Editoriaux
Cierges et ministres
Il y a une semaine à peine, une grave question agitait le monde politique : qui allaient être les ministres délégués aux Personnes en situation de handicap et aux Anciens combattants ?
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Les riches sont plus riches, les pauvres plus pauvres et plus nombreux, et ça ne va pas s’arranger. Des chiffres inquiétants et des perspectives économiques plus inquiétantes encore.
Face à cette question, on peut être tenté par le romantisme façon XIXe siècle ou bien encore par le complotisme, et l’annonce de l’apocalypse sociale façon XXIe siècle, il n’empêche que la question de la pauvreté se pose avec une acuité toute particulière en France “après” la crise sanitaire, probablement sans précédent depuis les lendemains de la seconde guerre mondiale. Parmi les demandeurs d’aides, 45 % étaient jusque-là inconnus, indique le Secours Populaire.
L’alerte fut donc donnée par ce dernier, qu’on pourrait critiquer pour ses affinités idéologiques : hélas les autres associations, plus “catholiques” nous disent la même chose ( Secours Catholique – Caritas France, Armée du salut, Restaurants du cœur, Fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, ATD Quart Monde, Emmaüs…), doublées aussi par les statistiques et les « observatoires», dont celui de la pauvreté (sic) .Les représentants de dix d’entre elles ont été reçues par le premier ministre le 2 octobre, espérons que celui-ci ne se contentera pas « d’observer ». C’est en vain que l’on voudrait cacher cette pauvreté que certains ne sauraient voir, car il ne suffit pas de « traverser la rue » pour en sortir. Selon ces associations caritatives, la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté un million de Français, qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté monétaire – à 1 063 euros par mois et par unité de consommation, soit 14,3 % des ménages selon l’INSEE pour 2018/2019. La perspective de 800 000 chômeurs supplémentaires ne devrait pas améliorer les choses pour 2021. On peut donc considérer que plus de 15% des Français sont pauvres… On voit ressortir des bidonvilles à Paris (boulevard périphérique, chemin de fer de Petite Ceinture , essentiellement des immigrés), qui nous ramènent sinistrement aux années soixante où disparaissaient les derniers bidonvilles, comme celui de la Folie à Nanterre, devenue université de toute les révoltes d’enfants qui n’y étaient pas nés.
À l’autre bout de l’échelle sociale, on trouve les 1% de ménages les plus aisés et même les 0,1% de super-riches. Selon l’Insee, ces 1% représentent 274 000 foyers fiscaux, dans lesquels vivent 640 000 personnes (dont 43% vivent en région parisienne). Donc, grosso modo, 1% de la population française. Tous ces chiffres ne nous disent pas comment on est pauvre ni même comment on est riche.
Certains veulent se rassurer en affirmant que cette pauvreté est importée. Il y a du vrai dans la proposition : en effet, tant que les flux migratoires se maintiendront, le logement et l’emploi seront des marchés tendus. Certes aussi les ayants droit au pactole social sont de plus en plus nombreux et les budgets de plus en plus improbables et articulés sur l’emprunt international (il y a déjà des lustres que le budget social excède le budget général), mais il n’empêche que la population de souche paye aussi un lourd tribut à ce basculement dans la pauvreté. Retraités, agriculteurs, petits artisans ,travailleurs pauvres, femmes isolées avec enfants composaient déjà ce morne paysage dans un pays qui se voulait encore la cinquième puissance du monde. Devenu sixième, la situation ne s’améliore pas : désormais les petits entrepreneurs ne peuvent plus rembourser le PGE ( prêt garanti par l’Etat) , la facture des charges différées arrive, le salariat et la classe moyenne qui constituaient l’armature de la croissance des Trente Glorieuses craignent de basculer dans cette pauvreté et le plus inquiétant est que cette nouvelle couche de pauvres étaient inconnue des associations qui les secourent. On y trouve aussi des classes d’âges plus jeunes, que l’école, sinistrée par le pédagogisme et l’immigration, a conduit au déclassement social. Le confinement, avec 500 000 jeunes ayant décroché du système scolaire, a préparé des lendemains douloureux sur un marché de l’emploi qui se structure pour partie sur la logique implacable du numérique et dont le télétravail n’est que la partie émergée. Loyer, électricité, eau, les factures s’accumulent et la solidarité nationale a bon dos. Si les salariés soufrent, d’autres qui ne correspondent pas à la définition classique de la pauvreté échappent aux aides gouvernementales : auto-entrepreneurs, étudiants pauvres, chômeurs en fin de droits. D’autant que la crise sanitaire a, en partie, interdit l’exercice des solidarités familiales. De nouvelles formes de pauvreté, donc, qui posent le problème de la révision des minima sociaux et l’ouverture du RSA dès 18 ans, mesures qui présentent le double danger du coût et d’une assistance précoce hypothéquant l’avenir.
Le 17 octobre est une date symbolique, celle de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Intention louable qui nous ramène en plein XIXe siècle .Qui se souvient de la saillie loufoque de Ferdinand Lop sur « l’extinction de la pauvreté après 10 h » en écho à l’ouvrage de Louis Napoléon Bonaparte L’Extinction de la pauvreté paru en 1844 ?
L’un des signes les plus spectaculaires de cette crise est l’explosion de l’aide alimentaire : la Fédération française des banques alimentaires, qui approvisionne 5 400 structures, a augmenté ses distributions de 25 %, « et la demande ne faiblit pas, en août, en septembre, à tel point que nous avons dû piocher dans nos stocks de longue durée », confie Laurence Champier, sa directrice générale.
On peut néanmoins faire l’hypothèse qu’en dépit des dettes colossales, des déficits du même acabit, de l’État et des entreprises, l’emploi pourrait reprendre avec la reprise économique à faible taux, de toute façon ; cependant cette hypothèse optimiste n’est pas envisageable avant deux à trois années et, dans cette attente, on peut mesurer, en se souvenant de la crise des Gilets jaunes, ce que pourrait avoir d’explosif, socialement parlant, cet accroissement de la pauvreté. En tout état de cause, le modèle de l’emploi devrait se trouver totalement bouleversé par rapport à la seconde moitié du XXe siècle. Le spectre des revenus devrait continuer de s’élargir et le plein emploi des Trente Glorieuses ne reviendra jamais. On peut aussi faire l’hypothèse d’une reprise de l’emploi mais précaire, sous qualifié, pléthorique dans les services à la personne, de basse rémunération et de nature généralement peu épanouissante. Certes, « en traversant la rue », on trouvera du travail mais il ne devrait pas trop inciter à la traverser. Enfin l’hypothèse d’un « grand soir », est peu probable, la communautarisation en marche (Macron parle de séparatisme), la mondialisation, l’individualisme et la perte d’influence syndicale rendant peu crédible ce rêve caressé à l’extrême gauche.
Tout en haut de la pyramide des revenus, on trouve donc les 1% de ménages les plus aisés et même les 0,1% de super-riches. Dans une étude consacrée aux « personnes à très haut revenu », l’Insee décrypte le montant et la nature des ressources de ces « premiers de cordée ». On sait que Macron voulait faire revenir les riches et supprima l’ISF à cet effet : ils revinrent en effet et leur nombre est en augmentation sur le territoire national. Le motif étant qu’il fallait que le capital revint pour financer les PME-PMI. Il n’en fut rien, la structure financiarisée de l’économie française y a suffi, le retour sur investissement étant dix fois plus rapide dans la finance mondialisée. Ce qui démontre une fois encore comment le capitalisme de production est désormais dépassé par le capitalisme de spéculation. Donc, pour figurer dans la catégorie des 1% les plus aisés, il faut percevoir « un revenu mensuel d’au moins 9 060 euros pour une personne seule » indique l’Insee, soit « 108 670 euros » par an et plus. Un couple appartient à cette catégorie s’il dispose mensuellement d’au moins 13 590 euros. Pour les super-riches (0,1% des ménages), le revenu mensuel doit être « supérieur à 22 360 euros pour une personne seule », soit quand même plus de 18 fois le smic.
Plus d’un riche sur cinq (21,9%) et plus d’un super-riche sur trois (33,8%) ont des ressources qui proviennent pour l’essentiel de revenus du patrimoine (contre seulement 4,6% pour l’ensemble des ménages). Les revenus non salariaux représentent également l’essentiel des ressources de 19,6% des riches et de 22,2% des très riches (contre 3,1 pour l’ensemble des ménages). Ainsi le salariat s’affaiblit dans les couches basses et moyennes mais il régresse aussi dans la couche supérieure. 47,4% seulement des revenus sont constitués de traitements et salaires Et chez les super-riches, 43%. Le reste, c’est-à-dire la majorité des ressources (57%), provient de revenus du patrimoine ou non-salariaux .85,6% des riches sont propriétaires de leur logement, contre 58,6% pour l’ensemble des ménages.
S’il est entendu qu’appauvrir le riche n’enrichit pas les pauvres mais plutôt l’État et les hommes qui le composent – mais là il s’agit plutôt de puits sans fond –, la question du fameux ruissellement des richesses des riches vers les pauvres se pose néanmoins : ce ruissellement (trickle down économics) est considéré par l’universitaire américain Robert Reich comme un canular cruel, une théorie qui n’a guère de fondements théoriques. Aucune école de pensée ne s’en réclame, en dehors de Macron.
On voit bien que le problème en France est donc, non seulement, le creusement des différences sociales, lesquelles ont toujours existé, mais surtout leur originalité contemporaine, qui tient au fait que ces contrastes sociaux relèvent de sphères économiques assez radicalement indépendantes les unes des autres, avec une forte étanchéité avec un doute sur l’ascenseur social. On ne saurait nier, dans cet effet, l’influence de la mondialisation financière qui fait exister deux mondes qui communiquent peu celui de la production dont il était admis qu’il était source de richesse et celui de la mondialisation financière et de son ingénierie devenue totalement autonome.
On serait tenté de conclure avec Alphonse Allais avec un peu de cruauté : « L’argent est préférable à la pauvreté ne serait-ce que pour des raisons financières ».