Civilisation
Vauban pour toujours
1692, le duc de Savoie franchit le col de Vars, emporte Embrun, puis Gap. Louis XIV demande à Vauban de fortifier le Queyras.
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Qui, lycéen, étudiant ou bien sûr homme politique, ne prétend pas avoir lu Tocqueville ?
Ce ne sont souvent pourtant que quelques lignes qui servent à invoquer son patronage – et parfois même de fausses citations –, au risque de ne jamais saisir la complexité de l’homme et les espoirs ou les inquiétudes qui sous-tendent son œuvre. Lire la biographie que vient de publier Sophie Vanden Abeele-Marchal devrait donc être un prélude obligatoire, tant cette remarquable synthèse sait non seulement replacer Tocqueville dans les cadres entremêlés qui sont les siens – famille, amitiés, alliés ou opposants politiques – mais aussi et surtout montrer comment Tocqueville est devenu Tocqueville, en nous permettant de le suivre dans son travail, de comprendre ses méthodes de recherche et de rédaction, et donc d’entrevoir ce qu’il a réellement voulu faire en écrivant ses ouvrages, lui qui savait la force des idées.
L’auteur nous invite ainsi à voir d’abord chez Tocqueville « l’héritier », héritier d’une longue lignée aristocratique, mais héritier aussi d’une propriété de famille à laquelle il s’attachera passionnément, ce château du Cotentin sis dans le village qui porte son nom. À voir ensuite, reprenant une formule de Guizot, « l’aristocrate vaincu et convaincu que son vainqueur avait raison », une formule critiquable, car si Tocqueville est effectivement convaincu de l’arrivée de la démocratie dans une Europe qui reste monarchique – le moteur égalitaire l’explique –, toute démocratie n’est pas pour lui nécessairement raisonnable. On suit ensuite « le voyageur », en Amérique, bien sûr, mais aussi en Angleterre et en Algérie, où il fera deux séjours dans ces premiers temps de la colonisation. Universitaire spécialiste du romantisme, l’auteur s’intéresse encore à « l’écrivain » qui s’engage dans la rédaction d’ouvrages immenses, croule sous la documentation, qu’il veut de première main, mais sait l’organiser autour d’un style clair. Elle conclut enfin sur « le politique », cet intellectuel insatisfait des luttes mesquines, qui n’arrive jamais à trouver véritablement sa place dans la politique nationale et sera plus heureux dans la politique locale.
Dans cette approche, l’auteur ne passe pas sous silence ce qui a pu sembler à certains des contemporains du Normand comme des contradictions dans ses choix, et lui a valu les attaques de la droite comme de la gauche. Ces débats sont aussi intérieurs, et on saisit comment le tempérament personnel de Tocqueville lui permet de comprendre pourquoi ce sont avant tout les faiblesses des hommes, desquels il ne s’exclut jamais par une position surplombante, qui peuvent faire courir à la Cité les risques opposés du despotisme et de l’anarchie. Loin des clichés éventés, l’auteur nous permet ainsi de faire connaissance avec un homme dont l’image restera ensuite en filigrane de ses textes, nous permettant d’en mieux saisir le sens.
Sophie Vanden Abeele-Marchal, Tocqueville, coll. Qui es-tu ? Cerf, 2023, 210 p., 14€