Le Proche-Orient est une terre exemplaire de la mondialisation. Les produits, les capitaux et les hommes s’y échangent depuis les débuts des civilisations. Omeyades et Normands, Africains et Mongols, Turcs et Phéniciens s’y disputèrent les places d’honneur jusqu’à écrire les trames les plus marquantes de l’histoire universelle.
En dirigeant une formidable histoire des Empires médiévaux chez Perrin, Sylvain Gouguenheim permet d’en découvrir l’origine. Les Abbassides déplaçant la capitale de l’islam de Damas, siège des Omeyades, à Bagdad en 750 ; les Byzantins offrant à Constantinople cette grâce qu’insultèrent les Latins en 1204 ; les Bulgares, chassés par les Mongols qui disséminèrent tant de peuplades turques dans le croissant fertile. Et tant d’autres invasions ou chutes d’empire qui forgèrent une terre où les civilisations se superposèrent et se mêlèrent dans un perpétuel tourbillon, source de la complexité orientale.
La face heureuse du cosmopolitisme oriental
C’est la face heureuse du cosmopolitisme oriental : les Arméniens commercèrent d’Ispahan à Istamboul et les Syriaques diffusèrent la splendeur grecque d’Antioche à Alger. Géographiquement, le Proche-Orient est assigné à une vocation de carrefour qui explique la délicate élaboration des nations en des terres où les Bédouins trafiquent et trafiqueront sans frontières après l’extinction du monde ottoman.
D’autres histoires y sont encore écrites. Des petites bonnes éthiopiennes y bataillent pour la vie de leur progéniture illégitime comme dans Capharnaüm. Les jeunes Syriennes du camp de réfugiés de Zataari, en Jordanie, sont prostituées auprès de tout ce que l’Orient compte d’émirs libidineux. Migrations d’aujourd’hui.
Deux histoires ont bouleversé le Proche-Orient cet été, celle de Rosemarie Perez, employée philippine expulsée d’Israël, et celle de Jimmy Al Daoud, chaldéen renvoyé des États-Unis en Irak, patrie d’origine de ses parents. Deux histoires différentes, deux destins exemplaires de la profonde mutation de la nature des migrations au Proche-Orient.
Résidents juifs et non juifs
Rosemarie Perez d’abord, arrivée avec 28 000 de ses compatriotes à l’aube des années 90, pour suppléer la main d’œuvre israélienne mobilisée par l’intifada. En arrivant, ces immigrés avaient dû signer un contrat d’engagement à ne pas fonder de famille en Israël. Dans un pays terrorisé à l’idée de perdre son identité juive, ces mesures sont multipliées. J’évoquai dans une précédente chronique la batterie de réformes initiés par Benjamin Netanyahou autour de la définition de son pays comme « État-nation du peuple juif » afin de déterminer définitivement les différences entre résidents juifs et non juifs dans le droit israélien. Une mesure qui provoquerait des protestations infinies en France mais qui sied bien à un Orient où la personne n’est pas défigurée pour correspondre à une pure citoyenneté juridique. Rosemarie et son fils Rohan ont dû partir.
Reste que l’immigration de masse en œuvre au Proche-Orient est profondément déshumanisante. Seule la foi maintient ces personnes dans la dignité, comme j’avais pu le constater lors de la messe à l’évêché latin de Bagdad où toute l’Asie chrétienne se croisait dans une ferveur bigarrée. Les écharpes colorées des Éthiopiennes de Beyrouth rappellent les cultes des anciens temps, têtes couvertes pour ces dames. Leur ferveur est à la mesure d’une lassitude qui commence très tôt, dès l’arrivée dans les aéroports orientaux où leurs papiers sont saisis par paquets et leurs files d’attente spécialement éloignées de celles des autres passagers. Jetez-y un œil en atterrissant à Beyrouth, elles sortent à gauche, en face du petit café prisé des occidentaux.
Des occidentaux qui y lirent sans doute la pitoyable histoire de Jimmy Al Daoud, sans-papiers résidant aux États-Unis, dont les groupes de pression chaldéens ont révélé la mort au début du mois d’août. Schizophrène, il était né dans un camp de réfugiés en Grèce. Diabétique, mais l’insuline existe aussi en Irak, il aurait été envoyé à Najaf, une ville moins hostile qu’on ne le dit aux chrétiens mais où il ne bénéficia pas de la solidarité communautaire qu’il aurait reçue à Bagdad ou à Erbil. Il y mourut, isolé et malade. Tout un symbole des mensonges faits aux chrétiens d’Orient : bercés d’illusions sur un Occident paradisiaque, l’immigration les coupe de la terre de leurs pères, les privant le plus souvent de tout espoir de retour dans leur pays d’origine.
Par Charles de Meyer, Président de SOS Chrétiens d’Orient
- Les Empires médiévaux, sous la direction de Sylvain Gouguenheim, Perrin, 2019, 395 p., 24,50 €