Civilisation
SYNODE : ZEN REPART À L’ASSAUT
Mgr Zen, archevêque émérite de Hong Kong, a lancé le 17 octobre sur les réseaux sociaux un « appel urgent au peuple catholique : prions pour que le synode des évêques se termine bien ».
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François parachève la transformation à grande vitesse du Sacré Collège, faisant fi des traditions en la matière et poussant ses hommes. Mais l’Église américaine semble résister à la mainmise du courant progressiste : les bouleversements en cours ne seront-ils qu’une révolution de palais ?
En juillet dernier, le pape François avait annoncé un consistoire pour le 30 septembre 2023 afin de remettre le chapeau rouge à 21 prélats, dont 18 susceptibles de voter en cas de conclave. Pour certains observateurs, la logique de « verrouillage » du Sacré Collège continuerait. Mais si certaines nominations se placent dans cette logique, il faut aussi nuancer et éviter de croire que les cartes sont déjà abattues pour obtenir une telle décision. Dans le temps long de l’Église, les manœuvres n’empêchent pas les subtils équilibres.
Certes, la création de « protégés » du pape continue. Il y avait en 2022 Mgr Roche, l’artisan du motu proprio Traditionis Custodes, un texte hostile à la messe tridentine. Aussi, Mgr Fernandez, nouveau préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi, devient en peu de temps un homme important. C’est le gardien de la doctrine, mais dans la lignée du pape François : pas question de condamner ou de donner des réponses brutales. La réponse aux Dubias des cardinaux sceptiques sur certaines évolutions ou positions pontificales a même été évasive, dans des sujets brûlants comme les divorcés remariés ou la bénédiction des couples homosexuels. Mais le cardinal Fernandez a aussi rappelé que l’on ne pouvait être catholique et franc-maçon, même s’il a été plus prudent sur la possibilité d’être parrains pour les homosexuels engagés dans une relation. Autre nomination délicate, celle de l’auxiliaire du cardinal-archevêque de Lisbonne, Mgr Américo Manuel Alves Aguiar. Outre le fait d’avoir deux chapeaux rouges dans le même diocèse (un cas similaire a eu lieu en 2017), Mgr Aguiar a organisé les Journées mondiales de la jeunesse de 2023 à Lisbonne. Peu avant la tenue de cet événement, il avait aussi affirmé que ces dernières n’avaient pas vocation à convertir au Christ… Des propos plus que maladroits, qui traduisent une mauvaise articulation théologique d’évêques qui sont censés représenter les périphéries. Dans un registre moins polémique, on note aussi les nominations de cardinaux dans des diocèses traditionnellement peu ou pas cardinalices. Citons le cas d’Ajaccio, avec le cardinal Bustillo, un franco-catalan, bien éloigné de Paris, de Reims ou de Lyon. Il parle librement et apparaît comme un évêque plus recentré sur les questions missionnaires et spirituelles (le pape a ainsi aimé son livre sur les prêtres). Comme si François voulait provoquer l’épiscopat français, qui semble assez terne dans la « machine » du pape. Il n’a pas été aussi dynamique que cela dans son soutien et semble s’enliser dans la gestion des affaires d’abus et de pédophilie commis par des clercs. Pour Mgr Ulrich, archevêque de Paris nommé en 2022, c’est une occasion qui s’éloigne définitivement. Depuis Mgr Aupetit, cette non-nomination d’archevêque de Paris au cardinalat semble tourner la page de l’époque où les archevêques de Paris successifs étaient systématiquement créés cardinaux. C’est bien le signe d’une certaine relégation de la France dans le jeu ecclésial. Il est intéressant de noter qu’un pays qui a donné tant de théologiens et de saints n’a pas, depuis les papes d’Avignon, donné de pontife issu de son territoire.
Le cardinal Christophe Pierre, nonce apostolique aux États-Unis, a reçu le chapeau rouge. C’est la deuxième fois qu’un nonce apostolique en exercice revêt la pourpre après le nonce apostolique en Syrie, le cardinal Zenari, créé en 2016. Le cardinal Pierre prêche la bonne parole du pape auprès des évêques américains qui n’arrivent toujours pas à être « bergoglisés ». Mieux : le président de la conférence épiscopale américaine, la très puissante USCCB, a poliment répondu au cardinal Pierre qui critiquait la lenteur de l’Église américaine vis-à-vis de l’esprit synodal. Il a élégamment répliqué en précisant que la synodalité était aussi pratiquée dans les différentes instances et conseils de l’Église des États-Unis et a salué les jeunes séminaristes et les prêtres qui se dévouent, le Nonce apostolique les accusant, dans la revue progressiste America, de regarder en arrière. Bref, comment poliment envoyer paître l’émissaire du pape. Le discours du cardinal Pierre a été écouté poliment, sans plus, par les évêques américains réunis du 14 au 16 novembre dernier. Qui plus est, le cardinal s’est exprimé dans un anglais qui ne masquait pas son accent français en lisant la feuille de route pontificale… Une feuille bien jaunie, terne, comme si le discours lassait. Mais on peut voir aussi dans cette nomination un jeu plus interne entre « bergogliens ». En effet, depuis plusieurs années, François et la Curie romaine tentent de soumettre la conférence épiscopale américaine. Or c’est l’échec régulier. François a dû créer cardinaux Cupich, Farell et Tobin en 2016, puis Wilton Gregory, l’archevêque de Washington, en 2020 et enfin McElroy, juste évêque de San Diego, en 2022 et suffragant d’un archevêque de Los Angeles toujours sans chapeau rouge. Ni la présidence de l’USCCB, ni ses instances n’ont pu être conquises par des prélats réputés pro-François. Au point qu’en novembre 2023, aucun évêque « bergoglien » ne s’est hasardé à se soumettre à une élection perdue d’avance. François a peut-être cherché à aider le nonce à Washington pour qu’il ne soit pas non plus affaibli face aux cardinaux Cupich, Tobin ou Gregory, eux-mêmes proches du pape. Le cas américain est révélateur d’une reprise en main qui ne se concrétise toujours pas. En 2013, le pape pensait façonner l’Église : il ne façonne que ses collaborateurs romains. Une chose est de nommer à la Curie, une autre est de remodeler un épiscopat entier dont la résistance révèle qu’il constitue un solide écosystème wojtylien et ratzingérien. Bref, l’illustration à l’échelle locale d’une Église qui résiste depuis dix ans au pape.
Enfin, il y a des créations intéressantes et plutôt bienvenues qui concourent non seulement à l’équilibre ecclésial mais aussi à une certaine justice dans les « représentations ». Déclinée en Églises particulières, l’Église catholique est avant tout universelle. En soi, elle ne privilégie pas un territoire plus qu’un autre. Depuis 1946, les papes successifs ont veillé à l’internationalisation du Sacré Collège en nommant des cardinaux venant de tous les continents et en essayant de faire en sorte que les pays les plus divers soient représentés. Certes, le Collège des cardinaux est le clergé de l’Église de Rome mais il est légitime d’en faire une assemblée représentant l’Église dans son universalité. On peut citer des créations inédites, comme celle du patriarche latin, Mgr Pizzaballa. C’est la première fois depuis la restauration du patriarcat latin en 1847 que le titulaire de ce siège est honoré. Mgr Pizzaballa s’était même proposé comme otage dans la crise qui oppose Israël à Gaza. Sur ce point, François aura peut-être anticipé dans le jeu ecclésial la place de la Terre Sainte, cette terre qui comprend encore des chrétiens placés entre les différents marteaux et enclumes et tentés par l’exil. Autre aspect à noter : des sièges non cardinalices figurent aussi dans les nominations, comme la ville de Lódz en Pologne. Mais des pays dont les évêques n’avaient jamais été jusque-là honorés du chapeau rouge accèdent aussi au Sacré Collège à l’instar de Mgr Stephen Brislin, évêque de Juba (Soudan du Sud). Sur ce plan, François continue à élargir la liste des nouveaux pays dans le sillage de ses précédents consistoires, même s’il veut aussi rééquilibrer par rapport aux pays et aux villes habitués aux chapeaux rouges. Enfin, dans le cadre d’une pratique classique, François honore du chapeau rouge les nouveaux préfets des Dicastères romains, comme Mgr Gugerotti qui s’occupe des Églises orientales ou Mgr Robert Prevost, désormais chargé de la nomination des évêques.
Illustration : Le cardinal Bustillo, évêque d’Ajaccio, religieux franciscain conventuel. Il a déclaré à La Croix (28 sept. 2023) que « l’espérance est la capacité de croire que nous avons un potentiel, à titre personnel et en tant qu’institution, pour que le monde aille mieux » et que « il nous faut apporter une qualité d’être à l’homme occidental qui a perdu son GPS intérieur, dont l’être profond est sans densité et malheureux. »