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Terminator

Philip K. Dick, à qui l’on demandait un jour de définir le genre littéraire dont il s’était fait un des maîtres incontestés, disait : « Dans la science-fiction, l’auteur étend son pouvoir créateur bien au delà des personnages, jusqu’à l’univers lui-même : il le conçoit exactement de la même façon qu’il conçoit chacun de ses personnages, il le crée, même s’il y introduit parfois certains éléments venus du monde réel ».

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Terminator

Le cinéma emboîta rapidement le pas à la littérature, en ce domaine, avec Le Voyage dans la lune de Georges Méliès en 1902. En 1969, le réel supplanta l’invention littéraire et cinématographique en permettant le premier alunissage de l’humanité sur le satellite naturel de la Terre. Avec Terminator (The Terminator, 1984) de James Cameron, difficile de ne pas voir que la réalité est en train de rejoindre la fiction, jusqu’à, vraisemblablement, la dépasser un jour. Nous sommes en 2029, la planète, quasiment détruite par une guerre nucléaire, est le théâtre d’un affrontement inégal entre les humains et les machines. La résistance tenace de John Connor oblige celles-ci à envoyer un cyborg en 1984 afin de supprimer Sarah Connor, la mère de John. Les humains expédient également un des leurs dans le temps afin de protéger la jeune femme. Entre western urbain et polar d’anticipation, tout à la fois, il ne manque rien à ce film, véritable spectacle chorégraphique où les effets spéciaux sont pleinement au service du scénario, pas même une angoissante bande originale mêlant tambours du Bronx et synthétiseur. Cameron fut remarqué et formé par un certain Roger Corman, génial artisan du fantastique de série B (La Chute de la Maison Usher, Le Corbeau, Le Masque de la Mort Rouge…). Terminator fut un coup de maître, qui fit rapidement oublier son dispensable premier coup d’essai, Piranha 2 ; Les Tueurs volants, coproduction américano-italo-néerlandaise sortie en 1981 (qu’il renia, d’ailleurs).

Le créateur prend le risque d’être le jouet de sa créature

Culturiste autrichien émigré aux États-Unis ayant remporté à sept reprises le titre de Monsieur Univers, Arnold Schwarzenegger, en parfait cyborg (mi-machine, mi-homme) meurtrier inexpressif et sans âme (qui n’est pas sans rappeler le psychopathe Michael Myers de la franchise Halloween), campe un rôle où l’économie de moyens (peu de dialogues et une présence physique impressionnante) et la direction d’acteur furent les ingrédients-clés du succès – ayant « à peine » coûté 6 millions de dollars, le film en rafla 80. Cameron se montre un excellent directeur d’acteurs autant que fin connaisseur de la grammaire cinématographique, usant à merveille de la contre-plongée, des plans fixes et autres effets de travelling. Satire de la société d’hyperconsommation et de l’individualisme hédoniste, le film s’offre surtout à voir comme une fable philosophique. L’hubris prométhéenne de l’homme le pousse non seulement à s’autodétruire (guerre nucléaire) mais encore à s’aliéner entre les mains déshumanisantes d’un golem technologique (ici des cyborgs) échappant à son contrôle. Dans la lignée de Frankenstein, le film montre que le créateur, si enivré soit-il de sa puissance démiurgique, prend le risque irréversible d’être le jouet de sa créature ; il s’aperçoit trop tard qu’à s’opiniâtrer à concurrencer Dieu, il finit écrasé sous le poids de sa propre vanité. Heidegger et Ellul s’invitent clairement dans cette dénonciation apocalyptique de la puissance technicienne. Isaac Asimov, également, qui exposa, jadis, ses fameuses lois de la robotique : un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger ; un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ; un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi. À l’heure des « Intelligences artificielles », véritables Terminators en puissance dotées d’un savoir supérieur aux capacités humaines, revoir et méditer un tel film relève d’un impératif de salubrité publique.

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