La cité de Verviers peut s’enorgueillir d’avoir vu naître de célèbres violonistes : Henri Vieuxtemps, Mathieu Crickboom, Edouard Deru, Jean Hervé ainsi que les compositeurs Guillaume Lekeu, Victor Vreuls et Albert Dupuis (1877-1967).
Enfant prodige, ce dernier suivit à huit ans les cours de violon, de piano et de flûte dispensés au Conservatoire de sa ville natale. À quinze ans, il fut engagé comme répétiteur au Grand Théâtre et reçut ses premières leçons d’harmonie. Vincent d’Indy, de passage à Verviers, proposa au jeune homme de travailler avec lui à la Schola Cantorum nouvellement créée. Installé à Paris dès 1897, Dupuis étudia la composition sous la férule bienveillante de d’Indy et l’orgue avec Guilmant. Il regagna Verviers en 1900 pour s’y marier. En 1903, il remporta le Premier Grand Prix de Rome belge avec sa cantate La Chanson d’Halewyn. Son opéra Jean-Michel fut représenté au Théâtre de la Monnaie en cette même année. Musicien fécond, il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages lyriques. Son grand succès, La Passion, fut représenté plus de 150 fois à La Monnaie. Nommé chef d’orchestre du Théâtre de Gand en 1905, il profitait des vacances estivales pour se consacrer à la composition. En 1907, il prit la direction du Conservatoire de Verviers, poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 1947 avant de se retirer à Bruxelles. Ses filles Gislène, violoncelliste, et Irène, violoniste, menèrent également de brillantes carrières.
Le récent disque de Gaëtane Prouvost et Eliane Reyes réunit pertinemment le maître et l’élève, d’Indy et Dupuis, illustrés chacun par leur Sonate pour violon et piano. La lecture de la Sonate de d’Indy (1903/04) demeure assez prosaïque. Les nuances appelleraient plus de subtilité et les changements d’atmosphères peinent à convaincre vraiment. Le scherzo manque de la pétillance et de la légèreté qu’on attendrait de cette sorte de tarentelle. Dans le Très lent, cœur émotionnel de l’op. 59, le mystère est évacué et la transcendance oubliée au profit d’une trop matérielle incarnation sonore. Pour une version plus magique, il faut réécouter Alexis Galpérine et François Kerdoncuff (CD Timpani, 1990).
Les deux artistes défendent avec plus de bonheur l’œuvre structurellement moins complexe de Dupuis, qui constitue la principale découverte de cet album. Dédiée à son épouse, la Sonate pour violon et piano fut publiée en 1922. L’écriture adoucit les schémas franckistes en les innervant d’impressionnisme. La veine mélodique toujours inspirée tend la main à Massenet. Le romantisme tardif de Dupuis, pour séduisant qu’il soit et malgré de belles envolées, demeure peu novateur. Le Modéré pastorale déploie un thème souple et mélancolique soutenu par les arpèges pianistiques et s’épanche en une méditation toute fauréenne. Il est suivi d’un scherzo espiègle et rythmé. Puis, comme chez d’Indy, le mouvement Lent concentre l’intensité expressive en usant d’harmonies chromatiques et laisse s’épanouir le chant du violon. Le final, chevauchée très passionnée, convoque efficacement l’ensemble des thèmes entendus dans les précédentes parties. La plénitude du jeu des interprètes allie au charme mélodique immédiat une fluide et fougueuse virtuosité.
En complément de ce programme rendant hommage à l’école franco-belge de violon est révélé un poignant Andante (1876) en do mineur de d’Indy aux contours brahmsiens et une jolie pièce d’Ermend Bonnal, Après la tourmente, composée à l’issue de la Grande Guerre et dédiée à la reine Elisabeth de Belgique, qui n’a d’autre intérêt que de figurer ici en première mondiale.
D’Indy, Dupuy : Sonates pour violon et piano, Gaëtane Prouvost, violon, Eliane Reyes, piano, 1 CD EnPhases ENP007, 16€50