Civilisation
L’œil écoute-t-il ce que voit l’oreille ?
Face à l’inflation visuelle envahissant l’univers musical, un subtil essai de Matthieu Guillot, docteur habilité en musicologie et musicien, nous rappelle l’étrange pouvoir des sons.
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Cela a dû vous arriver ? On ressent parfois un tel plaisir de lecture à la découverte d’un roman bien ficelé qu’on ne saurait le lâcher. Et par souci de faire durer le plaisir, on s’en réserve au contraire un seul chapitre par jour, comme on suce un bonbon au miel, tout seul assis sur un banc.
Le faussaire du Caire est de ces livres-là. L’auteur, Olivier Griette, ne nous est pas inconnu. Il a été révélé en 2017 par ses Mémoires de Laïka, la petite chienne que Staline a voulu lancer dans l’espace (il n’y a qu’un Serbe établi en Suisse pour soutenir pareil projet). Dans Le Faussaire du Caire, Olivier Griette nous plonge dans l’Égypte coloniale des années 1920 et ses boutiques obscures, où l’on assiste à la naissance de l’égyptomanie : L’orient débridé y est mâtiné de civilité anglaise et l’on tombe sous le charme de ce récit qui doit beaucoup plus à Conan Doyle qu’à Christian Jacq.
On imagine Olivier Griette remontant, avec son petit carnet, le delta du Nil. En réalité, il n’est pas allé plus loin que la bibliothèque Drouot, Paris 9e, et a complété le tout de journaux cairotes de l’époque, publiés en français. Son entreprise n’en est pas moins admirable de précision. George est un héros du « faux » qui nous enchante. Provocateur, hâbleur, rien n’arrêtera son goût de la mystification. Ce « fabricant d’antiquités » est le mythomane qui sommeille en chacun de nous, mais que l’on n’a pas le courage de laisser s’exprimer. Griette, lui, a le culot d’en faire un génie de la copie, un magicien du trompe-l’œil, qui défie la conscience morale du narrateur. Il y a du Tintin chez Griette, et son sens de la narration nous ramène avec délice au novel à l’anglaise : une histoire inattendue, avec des personnages forts, qui retrace subtilement les aventures d’un faussaire qu’on aurait aimé connaître.