un temps qu’il est bon de le faire en jouant à l’apprenti sorcier.
Pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui de rappeler toutes ces banalités ? Parce qu’on a fabriqué une humanité assotée, inculte et stupide, incapable de penser par elle-même. Cela a été voulu et programmé pour avoir des troupeaux aux bons réflexes, qui n’obéissent plus qu’aux slogans, publicitaires et autres, car aujourd’hui tout est slogan dans un monde où les journalistes n’ont presque plus d’autres fonctions que de colporter et amplifier les fariboles. Et puisque nous sommes, nous dit-on, des gens instruits, informés et citoyens, il faut que ces fariboles soient garanties par des experts, authentifiées par des chiffres, des camemberts, des courbes, des schémas, qui ne sont rien d’autres que les avatars actuels des signes cabalistiques que constituait le latin boursouflé des Diafoirus de notre grand Molière.
Que faire pour se tirer de cette chienlit ? Penser droit, rester ferme, être honnête homme comme on disait autrefois. Cela n’empêche pas de mourir à son heure, mort qu’il faut préparer en philosophant et priant, mais cela permet de vivre avec dignité, sans accepter de participer au Grand Guignol pour y être applaudi. De rester un homme, en somme.
Illustration : L’Angoisse, le Mensonge, l’Expert, la Soumission. Daniel Rabel, Première entrée des fantômes (ballet donné le 8 mars 1632 au Louvre).