Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Sous prétexte de progrès et de modernité, le monde d’aujourd’hui converge vers le « tout numérique » et en fait miroiter l’intérêt aux alouettes que nous sommes. Cela concerne aussi bien la santé et la sécurité que le commerce essentiel et les paiements dans la vie de tous les jours. Est-il permis de douter des bienfaits qui en découlent ? Est-il simplement possible d’y échapper ? Et à quoi pensent ceux qui promeuvent cette évolution ?
Grâce au développement des télécommunications et aux progrès de la technologie numérique, avec cependant un petit temps de retard sur la Chine, les caméras de surveillance ont envahi les rues, les places et même les autoroutes dans le but avoué de lutter contre la grande – et même la petite – délinquance. La reconnaissance faciale doit rapidement ajouter à l’efficacité de ces dispositifs. Tous ces éléments combinés présentent une aide certaine pour identifier, après-coup, les malfaiteurs… à défaut de favoriser leur appréhension, leur jugement et leur condamnation. Qui, dans la population serait assez fou pour critiquer ces outils au service de la transparence et qui donnent l’apparence d’une meilleure sécurité ? Illusion, en fait que tout cela ! Puisqu’ils n’empêchent pas les mauvais coups d’être commis mais permettent simplement de faciliter la recherche de leurs auteurs, lesquels sont ensuite, au mieux, dotés d’un bracelet électronique qui ne les empêche en rien de récidiver. Les drones, qui sont aussi de purs produits de la technologie numérique, sont venus accroître l’efficacité de cette surveillance permanente qui sert désormais de succédané à la sécurité véritable. Mais ces outils sont aussi et surtout merveilleux pour surprendre les indélicats qui portent atteinte à l’environnement en laissant traîner des papiers gras ou aux automobilistes pressés qui dépassent légèrement les limites de vitesse – en attendant la généralisation du système d’« Adaptation Intelligente de la Vitesse » – tant il est plus facile de percevoir des amendes que d’envoyer quelqu’un méditer en prison.
Les pays membres de l’Union sont pour « le filtrage obligatoire des communications privées »
La pandémie – ou prétendue telle – de Covid-19 a aussi permis de renforcer considérablement le contrôle et le suivi de la santé publique. Le conseiller du président Biden, le Docteur Fauci, annonce déjà qu’il y aura bientôt probablement une nouvelle pandémie dont les Pouvoirs publics auront la responsabilité de protéger les citoyens. Bienheureux sommes-nous d’avoir le QR-Code et le passe sanitaire qui permettent à ceux qui suivent les préconisations gouvernementales – ce ne sont pas des obligations, sinon les représentants des Pouvoirs publics seraient obligés d’en assumer la responsabilité – de jouir d’une « vraie » liberté… surveillée ! Tant pis si l’efficacité l’emporte sur l’humanité. Ce qui importe, c’est que l’on puisse, en cas de besoin, désactiver automatiquement le passe sanitaire des citoyens à risques. Aujourd’hui, une seule infection est traquée mais, demain, les ressources numériques ayant été accrues, il sera possible de détecter tout comportement dangereux ou simplement déviant. Et, pour une plus grande efficacité de tous ces suivis, au bénéfice du peuple, on utilisera un seul et même outil discret, devenu indispensable : le téléphone portable ; ce qui est plus moderne, élégant et efficace qu’un collier et laisse moins de traces sur le « col pelé » du chien de La Fontaine.
Pour faciliter à tous l’accès à tous les produits disponibles en quelque point du monde que ce soit, on a développé le commerce à distance ; on a imaginé et répandu le « click and collect » (clique et rapplique) et cherché à développer la livraison par drones. On a ainsi répondu aux objectifs des commerçants et aux fantaisies des consommateurs, tout en assurant la survie des producteurs. Mais, grâce à cette technologie faisant encore appel au numérique, « on » peut maintenant suivre les habitudes de consommation des clients potentiels, leur faire miroiter l’intérêt des objets connectés et connaître tant leur capacité pécuniaire que leur propension à s’endetter, ce qui facilite grandement le travail des publicitaires et aussi du fisc. Tout le monde y gagne !
Une nouvelle avancée est désormais attendue de la monnaie électronique d’État – ou de l’Union européenne que vante déjà Christine Lagarde –, celle qui demain relèguera le bitcoin au rayon des antiquités. La Chine a prévu de lancer la sienne dès les prochains Jeux olympiques d’hiver. Grâce à cette monnaie numérique les Pouvoirs publics pourront, par exemple, infliger des taux d’intérêt négatifs à l’épargne qui ne serait pas éthique, geler les avoirs du citoyen qui serait tenté de financer les campagnes électorales d’un « complotiste » et calculer sans difficulté « l’empreinte carbone » de chaque consommateur pour lui couper immédiatement le crédit s’il mettait en danger, de façon inconsidérée, le climat de la planète. Ultérieurement, ne doutons pas qu’un consommateur ayant une propension à mettre en danger sa propre santé et les comptes de la Sécurité Sociale par une acquisition trop importante de produits alcoolisés, se verra couper son crédit, tout comme le moteur de sa voiture. Tout mauvais citoyen qui aurait tendance à abuser d’un produit tracé – on ne dit plus surveillé – grâce à son « code barre » pourra donc se voir privé de la possibilité de mobiliser les sommes dont il disposerait pourtant sur son compte. Cela sera d’autant plus facile que la monnaie fiduciaire – celle en qui on est censé avoir confiance, en deux mots, les espèces – aura été avantageusement remplacée par la monnaie numérique, celle que l’on peut véhiculer au moyen de son téléphone portable. C’est plus rapide et tellement plus pratique !
Pour simplifier la vie de tous les citoyens, les gouvernements, dans leur grande sagesse, cherchent à privilégier l’accès à toutes ces avancées sur un seul outil, devenu indispensable aujourd’hui : le téléphone portable. Plus besoin de porte-monnaie ni de carte bancaire, plus besoin non plus de Carte Vitale, tout y sera stocké depuis le ticket de métro ou le billet de cinéma jusqu’à la carte d’identité ou le passeport (les pays africains sont bien plus avancés que nous dans cette concentration numérique). Sans oublier, bien sûr, les applications volontairement téléchargées par leurs utilisateurs pour pouvoir se repérer dans la nature ou trouver l’itinéraire le plus rapide pour arriver à destination. Cela tombe bien, les autorités de surveillance pourront à tout moment « géolocaliser », « en temps réel », chaque abonné à ce service prétendument gratuit. Fin octobre 2021, la Commission européenne a fait un pas de plus en proposant la mise en place d’un projet d’identité numérique commune qui, couplé avec le système de Signature Électronique Qualifiée (SEQ), permettrait de mieux vérifier l’identité de chacun. Et, pour éviter que certains citoyens ne fassent un mauvais usage de leur liberté en répandant des « fake news », les ministres de l’Intérieur des pays membres de l’Union se sont prononcés pour « le filtrage obligatoire des communications privées » sur les réseaux sociaux.
Les grincheux qui, s’ils veulent rester libres, devront accepter de n’avoir plus que « les os et la peau », pourront dire qu’un tel outil constitue un véritable « fil à la patte », qu’il est déjà générateur de près de 5 % des émissions de gaz à effet de serre – plus que tout le trafic aérien mondial – et qu’il nécessite une débauche d’énergie que ni les éoliennes, ni les champs de panneaux voltaïques, ni même les barrages hydrauliques et autres usines marémotrices, ne sont capables de fournir et que donc il faudra multiplier les centrales à « énergie fossile », nul ne les écoutera. De même que le Mâtin a librement choisi de flatter les puissants pour avoir « franche lippée » et recevoir des caresses, de même l’homme connecté a librement chargé les applications qui dévoilent son intimité en échange de ce qu’il croit être « un bien meilleur destin ». On n’arrête pas le Progrès. Bienvenu dans « la grande maison des solitudes numériques », comme la nomme Philippe de Villiers, cette maison virtuelle commune où l’espace et le temps sont abolis, isolant les individus et tuant les relations.
Illustration : #TousEnfinLibres