Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Le Périgord, géographie curieuse et insolite de Pierre Deslais[1] pourrait n’être qu’un guide touristique comme tant d’autres. L’on y trouve d’ailleurs les rubriques habituelles, la visite commentée des différents « pays » vert, noir, blanc et rouge, les monuments à voir, les paysages à admirer, les grands hommes à saluer en passant. Mais, et c’est toute l’originalité de la démarche, en lieu et place des photographies attendues, vous trouverez ici des illustrations anciennes, délicieusement désuètes, depuis l’affiche des chemins de fer jusqu’au images des écoles de jadis en passant par les gravures et les cartes postales. C’est charmant. D’autant que, derrière cette façade vieillotte se cache un texte documenté, intelligent, intéressant. De quoi sortir des sentiers battus, mais aussi faire un joli cadeau.
N’est-ce pas aussi, mais d’une autre manière, un guide touristique que propose Noël Balen, que ce soit avec la collaboration de Vanessa Barrot quand il s’agit de narrer les enquêtes gastronomiques de la journaliste Laure Grenadier, ou celle de Jean-Pierre Alaux quand il poursuit la série à succès Le sang de la vigne ? En effet, dans les deux cas, le but est le même : offrir une ballade distrayante à travers un terroir et, sous prétexte d’énigme criminelle à résoudre, faire découvrir l’histoire et les spécialités d’une région, ainsi que quelques bonnes adresses, au demeurant souvent hors de portée des moyens du lecteur ordinaire … La formule fonctionne plutôt bien et, même si son aspect publicitaire peut parfois agacer, tout cela se lit avec un réel plaisir. Les derniers titres des deux séries conduisent pareillement en Dordogne.
Rien à faire : Laure Grenadier, rédactrice en chef du magazine Plaisirs de la table, ne peut s’intéresser à un restaurant ou une spécialité locale sans marcher sur des cadavres. Cette fois, c’est celui de la fameuse « Tante Adèle », une légende du Périgord. La vieille dame aurait fait une chute malencontreuse dans ses escaliers … Une version à laquelle ses proches ont du mal à souscrire : nonagénaire, Adèle courait encore les bois pour ramasser des cèpes ; elle avait le pied sûr ! Et puis, pourquoi son fameux carnet, réputé receler des secrets, et pas seulement ceux de ses fourneaux, a-t-il disparu ? On prétend que cette héroïne de la Résistance connaissait l’emplacement d’un trésor fabuleux, qu’elle avait hérité d’une parente un tantinet sorcière la recette de l’élixir de jouvence … Pour faire la vérité sur les circonstances du décès de la vieille restauratrice, Laure prendra tous les risques.
Balen et Barrot, dans Mortelle fricassée[2], ne changent pas une recette qui marche. Sur une intrigue policière minimale, ni trop salée ni trop saignante, ils servent les bonnes tables de Dordogne, évoquent l’élevage du canard gras, vantent ses mérites pour la santé, vous baladent en forêt à la recherche de champignons, dressent les portraits inquiétants d’une Anglaise patronne d’une maison d’hôtes passionnée de polars, d’un pharmacien de Périgueux obsédé par la médecine traditionnelle, du responsable d’un étrange centre de relaxation, d’une militante anti-foie gras. Et le tour est joué.
Même recette et même tour de main dans Raisin et sentiments, cosigné cette fois Balen et Alaux[3].
Grand émoi en Bergeracois : en interdisant la chaptalisation des vins, la commission européenne met en danger la survie des sauternes, monbazillac et autres liquoreux haut de gamme. Cette fois, « l’exception française » ne joue pas. Pour les producteurs aux abois, Benjamin Cooker, l’œnologue de réputation internationale, représente l’ultime espoir de ramener les technocrates de Bruxelles à la raison. Peu enthousiaste, Cooker, toujours flanqué de Virgile, son jeune adjoint, accepte une mission perdue d’avance et se rend en Dordogne, pour y tomber en plein drame. On vient de retrouver, sur une pierre druidique, le cadavre décapité d’un des jeunes producteurs les plus doués de la région. Et tout le pays bruit de folles rumeurs …
Pourquoi le nier ? Ces deux romans se lisent sans déplaisir et l’on éprouve à la fin des velléités d’excursion périgourdine, ainsi qu’une soudaine envie d’un verre de pécharmant ou de monbazillac …
Balen, qui connaît ses classiques, se réfère volontiers à la bible des gastronomes périgourdins, La bonne cuisine du Périgord de La Mazille, pseudonyme rustique d’une grande bourgeoise parisienne restée fidèle à ses origines provinciales.
Publié en 1929, régulièrement réédité[4], voici un prodigieux bouquin qui n’a pas pris une ride en quatre-vingt-dix ans. Non seulement vous y trouverez, de la soupe au dessert, l’intégralité des trésors de la gastronomie périgourdine révélés dans leurs moindres secrets, mais vous vous régalerez à cette lecture. Car La Mazille, grande lectrice de Léon Daudet et admiratrice de son épouse, Pampille, qu’elle souhaitait égaler, est une historienne, une folkloriste, une sociologue parfaitement au fait des mœurs de sa province, de ses us et coutumes en même temps qu’une fée des fourneaux. L’écouter commenter la préparation de la sobronade, l’assaisonnement du tourain des mariés, l’art de manier allégrement truffes, cèpes et morilles, préparer le foie gras, apprêter le gibier fraîchement abattu, user à bon escient de la farine de maïs, cuire sous la cendre ou faire conserves et liqueurs de ménage est une invitation à un prodigieux voyage dans le passé à travers un pays de cocagne à peine fantasmé.
Les âmes sensibles frémiront quand même, mieux vaut le dire, à l’évocation du cruel piégeage du renard ou de la bonne manière de tuer volaille ou cochon pour récupérer leur sang, tout comme les diététiciens se trouveront mal à la lecture de ces menus « ordinaires » faisant se succéder huit ou dix plats sur la table. Autre temps, autres mœurs …
Il ne faut donc pas s’étonner si, pour se conformer aux diktats sanitaires actuels, les chefs contemporains choisissent de revisiter des recettes traditionnelles jugées, à tort semble-t-il, néfastes pour la santé.
Jacques Thorel s’est attaqué au magret[5], solide filet de canard gras cher à la cuisine du Sud-Ouest. S’inspirant de cuisines étrangères, il décline une suite de préparations inattendues, parfois iconoclastes, voire dérangeantes, mais le plus souvent tentantes à vous faire monter l’eau à la bouche.
Bouillon de canard au thé et au gingembre, infusion de canard à la citronnelle, magret de canard aux épices pour amateurs de saveurs asiatiques ; bricks de canard à la marocaine, pastilla de canard, magret courgette et menthe, à la cannelle, aux épices, citrons, oignons et dattes si vous aimez la cuisine orientale ; au poivre, prunes et compote d’oignon, à l’écorce d’orange, aux griottes, aux figues, aux poires, à l’ananas si vous appréciez les fruits ; canard en croûte de sel, aux cèpes, aux frites, aux navets, au sang, à la ficelle, à la truffe, à la bordelaise, à la moutarde, histoire de revisiter vos classiques. Sans parler des chaussons, farcis, palets, cakes, salades et façons d’utiliser le magret fumé. Été comme hiver, voici une mine d’idées pour préparer le magret, certes, mais aussi le canard entier.
Guy Guilloux s’est chargé du foie gras[6]. Mets festif, relativement cher, réputé difficile à cuisiner, le foie gras fait souvent peur aux amateurs qui préfèrent l’acheter tout prêt, quitte à avoir de mauvaises surprises à la dégustation. Ce petit livre leur permettra d’appréhender sans angoisse les diverses façons de le préparer et de découvrir qu’il s’accommode des voisinages les plus inattendus, fût-ce du poisson ! Des classiques terrines et tranches poêlées accompagnées de fruits ou de légumes, vous passerez à des innovations parfois déroutantes mais séduisantes, tel ce fondant au chocolat au cœur de foie gras servi en dessert que vous ne rencontrerez pas sur toutes les tables.
[1] Ouest-France, 115 p, 15,90€.
[2] Fayard ; 200 p ; 15 €.
[3] Fayard ; 186 p ; 17 €
[4] Flammarion ; 490 p ; prix non communiqué
[5] Trop bon ! Le magret de canardOuest-France ; 66 p ; 9 €.
[6] Trop bon ! Le foie grasOuest-France ; 68 p ; 7,90 €.