Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
On croyait tout connaître des origines de la France et de son apparition dans le cadre de ce moule gallo-romain qui structura le monde mérovingien, puis carolingien.
Depuis Ferdinand Lot, on savait que les invasions barbares ne constituèrent nullement une rupture politique et sociale par rapport à l’empire romain ; les rois francs sont ainsi le fruit des mutations du Bas-Empire. Le récent ouvrage de Bruno Dumézil (Des Gaulois aux Carolingiens, PUF, 2022) apporte un éclairage neuf qui met fin à certaines idées reçues. La continuité est ainsi plus en amont comme on le voit avec la Gaule intégrée dans le monde romain. Mais elle est aussi plus profonde avec le maintien des cadres politiques et de certains usages sociaux.
Si on conçoit davantage le monde barbare dans une continuité romaine, on a cependant longtemps considéré que la conquête romaine a constitué un bouleversement dans la vie des Gaulois. Bruno Dumézil nous rappelle que cette conquête n’a fondamentalement bouleversé que les villes. Les peuples gaulois vont être à l’origine de ces cités romaines à qui l’Empire reconnaît une autonomie civique sous réserve de deux conditions : l’allégeance à l’Empereur et le versement régulier de taxes. Dans le monde rural, la continuité est aussi surprenante : la ferme gauloise en bois est consolidée par la villa gallo-romaine, qui n’est pas une nouveauté : c’est une bâtisse en pierre qui commande un terroir. Bref, il n’y eut pas de mainmise d’une élite latine, venant d’Italie, mais un phénomène de consolidation des notables Gaulois. L’apport de la conquête romaine a davantage résidé dans la mise en place d’une infrastructure (un réseau de routes reliant les villes) et dans l’ouverture du monde Gaulois à des marchés qui rendirent possible une croissance économique. Le monde Gaulois, intégré dans le grand complexe romain n’eut pas besoin de se singulariser car il participe de ce système qui lui fut profitable. Cet apport structurant de la culture romaine sera si fort qu’il durera bien au-delà de l’Empire. Par exemple, le droit écrit véhiculé par le Code théodosien (438) sera appliqué jusque vers l’an 900.
Pour autant, il y a aussi des évolutions qui vont être à l’origine de la France. Au IIIe siècle, l’Empire connaît une crise de production. Faute d’expansion, les grands domaines ruraux ne peuvent bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché. Le prix de l’esclave augmente. L’empire doit se résoudre à l’augmentation des impôts, notamment pour financer une armée romaine mobilisée par des guerres civiles. C’est le début d’un processus qui conduit à recourir à des soldats étrangers. Pour protéger l’Empire menacé sur ses flancs par des incursions barbares (il s’agit en fait de raids), il faut recruter d’autres Barbares à qui l’on attribue des terres ou des impôts : les guerriers germaniques qui s’installent en Gaule. Les invasions barbares seraient, au fond, une opération de sous-traitance destinée à sécuriser des frontières, si on devait raisonner selon des concepts actuels. Mais pour continuer à financer tout cela, l’Empire doit réformer en profondeur le système fiscal en instituant un impôt foncier universel. L’élite fuit les cités et se replie sur ses domaines. Les curies municipales sont alors désertées. Les bâtiments tombent en ruine faute de financement. C’est dans ce trait spécifique au Bas-Empire que se met en place cette matrice que l’on retrouvera au Moyen-Âge : l’intervention de l’Église dans les affaires publiques. Les évêques construisent – ou reconstruisent – certaines infrastructures et administrent les cités. C’est ce monde gallo-romain finissant qui définira les bases de cette société sur laquelle les Mérovingiens, puis les Carolingiens règneront.
On a beaucoup ironisé sur la faiblesse des Mérovingiens, leur prêtant une conception patrimoniale du pouvoir et une perte du sens de la chose publique. Le partage répond à des finalités pratiques. Comme à la fin de l’Empire romain, il faut gérer un territoire qui est déjà vaste. Les Mérovingiens n’ont pas innové sur ce plan. Les auteurs continuent à parler d’un unique Royaume des Francs. La pratique du partage ne conduira pas à une explosion territoriale à la différence de ce qui arriva chez les Carolingiens après 843. Alors que l’on crédite les Carolingiens d’une renaissance – ce qui n’est pas faux –, on ne saurait oublier les problèmes de légitimité auxquels ils furent exposés. Le sacre ne suffit pas et les souverains doivent sans cesse s’assurer le soutien de l’aristocratie franque par des mariages récurrents. Ainsi, les unions successives de Charlemagne avec des femmes doivent être perçues à leur juste valeur : l’empereur à la barbe fleurie peut ainsi consolider son règne. On est loin du souverain incapable en proie à sa libido. Il faudra le génie des Capétiens pour rendre la légitimité du système incontestable par le système élaboré des Lois fondamentales.
Bruno Dumézil, Des Gaulois aux Carolingiens, PUF, 2022