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Pèlerinage de Chartres : la marque d’une dynamique ecclésiale

L’année 2023 du Pèlerinage de Chartres a été un succès. Dans le sens le plus fort du terme, ce pèlerinage traduit une véritable dynamique ecclésiale. Malgré un climat pontifical réputé peu favorable au traditionalisme, le Pèlerinage de Chartres, né en 1982, a paradoxalement connu une progression au cours de ces dix dernières années. Cela mérite réflexion.

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Pèlerinage de Chartres : la marque d’une dynamique ecclésiale

Dix années franciscaniennes ne semblent pas avoir entamé la dynamique de progression du Pèlerinage, l’ayant peut-être même, en un sens, confortée. 2013, qui est l’année d’élection de Jorge Maria Bergoglio au souverain pontificat, est aussi le début d’une décennie de progression du pèlerinage. Depuis dix ans, on constate une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 8 %. Entre 2013 et 2019, les organisateurs constataient déjà que le pèlerinage avait vu ses effectifs augmenter de 50 % Cette année, l’augmentation annuelle s’est révélée plus forte qu’au cours des années précédentes (20 %), conduisant ainsi les organisateurs à clore pour la première fois les inscriptions une semaine avant le début du pèlerinage. Fait significatif : ni l’interruption en 2020, ni la « formule » réduite en 2021 (des pèlerins qui n’étaient pas en colonne, mais qui ont rejoint la cathédrale), toutes deux pour cause de crise sanitaire, n’ont enrayé cette dynamique de progression. Au-delà de cette perspective globale, plusieurs points sont à relever : le pèlerinage a toujours eu un rayonnement international, ne serait-ce que par les marques d’attention d’évêques du monde entier, et on a recensé 1 500 étrangers cette année, soit 9,4 % des marcheurs ; 2500 enfants de 6 à 12 ans qui ont marché, ce qui rajeunit clairement l’âge moyen du pèlerin ; la participation des prêtres et religieux est aussi en progression.

On notera aussi le rayonnement constant du pèlerinage auprès des prêtres diocésains et surtout des fidèles, même non-marcheurs. Si le biritualisme est une question sensible à Rome (le Motu proprio de 2021 refuse de mettre les rites tridentin et « paulinien » sur un pied d’égalité), dans les instituts traditionnels (ils sont dédiés exclusivement à la célébration de l’usus antiquior) et dans les diocèses (on décourage l’accès à l’ancien rite), il est naturel chez les fidèles, même ceux qui sont loin d’être des habitués du rite tridentin. Cet aspect, encore peu souligné, est peut-être l’un des plus évidents dans ce catholicisme qui a fait le choix de l’orthodoxie doctrinale. Il démontre le jeu des porosités dans l’univers catholique, mais aussi celui des tectoniques et des recompositions qui s’opèrent au sein du catholicisme, ad intra ou ad extra.

Des facteurs de progression endogène

Comment expliquer le succès du pèlerinage 2023 ? Si l’on part de l’organisation du pèlerinage lui-même, Notre-Dame de Chrétienté n’est pas liée à une mouvance particulière ou à un institut traditionnel spécifique, comme la Fraternité Saint-Pierre, l’Institut du Bon-Pasteur ou l’Institut du Christ-Roi. Le Pèlerinage de Chartres est une œuvre de laïcs, ce qui lui a permis d’éviter les pesanteurs d’une attraction cléricale trop poussée. Ce sont d’abord les fidèles qui organisent ce pèlerinage. Cet aspect, peu souligné, permet de comprendre que le pèlerinage n’a pas été tributaire des aléas de telle communauté ou même de telle organisation, même si les organisateurs s’appuient sur les instituts et les prêtres traditionnels (célébrations, confessions…). À titre d’exemple, l’autre pèlerinage, organisé par la Fraternité Saint-Pie X, qui va de Chartres à Paris, n’a pas le même rayonnement, même si l’on peut noter une progression pour l’année 2023. Son organisation directe par la FSSPX après l’éviction de Renaissance catholique en 1991 pourrait expliquer sa moindre attractivité. Mais sans être identifié à un groupe précis, le Pèlerinage de Chartres a aussi bénéficié d’un ancrage ecclésial évident, du moins depuis 1989, juste après la crise de l’été 1988 due aux sacres de Mgr Lefebvre. Ce qui est un avantage au regard de la FSSPX, dont le statut ecclésial continue à poser des difficultés pratiques, malgré des assouplissements romains, voire la bienveillance de certains diocésains. Le Pèlerinage de Chartres n’a pas été fragilisé par des problèmes canoniques. C’est aussi une marque de fabrique importante dans l’identité d’un rassemblement. Ces deux aspects complémentaires – l’absence de dépendance à une organisation spécifique et l’ancrage ecclésial – ont donc joué dans la dynamique d’un pèlerinage, qui a su se développer tout en restant d’Église.

Un agrégateur des dynamiques ecclésiales actuelles

Mais cette dynamique propre est renforcée par d’autres évolutions ecclésiales. Depuis 1988, on constate objectivement la progression du mouvement catholique traditionnel : des familles, des vocations et des instituts se sont développés. À la différence des années 1990, nous ne sommes plus dans une situation où la FSSPX disposait d’un quasi-monopole de fait dans l’offre « traditionnelle ». Tout un espace lié à Rome s’est développé sans être pris au piège de l’organisation unique et du leader (problème qui a pesé dans les développements de la FSSPX à partir des années 1990). La progression a été continue et n’a pas été arrêtée par d’autres crises, comme celle de 1999 où Rome avait déjà tenté sans succès de rappeler le caractère exceptionnel de la célébration du Missel tridentin. Ce qui rend difficile la « dissolution » du mouvement traditionnel, dont certains s’ingénient à penser qu’il fonctionne de manière pyramidale et qu’il suffirait de sanctions pour l’assécher. Il faut ensuite ajouter les porosités ecclésiales devenues encore plus fortes avec les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux. Les diocésains ne se posent plus la question de l’interdit que poserait la messe traditionnelle et ils ne demandent certainement pas l’avis de leur évêque, le covid ayant là aussi joué son rôle : les fidèles sont allés dans les églises qui étaient ouvertes. Enfin, l’arrivée de François n’a pas (encore ?) ralenti le redressement opéré sous ses deux prédécesseurs et, paradoxalement, c’est sous le pontificat actuel que l’on engrange les fruits des pontificats précédents – peut-être encore plus que sous ces derniers. En France, le caractère minoritaire du catholicisme contribue à renforcer ses éléments « identitaires ». Plus le nombre des fidèles est faible, plus l’identité du groupe s’affirme. Récemment, pour expliquer le succès du catholicisme traditionnel, l’historien Guillaume Cuchet constatait que « quand on dégringole statistiquement, il faut nécessairement passer par un renforcement identitaire. Sinon, c’est la dilution dans le grand tout sécularisé » (Le Club Le Figaro Idées, 21 juin 2023). Il citait René Rémond qui estimait que le catholicisme français ne serait minoritaire qu’en s’appuyant sur sa matrice intransigeante. C’est probablement ce qui est en train d’arriver. D’où certains cris d’orfraie de la part d’observateurs qui ne comprennent pas le Pèlerinage de Chartres tout simplement parce qu’ils ne saisissent pas la situation ecclésiale.

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