Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Justice. Dans le petit monde de la justice, combien sont-ils à vraiment considérer que l’œuvre de justice n’est ni affaire de complaisance envers les pouvoirs, ni affaires de technologies ? Et que son seul vrai moyen, c’est la confiance qu’elle inspire ?
Il serait intéressant de savoir si l’invention de l’imprimerie a modifié profondément les mœurs de la justice au temps de Gutenberg. Mais la recherche est inutile car, que les pièces des procès aient été écrites à la plume d’oie, gravée au stylet dans des tablettes ou imprimées par la machine, l’œuvre du juge et des avocats demeure identique. L’avocat d’aujourd’hui qui relit Démosthène et Cicéron ne peut pas douter de cette permanence.
Et pourtant ! Dans le nouveau Palais de Justice de Paris, aux Batignolles, immense caserne de verre et d’acier où l’on pourrait écrire, en lettres de feux électriques, l’inscription que Dante imagine à l’entrée de son Enfer « Vous qui entrez ici, quittez toute espérance ! », une jeune amie avocate me racontait que, s’étant assise, effondrée par la sinistre banalité des nouveaux lieux, elle murmura, pour elle-même, « Où sont Cicéron et Démosthène ? » Un voisin, avocat comme elle, qui avait surpris son murmure, lui dit « Allez demander à l’accueil. Ils sont peut-être en train de vous chercher… »
Pour le jeune avocat véritable ou imaginaire, il est possible que le numérique soit devenu le tout de la justice… mais je n’en suis pas certain… car les nécessités de notre profession, que l’on soit juge ou avocat, nous confrontent, à chaque instant, à l’interrogation fondamentale : où est la justice ? Et donc, quelle qu’en soit la forme matérielle – écrite à la plume d’oie ou au digital de l’ordinateur –, l’œuvre de justice demeure identique : où est le droit ?
La lecture des discours prononcés aux audiences solennelles de rentrée de nos hautes juridictions donne envie de rappeler à nos très hauts magistrats, couverts d’hermine et de décorations, que l’essentiel : où est le droit ? ne devrait pas être submergé par l’examen des techniques de réseau et d’interconnexion qui, de toutes les façons, n’iront jamais aussi vite que la webcam et le « téléphone arabe ».
Dans le monde clos de la justice, tout se sait, avant même d’être dit. Monde de rumeurs et de textes… les rumeurs allant plus vite que les textes… Monde de médisances et de calomnies… mais aussi monde où les vrais, les grands, les héros de la justice finissent toujours par s’imposer car l’important n’est pas la technique, l’important c’est l’esprit.
Combien sommes-nous, à nous compter dans cet univers ? Au plus grand nombre, cinquante ou soixante mille personnes. En réalité, si on réduit à l’espace judiciaire, moins de vingt mille. Ce n’est pas un village… mais ce n’est pas non plus une grande ville. C’est un gros bourg. Et, avec la durée des années, on se voit vieillir, ce qui est la meilleure façon de se connaître.
Si nos instances supérieures – et le plus supérieur qui n’est plus, depuis la réforme de 2008, président du conseil supérieur de la Magistrature, le Président de la République – s’occupaient vraiment de ces institutions dont Bonaparte disait qu’elles assurent la stabilité de la République – non pas pour en faire des outils de manipulation au service de leur pouvoir, mais de vrais serviteurs de cette œuvre fondamentale pour toutes les sociétés qu’est l’œuvre de justice, les effets seraient immédiats.
Nous l’avons beaucoup dit. Nous le redirons, parce que c’est la vérité. Tout, dans l’ordre social, commence par-là : « J’ai confiance dans la justice de mon pays… » On en est très loin. Raison de plus pour se hâter !