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Représentation perpétuelle

Le Portrait d’Antoine Caron par François Quesnel est celui d’un homme mûr (il a alors 71 ans), au crâne dégarni mais bien pourvu en favoris, moustache et barbe. Il nous contemple avec cette gravité discrètement amusée que Quesnel et Clouet ont donnée à leurs modèles.

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Représentation perpétuelle

Au moment où il est peint, Henri IV vient de commencer son règne, vingt ans sont passés depuis qu’il a dirigé l’exécution des peintures pour l’entrée dans Paris d’Henri de Valois, roi de Pologne. Le premier roi de France pour qui il travailla fut François Ier. On sait peu de choses de lui sinon que son style, ses inventions de composition, ses modèles, sont prodigieusement suivis.

On le comprend : il propose une vision colorée, gracieuse, fantastique et intrigante de la vie, qu’il s’agisse de dessiner des costumes, d’imaginer des décors, de peindre la résurrection du Christ ou de représenter Les massacres du triumvirat avec une curieuse élégance : dans l’atmosphère limpide d’une ville aérée aux monuments soignés, même en ruines, des spadassins au justaucorps pastels brandissent des têtes ou fouillent des torses cependant que des chefs décapités s’alignent devant les promeneurs. Regarder un tableau de Caron, c’est pénétrer dans un monde à la fois inquiétant et joyeux où des troupes vêtues d’azur, de vert tendre de rose et d’orange – les garçons coiffés de cimiers emplumés – se promènent devant des autels antiques surmontés de colonnes torsadées pourpres aux pampres argentés pendant qu’à l’arrière-plan des nuques alignées regardent un tournoi (Auguste et la Sibylle). La fantaisie débridée des architectures, ces villes qui ne paraissent être que de grands espaces publics à symétrie centrale (Saint Denys l’Aréopagite convertissant les philosophes païens), destinés à accueillir des architectures éphémères monumentales, colorées et tourmentées, ces couleurs acidulées1, ces détails surabondants, l’évident plaisir de proposer fables et énigmes en glissant de savantes allusions, des objets incongrus et des scènes obscures disséminées de plan en plan jusqu’à l’horizon éloigné : Caron aime surprendre, retenir, divertir, convoquer la culture et provoquer l’analyse.

Le message d’une dynastie puissante ayant fait renaître l’âge d’or

On est dans un théâtre2, et c’est littéralement ce que vivent les courtisans des Valois sans cesse conviés et promenés « dans des décors spectaculaires et des reconstitutions grandioses de Paris » (le décorateur puisant dans les monuments existants pour composer un double onirique) où le goût de l’antique, l’archéologie parfois incertaine, les cavalcades, et l’exotisme se conjuguent dans un joyeux syncrétisme. Dans la magnifique suite de tapisseries La Tenture des Valois, exceptionnellement prêtée par Les Offices (elles sont réunies pour la première fois en France depuis plus de quatre siècles), on voit L’Assaut d’un bastion en forme d’éléphant ou encore L’Assaut d’une île sur l’étang du château de Fontainebleau. Les personnages au premier plans sont les Valois, les épisodes sont ceux de leur vie, si bien connus d’eux que nul texte, cartel ou monogramme ne vient aider le spectateur, au point que les historiens ont émis l’idée d’« une série ad usum Delphini, une image de l’unité de la famille pour elle-même, plutôt que pour des spectateurs extérieurs ». Si bien qu’aujourd’hui on identifie L’assaut de l’île à un spectacle joué la veille du départ d’Henri pour la Pologne ; mais l’éléphant reste un mystère. Qu’importe. Il est dressé sur une estrade tendue de vert, comme sur un tertre, supportant une tour à deux étages remplie de soldats tirant des feux d’artifice. Les troupes à l’antique se déploient autour de la bête et trois Valois, au premier plan, tournent tranquillement le dos à la scène et regardent le spectateur avec l’air détaché des personnes qu’on contemple mais qu’on n’ose pas déranger. Cinq siècles après avoir été tissés, ils sont encore en représentation et, par le génie de Caron, réussissent à porter encore leur message d’une dynastie puissante ayant fait renaître l’âge d’or. On ne sait pas ce qu’en pensait le peintre, dont le regard avait contemplé tant de théâtres politiques.

 

Antoine Caron (1521-1599). Le théâtre de l’histoire. Musée national de la Renaissance château d’Écouen, jusqu’au 3 juillet 2023.

 

Illustration : La Résurrection du fils de la veuve de Naïm. Antoine Caron, avant 1599. Huile sur bois, Collection particulière, © Sotheby’s / Art Digital Studio

 

1Antoine Caron travailla avec le Primatice et Niccolò dell’Abate, qui l’a très évidemment influencé, comme le montre le très beau Moïse sauvé des eaux – dont le maniérisme est très équilibré, contrairement à Caron, toujours emporté par sa fantaisie.

2Le point de vue central, les architectures qui encadrent, tout est spectaculaire, en représentation. Le Christ et la femme adultère est traité à l’intérieur d’un vaste bâtiment, comme une salle des audiences, la femme adultère y étant traînée par une troupe de soldats comme si tout le groupe émergeait des coulisses.

Portrait d’Antoine Caron. François Quesnel, 1592 ? Pierre noire, sanguine, craies de couleur et estompe. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie © DR

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