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Splendeur du rêve polonais

Jean Hautepierre a décidé, il y a longtemps, que la tragédie classique en alexandrins n’était pas un genre périmé.

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Splendeur du rêve polonais

Néron, Tristan et Yseult ou Louis XIII ont confirmé non seulement que la chose était possible mais encore qu’il le prouvait avec talent. Posant plus loin son regard, il nous offre aujourd’hui Jean Sobieski ou la Bataille de Vienne, pièce centrée sur une figure royale partagée entre son amour pour Dieu, celui pour son pays et celui pour sa femme, qui aimerait que son royal époux ait moins le sens du devoir. Sobieski lutte contre les Turcs, contre les dynasties européennes, contre ses généraux, contre son Parlement, contre son cœur. Et il triomphera de tous, rejetant les Turcs hors d’Europe pour plus de trois-cents ans – jusqu’à aujourd’hui. Où l’on comprend que cette tragédie a une actualité, et que ressusciter un modèle de monarchie antiparlementaire alors même que la Commission européenne achève de dissoudre l’Europe n’est pas qu’une question de fidélité scrupuleuse à l’histoire polonaise. Mais ce serait presque passer à côté du texte que de le réduire à une lecture politique, même si l’auteur ne l’écarte pas. Jean Sobieski est une tragédie, c’est-à-dire qu’au-delà des faits et de leur présentation le lecteur a sans cesse devant lui la question du destin et l’ombre de la mort : Sobieski sait combien sa victoire totale est en fait fragile, et, de la stupeur où sont plongés les Polonais à l’annonce de l’arrivée des Turcs (Mais il n’était autour de nous que le silence /Sur le sombre péril de ce flot qui s’avance : / Un tel silence avait pour but impérieux / D’éviter que la peur se fixe en tous lieux) jusqu’au plaidoyer désespéré de Sobieski devant la Diète (Car tout autour de nous se pressent en cohortes, / Comme se disputant la patrie déjà morte, / Tous ceux qui comme vous aliénant notre État, / Semblent ne rien vouloir qu’en hâter le trépas.), on ne peut qu’être saisi par ce sentiment d’une fin indéfiniment ajournée mais absolument certaine. La victoire finale, outre que l’on sait que Sobieski échouera dans sa réforme de la monarchie polonaise, est toute colorée par les siècles que le roi n’a pas connus mais qui ont tous défait ses rêves. En trois actes, ramassant en trois moments fatidiques (défense de Vienne, soumission de la Diète, victoire de Vienne) cet épisode historique crucial, Jean Hautepierre nous fait sentir le vrai drame de toute nation : elle seule croit en son destin, et celui-ci est rarement remis dans les mains capables. Les personnages sont attachants, comme le général de Stahremberg ou Fantasio, mais c’est la Pologne, invisible et silencieuse, qui emplit tous leurs dialogues et espère ne pas mourir. Un souffle épique court de bout en bout.

 

 Jean Hautepierre, Jean Sobieski ou la Bataille de Vienne. Pardès, 2020, 96 p., 12 €

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