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Un monument aux défenseurs

Voulus par Louis XIV, qui considérait qu’il était « bien juste que les soldats, qui par leurs longs services et leur âge, sont hors d’état de travailler et de gagner leur vie, aient une subsistance assurée pour le reste de leurs jours […] et y trouvent aussi une retraite honorable », négligés par la IIIe République, pillés par les Allemands en 40 et enfin restaurés et choyés depuis les années 1990, les Invalides fêtent leurs 350 ans.

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Un monument aux défenseurs

Ils n’ont pas vieillis. Leur aspect formidable s’adoucit dès qu’on s’approche, et une fois le porche passé la cour offre un aspect magnifique et reposant. L’ensemble est gigantesque mais n’écrase pas. Les piliers rythment le rez-de-chaussée, où étaient les réfectoires, et la grande galerie du premier étage, où étaient les dortoirs, chambres des officiers, chauffées, en accès direct, dortoirs des soldats au-dessus, chacun ayant son lit. On n’imagine pas, aujourd’hui, ce que représentent ces trois mots, « chacun son lit ». C’était la fine pointe du médico-social.

Les vieux guerriers, ou les impotents, avaient d’abord été logés de force dans les couvents… Les reîtres s’accommodaient mal des offices, les moines supportaient mal leurs manières. D’où l’idée des Invalides, cet « hostel royal pour y loger tous les officiers et soldats tant estropiés que vieux et caduques » – hôtel qui était tout à la fois hospice, hôpital, caserne et couvent – qui ont versé leur sang pour la monarchie : « nous avons estimé qu’il n’était pas moins digne de notre pitié que de notre justice de tirer de la misère et de la mendicité les pauvres officiers et soldats de nos troupes qui, ayant vieilli dans le service ou qui dans les guerres passées ayant été estropiés, étaient non seulement hors d’état de continuer à nous rendre des services, mais aussi de rien faire pour pouvoir vivre et subsister ; et qu’il était bien raisonnable que ceux qui ont exposé librement leur vie et prodigué leur sang pour la défense et le soutien de cette monarchie, et qui ont si utilement contribué au gain des batailles que nous avons remportées sur nos ennemis, aux prises de leurs places et à la défense des nôtres, et qui par leur vigoureuse résistance et leurs généreux efforts les ont réduits souvent à nous demander la paix, jouissent du repos assuré à nos autres sujets et passent le reste de leurs jours en tranquillité ».

On ressent, en se promenant sur la galerie, cette tranquillité que promet Louis XIV. On y éprouve toute la grâce du classicisme français, cette légèreté obtenue apparemment sans effort (alors que les masses des piliers sont considérables et les dimensions de l’édifice, monumentales), cette élégance sans apprêt, ce confort discret qu’on éprouve sans en prendre conscience, comme lorsqu’on monte les escaliers. Libéral Bruand avait le génie du commode qui n’est pas vulgaire, et la capacité à imaginer le grandiose sans lui sacrifier la vie. Avant d’être choisi pour les Invalides, il avait œuvré à l’hôpital des mendiants de la Salpêtrière concevant entre autres l’ingénieuse chapelle et ses flux évitant de mélanger les malades aux bien-portants.

Une ville et deux églises

Logés, nourris, soignés, les invalides qui pouvaient exciper de dix (ensuite vingt) années de campagnes, étaient aussi occupés. Les Invalides sont une petite ville, avec des ateliers, une boulangerie, un corps médical à demeure et des religieuses, une apothicairerie, six infirmeries (avec trois cents lits individuels), un règlement (les punis ne boivent que de l’eau, par exemple) et un uniforme… Les pensionnaires produisent souliers, tapisseries et livres enluminés, qui partent pour Versailles. La ville est organisée autour des deux églises, celle du soldats et celle du roi. Louis XIV méditait d’avoir une chapelle funéraire dédiée aux Bourbons, ayant dû renoncer à modifier Saint-Denis, mais il mettra trente ans à en recevoir les clés, en 1706. Son église fut saccagée par l’absurde projet de tombeau napoléonien, à peine racheté par les autres illustres soldats qui y dorment aujourd’hui. La première église fut préservée par la Révolution, qui décida d’accrocher à ses murs les emblèmes pris à l’ennemi. Le gouverneur militaire les fit tous brûler en 1814 alors que les coalisés envahissaient Paris. Les Allemands, qui pillèrent le musée de l’Armée (établi en 1905), enlevèrent les emblèmes qui rappelaient leurs défaites. Un drapeau nazi y pendit longtemps avant que de bonnes âmes s’en offusquent. Aujourd’hui la cathédrale Saint-Louis, l’église aux soldats, laisse tomber de ses verrières une lumière pâle sur des bancs vides. Alors que nous traversions la nef pour aller admirer l’emphatique tombeau de Napoléon, un journaliste fut retenu par un autre alors qu’il s’approchait du maître-autel : « Attention, il y a une lumière rouge, c’est interdit ». Il faudra, je crois, redonner une teinture d’histoire et de religion aux journalistes chargés des arts.

Et dans le reste du bâtiment, petites lumières rouges de la patrie, ostensoirs de nos guerres, des invalides, aujourd’hui, demeurent, ayant « exposé librement leur vie et prodigué leur sang » pour notre défense.

 

Illustration : Pierre Dulin (1669-1748), Établissement de l’Hôtel royal des Invalides, 1671. © Paris – musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Hubert Josse

Paul Maximilien Landowski (1875-1961), Tombeau du maréchal Foch. © Paris – musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / Anne-Sylvaine Marre-Noël

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