Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Pendant que la France compte ses morts, le ministre de la Santé regrette qu’on n’avorte pas plus. Une réflexion sur le sens de cette étonnante préoccupation “sanitaire”.
Au début du confinement, Olivier Véran a évoqué une « réduction inquiétante du recours à l’IVG » à cause de l’épidémie de coronavirus. Il répondait, lors des questions au gouvernement, à l’interpellation de la passionaria de l’avortement, la sénatrice Laurence Rossignol, qui le sommait de faire quelque chose pour inverser cette tendance.
Rappelons qu’il existe en France deux types d’avortement. L’avortement dit thérapeutique, pratiqué en cas de péril grave pour la santé de la mère, qui peut être réalisé à tout moment de la grossesse. Et l’avortement à finalité « sociale », qui peut être réalisé pendant les douze premières semaines de la grossesse. C’est évidemment ce second type d’avortement qu’Olivier Véran et Laurence « Torquemada » Rossignol avaient à l’esprit.
Nous avons ainsi eu le spectacle intéressant d’un ministre de la Santé s’inquiétant publiquement, non pas des morts causées par le coronavirus, mais que des vies pourraient être sauvées par lui.
Que des enfants puissent naître au lieu d’être tués in utero, voilà qui lui paraissait tout à fait inadmissible, alors que le fait que les personnes âgées décèdent en masse dans la plus totale solitude, privées de toute visite de leurs proches dans des Ehpad transformés en bunker, eh bien, c’est comme ça, que voulez-vous, on n’y peut rien, l’épidémie, vous comprenez ?
Et pourquoi donc notre mal nommé « ministre de la Santé » juge-t-il « inquiétante » la baisse du nombre d’avortements ? Parce qu’Olivier Véran, en bon progressiste, a fait sienne la religion néo-féministe. Or, l’un des articles de foi essentiel de cette religion est qu’une femme qui avorte a toujours raison de le faire. Sa décision ne peut en aucun cas et sous aucune forme être remise en question, contestée, interrogée. Il en est ainsi car l’avortement est censé être quelque chose qui s’impose à vous, quelque chose que vous ne pouvez pas éviter, ou alors au prix de votre propre destruction. Donc, un avortement évité, c’est nécessairement une femme détruite, une vie de souffrance pour le restant de ses jours, c’est un drame, c’est une catastrophe épouvantable.
Ainsi s’explique, par exemple, la suppression, par la loi Vallaud-Belkacem du 4 août 2014, de la clause selon laquelle la femme qui veut avorter doit être « en situation de détresse ».
Selon le dogme féministe, une telle clause est redondante et même insultante : le simple fait qu’une femme veuille avorter prouve de manière irréfutable qu’elle est en situation de détresse, et que rien d’autre ne pourra mettre fin à cette détresse insupportable que l’avortement qu’elle demande.
Poser comme condition que la femme soit « en situation de détresse » laisse entendre que certaines pourraient demander un avortement sans être dans une telle situation, donc que pour elles l’avortement ne serait pas une nécessité. C’est intolérable.
Ainsi s’explique également la pression constante exercée pour allonger toujours plus le délai pendant lequel l’avortement peut être pratiqué, sans qu’aucun terme ne puisse être logiquement fixé à cette revendication. Puisque tout avortement est nécessaire, toute contrainte de délai doit être supprimée.
Un court instant de réflexion suffit pourtant pour voir que cet article de foi du néo-féminisme est en contradiction directe avec un autre article de foi, celui selon lequel l’avortement serait un « droit » inaliénable et sacré, qui découlerait du droit à disposer librement de son corps. « Mon corps, mon droit, mon choix », tel est l’un des slogans favoris des féministes contemporaines. En avortant une femme exercerait simplement sa liberté la plus élémentaire et la priver de cette possibilité reviendrait à la priver de la libre disposition d’elle-même, autant dire que ce serait un acte hautement tyrannique.
D’un côté l’avortement est un choix (les partisans de l’avortement se présentent d’ailleurs comme « pro-choix »), de l’autre il est une pure nécessité, aussi inévitable que la chute d’un corps sous l’effet de la gravité. Comment expliquer une contradiction aussi flagrante ?
Pour le comprendre, il faut revenir au Saint Livre du féminisme contemporain, Le deuxième sexe. Beauvoir, et toutes ses disciples après elle, proclame que les femmes, après avoir été opprimées depuis la nuit des temps, doivent désormais « s’émanciper », devenir enfin « autonomes ». Mais émancipées de quoi, autonomes par rapport à quoi ? Émancipées des hommes, autonomes par rapport aux hommes, car ce sont les hommes, bien sûr, qui ont opprimé les femmes depuis toujours. Et comment les femmes peuvent-elles devenir des êtres autonomes ?
En gagnant leur vie, certes, mais surtout en prenant leur distance avec la maternité, pour ne pas dire en refusant purement et simplement la maternité, et en pratiquant, comme les hommes, une sexualité « virilement indépendante » (sic). C’est en effet dans la sexualité et ses conséquences, à savoir la maternité, que Beauvoir prétend trouver la cause première de l’oppression des femmes.
Les femmes sont attirées par les hommes, et les hommes sont attirés par les femmes, mais, dans les jeux de l’amour et du hasard, les femmes ont jusqu’à maintenant été très désavantagées par rapport aux hommes, pour deux raisons.
D’une part les femmes ont ordinairement beaucoup plus de mal que les hommes à séparer la sexualité et les sentiments. Les hommes ont, pour s’échapper après une relation sexuelle, un équipement mental qui en général manque aux femmes. Pour un homme un rapport sexuel peut être juste cela, un moment plaisant sans conséquences ni lendemain. Pour une femme un rapport sexuel, particulièrement s’il est réussi, conduit souvent à espérer un attachement durable et profond de la part du partenaire et, si ces sentiments ne sont pas au rendez-vous, conduira fréquemment à des sentiments d’abandon, de colère, et de dégoût.
D’autre part les femmes portent les enfants. Bien plus, la très grande majorité d’entre elles éprouvent à un moment ou l’autre de leur vie un intense désir d’avoir des enfants et de fonder un foyer, un désir qui, pour dire le moins, est beaucoup plus faible chez la plupart des hommes.
Les femmes se voient donc contraintes d’essayer d’amener les hommes à partager leurs vues sur les sujets qui leur tiennent à cœur, l’engagement, la fidélité, la famille. La force et la violence étant du côté des hommes, cela ne peut se faire que par la persuasion, une persuasion dont la contrepartie est en général une certaine soumission, au moins apparente, aux hommes.
Pour briser ce cercle fatal, il faut changer le rapport des femmes à la sexualité et à la maternité. Il faut émanciper les femmes des mythes de l’amour romantique et de l’instinct maternel, qui les rendaient dépendantes des hommes et des enfants qu’elles pouvaient concevoir avec eux.
Pour être enfin autonomes, les femmes doivent, d’une part, devenir aussi cavaleuses que les hommes peuvent l’être. Le cœur des femmes doit devenir calleux pour qu’elles puissent être libres.
D’autre part, une femme doit considérer le fait de tomber enceinte sans l’avoir voulu comme un malheureux accident, heureusement très facile à réparer. Elle ne doit en aucun cas et en aucune façon se sentir tenue de mettre au monde un enfant qu’elle n’a pas désiré, sinon cela l’attacherait d’une manière ou d’une autre à l’homme avec lequel elle l’a conçu. La sexualité doit être aussi dépourvue de conséquences pour elle que pour le mâle moyen, en tout cas tel que les féministes imaginent le mâle moyen.
Par conséquent, dans l’opus magnum de Simone de Beauvoir, le chapitre intitulé « La mère » s’ouvre sur de longues pages consacrées à la question de l’avortement, avortement qui, selon l’auteur, ne devrait pas être envisagé avec réticence ni regretté une fois accompli.
En vérité, nos modernes féministes ne sauraient être satisfaites tant que l’avortement ne sera pas considéré comme un acte aussi facile et anodin que d’avaler un verre d’eau. Tout remords, toute hésitation, tout signe que l’avortement peut poser un cas de conscience, sera la preuve que les femmes ne sont pas encore pleinement « émancipées ».
Cependant, assez rapidement, nos modernes féministes ont bien dû se rendre à l’évidence : il est très difficile de persuader la plupart des femmes qu’avorter est un acte indifférent. Cette position peut bien être la leur tant qu’elles ne sont pas enceintes, tant que l’avortement est pour elles une question purement théorique, mais, dès lors qu’elles savent qu’elles portent un enfant dans leur ventre, leurs sentiments changent, le plus souvent ; une certaine culpabilité s’empare d’elles à l’idée de mettre fin à cette vie qui commence et cette mauvaise conscience montre bien que la féminité et l’instinct maternel ne sont pas de pures « constructions sociales ». Puis, chez celles qui font malgré tout le choix de l’avortement, les remords ne sont pas rares, une fois l’acte fatal accompli, des remords qui peuvent être aussi déchirants qu’inattendus et qui peuvent vous suivre jusqu’à la fin de vos jours.
Face à cette difficulté persistante, et peut-être insurmontable, les grandes prêtresses du féminisme contemporain ont donc annoncé qu’elles avaient eu une nouvelle révélation : tout avortement procède d’une nécessité invincible, comme il l’a été expliqué plus haut.
Ainsi, pensaient-elles, les femmes finiraient par être enfin débarrassées de cette maudite culpabilité qui les empêche d’être pleinement « émancipées ». Bien évidemment, l’idéal serait que toutes les femmes deviennent lesbiennes, mais puisque cela non plus ne semble pas atteignable, alors prêchons du moins la nécessité de l’avortement, l’avortement comme nécessité.
Cependant, en même temps, comme aime à le dire notre très féministe président, à côté de ce dogme nouveau le dogme ancien subsiste, intact. L’avortement est un droit, c’est-à-dire une liberté et en même temps il est quelque chose qui, au sens strict, n’est jamais choisi.
La contradiction importe peu. La seule chose qui importe est l’oppression que les hommes font subir aux femmes et l’émancipation de ces dernières. Cette oppression est indiscutable, irréfutable, elle est de l’ordre de la révélation, et seuls ceux qui y croient sans réserve peuvent se dire féministes. Comme l’écrit fort justement Bérénice Levet, « être, se dire “féministe”, ce n’est pas simplement dénoncer les inégalités entre les deux sexes et travailler à les abolir, c’est expliquer ces inégalités par la volonté masculine de dominer les femmes, de se les soumettre, et ce depuis l’aube de l’humanité et partout dans le monde. »
Pour atteindre le but sacré de l’émancipation, on dira donc noir un jour et blanc le lendemain, on affirmera dans le même souffle et sans vergogne une chose et son strict contraire. De la même manière que, en leur temps, les communistes pouvaient louer le pacte germano-soviétique un jour et appeler à écraser le nazisme le lendemain.
En 1974, Simone Veil disait de son projet de loi légalisant l’avortement que, s’il s’agissait d’admettre la possibilité d’une interruption de grossesse, c’était « pour la contrôler, et, autant que possible, en dissuader la femme » et qu’il fallait prévoir une procédure conduisant la femme à « mesurer toute la gravité de la décision qu’elle se propose de prendre ». Ce qui montre bien que Simone Veil, soit était d’une parfaite mauvaise foi, soit, plus probablement, n’avait absolument pas compris quelle était la nature de la revendication féministe qu’elle portait devant le Parlement.
Dans l’imaginaire néo-féministe, l’avortement est une chose à célébrer, pas à regretter. Il est la clef de l’émancipation des femmes et par conséquent le nombre d’avortements ne saurait jamais diminuer. Que l’avortement soit présenté comme le résultat d’une implacable nécessité ou bien comme un choix souverain, toute diminution du nombre d’avortements sera inévitablement ressentie comme une « régression », une résurgence du patriarcat maudit. Si l’avortement est pure nécessité, la diminution du nombre d’avortements ne peut résulter que de la contrainte exercée sur les femmes qui demandent à avorter. Si l’avortement est un choix souverain, la diminution du nombre d’avortements ne peut résulter que d’une culpabilisation totalement illégitime des femmes, ou bien du refus coupable de leur donner les moyens d’exercer leur libre-arbitre. Dans un cas comme dans l’autre, toute réduction du nombre d’avortements est « inquiétante » et doit être énergiquement combattue.
Les Carthaginois sacrifiaient des enfants à Baal-Amon, le néo-féminisme exige sont lot annuel d’avortements, sans quoi les dieux se courroucent. On comprend qu’Olivier Véran soit inquiet. En bon carriériste, il sait ce qu’il en coûte de mettre en colère les dieux du néo-féminisme.
Illustration : Militante polonaise protestant contre une proposition de loi visant à interdire l’avortement en cas de malformation du fœtus, dont la possibilité de trisomie. Protéger ces embryons est assimilé à restreindre les droits des femmes.