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Sentir profondément le réel

Boudin admirait Monet mais avait une juste opinion de l’homme, bourgeois dépensant sans compter pour son confort alors que Boudin, fils de pêcheur, mousse puis papetier-encadreur, peintre autodidacte, connaissait le prix de l’argent, de l’honnêteté et de l’amitié. Il traitera donc Monet de poulpe naufrageur au moment où ce dernier continuait à exiger de Durand-Ruel, en grande difficulté, qu’il le payât pour ses toiles, oubliant toutes les années où le marchand l’avait soutenu.

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Sentir profondément le réel

Ça rend Boudin très aimable et on admire sa peinture avec l’agréable sentiment de partager avec l’artiste une certaine conception de la vie ; mais on peut aussi admirer les toiles de la collection de Yann Guyonvarc’h sans songer à Monet, ni même à l’impressionnisme, dont Boudin dit qu’il « ouvr[ait] la voie à toutes les négligences possibles », si juste prophétie. D’ailleurs, Boudin sera apprécié par Degas et Fantin-Latour bien plus que par les impressionnistes. Boudin ne peint pas des impressions mais des plages et des réunions mondaines, espérant que la bourgeoisie locale aimera se reconnaître (calcul déçu) ; il ébauche ses toiles dehors mais les perfectionne à l’atelier, tout en veillant à leur garder un air « sur le motif ».

Toujours admirablement composées, ses toiles conduisent le regard de plans en plans ou de groupes en groupes, dans lesquels on peut isoler un effet de lumière, des nuages, une falaise à Camaret, une ombrelle jaune à Trouville, des Bretonnes assises à L’Hôpital-Camfrout, un amoncèlement de sabots sur un marché, des riens au charme fou, comme sur La plage de Sainte-Adresse à marée basse (1856) sur laquelle « il n’y a guère qu’un petit bateau, des chevaux qui transportent du caillou ou de la glaise, des riens. » Riens qu’il restitue avec une minutie dissimulée sous sa touche faussement rapide, jetée en apparence seulement (sur cette toile – et tant d’autres –, il faut regarder avec attention le modelé des nuages et se souvenir que Boudin admirait Ruysdael). La touche est précise, la couleur est pensée, le sujet est clair, Boudin soigne les détails quand bien même ses colombes ne sont que deux coups de pinceaux : les Laveuses au bord de la Touques (1894), si impressionnistes, si on veut (mais on tend beaucoup plus vers Vuillard) dans l’apparent fouillis fondant personnages, ballots de linge et berge, sont en fait soigneusement cernées par le peintre qui reprend les tons de la rivière pour arrêter les profils des chignons. Sur une autre toile au même titre, de 1886, les berges, à gauche, sont à elles seules un vrai paysage, finement observé, avec une richesse de tons et une variété dans le geste qui prouvent tout le soin que Boudin met à restituer non pas une impression mais une observation, renvoyant en fait bien plus au XVIIe siècle qu’au XIXe et encore moins au XXe : le père de l’impressionnisme se voulait fils des classiques, dont le rapport au monde lui paraissait bien plus sain. Sentir profondément le réel et plus fructueux que de se projeter à sa place.

Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme. Musée Marmottan Monet, jusqu’au31 août 2025.

On lira avec profit Suivre les nuages le pinceau à la main (Correspondances 1861-1898), la correspondance d’Eugène Boudin dans une édition établie et présentée par Laurent Manœuvre. Éditions L’Atelier contemporain, 2025, 752 pages, 30 €

Illustration : Eugène Boudin, Réunion sur la plage, 1865. Collection de Yann Guyonvarc’h © Studio Christian Baraja SLB

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