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Matzneff va bientôt mourir

Comment une coterie de snobs mondains feint de découvrir ce que tout le monde savait depuis des lustres et s’absout de ses péchés en immolant l’un des siens sur l’autel d’une vertu qu’elle n’a guère pratiquée : voilà toute l’affaire Matzneff.

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Matzneff va bientôt mourir

Ceux qui s’attendent, à la faveur d’un titre délibérément trompeur, à lire ici un article de plus sur la désormais célèbre « affaire Matzneff » peuvent dès à présent s’interrompre : l’auteur de ces lignes n’envisage pas d’en parler – ou si peu qu’il décevra forcément l’amateur de détails salaces ou de propos édifiants débités en chaire de vérité par la Vertu outragée.

La belle affaire ! Voici que la France – et surtout le microcosme germanopratin – feint de découvrir avec horreur la sexualité scandaleuse, débridée et proprement anormale (c’est-à-dire en dehors de la norme) d’un vieil écrivain aux manières exquises et au crâne poli ainsi qu’une boule d’ivoire qui, jusqu’il y a peu, faisait l’ornement des salons. On recevait en frissonnant, ce dandy précieux et gentiment sulfureux, tant était grande la transgression et puissant le parfum d’interdit.

Un secret de Polichinelle

Le goût de M. Matzneff pour les jeunes gens, mâles et femelles, à peine pubères était pourtant un secret de Polichinelle. Le bougre (car son appétit de chair fraîche se double de bougrerie occasionnelle) en a fait le sujet de son œuvre et s’est longtemps complu, devant chaque micro tendu, à commenter ses amours préadolescentes avec une gourmandise d’esthète. A tout le moins ne peut-on lui reprocher d’avoir agi dans l’ombre. L’hallali, il est vrai, ressemble fort à une opération de promotion commerciale minutieusement orchestrée à l’occasion de la sortie du livre de l’une de ses proies, elle-même éditrice d’une grande maison (le milieu littéraire parisien est petit et incestueux).

J’avoue n »être guère touché par les gémissements du paria du jour qui se dit attristé par tant de méchanceté, comme si sodomiser un enfant de douze ou treize ans était la chose la plus naturelle au monde. Et ceux de ses amis qui hurlent au déchainement de la meute me laissent tout aussi froid. Il est un peu facile pour le renard qui a croqué les poules au nez et à la barbe du fermier d’accuser d’acharnement les chiens qui le pourchassent. Je confesse, en revanche, un profond mépris pour ceux qui ceux qui condamnent aujourd’hui les mœurs du jouisseur décati alors qu’hier ils l’accueillaient avec joie et, parfois, avec servilité.

Un produit chimiquement pur de l’idéologie soixante-huitarde

Mais M. Matzneff va bientôt mourir. C’est un vieil homme malade, témoin ou relique d’une époque révolue, qui a cru pouvoir renverser tous les tabous, comme on renverse d’anciennes idoles, en particulier dans le domaine de la sexualité. Et bien plus qu’à lui, c’est à la société qui a permis Matzneff, non en tant que littérateur, mais en tant que prédateur, qu’il faut s’intéresser. Car la libération des pulsions de M. Matzneff, leur exposition goguenarde au grand jour, leur glorification, même, dans certains milieux est un produit chimiquement pur de l’idéologie soixante-huitarde, comme l’homme le reconnaît lui-même :

Quant à mes galipettes coupables post-soixante-huitardes, écrivait-il ce 7 janvier à BFMTV, oui, sans doute étions-nous inconscients, nous avons été nombreux à nous laisser enivrer par l’air de liberté, le parfum libertaire de cette époque insouciante qui dura une quinzaine d’année. Et je ne parle pas ici des écrivains, des peintres, des cinéastes, des photographes, je parle, beaucoup plus généralement, des centaines de milliers de Français qui, dans tous les ordres – du désir amoureux à l’usage des drogues -, ont cru pouvoir s’affranchir des règles de la Société bourgeoise. Si vous en voulez une preuve, allez à la Bibliothèque Nationale, lisez la collection complète de Libération, depuis sa création jusqu’à l’irruption du Sida (disons en 82, 83), irruption qui siffla la fin de la récréation. Le Libération de mes amis Guy Hocquenghem, Michel Cressole, Jean-Luc Hennig, Renaud Camus, Hugo Marsan, plus encore le Libération du Courrier des lecteurs, des tribunes libres, une brûlante soif de liberté, de transgression, en particulier touchant les relations amoureuses entre majeurs et mineurs. Lisez Libé, des centaines de pages sur ce sujet qui, alors, nous semblait innocent. [1]

Il ne s’agit pas ici de commettre l’erreur absurde qui consiste à juger un comportement passé à l’aune des valeurs du jour. A travers l’histoire, la pédophilie et la pédérastie ont été différemment appréciées. De la Rome ou de la Grèce Antique, où elles étaient considérées pour les jeunes garçons comme un rite de passage, à Gilles de Rais (qu’on a exécuté avant tout pour ses nombreux meurtres d’enfants, et non pour pédophilie) en passant par les semi-captives du Parc-aux-Cerfs, cette maison close créée pour le seul usage d’un vieux roi lubrique qui a beaucoup contribué à la chute de la monarchie, la tolérance ou l’indifférence furent longtemps de mise. Mais lorsque M. Matzneff, parmi de très nombreux autres, donne libre cours à ses penchants, les relations sexuelles entre adultes et mineurs sont pénalement réprimées. Et malgré cela, une certaine élite (ou plutôt une poignée de snobs mondains se prétendant une élite) va violer l’interdit, non point en catimini, comme le voleur qui agit en douce et s’efforce d’échapper à la police, mais au vu et au su de tous, comme si la loi n’avait pas vocation à s’appliquer à eux.

Le bouc émissaire des nouveaux tartuffes

Matzneff, tout coupable qu’il soit (au sens moral, et non juridique puisqu’il n’a pas été condamné et que les faits sont probablement tous prescrits) devient ainsi une commode victime expiatoire, le parfait bouc émissaire, permettant de ne point parler de tous les autres, vivants ou morts, qui ont hantés les palais de la République, glané les décorations et aussi chassé leurs proies parmi les plus faibles ou dans des pays où l’on n’y regarde pas d’aussi près. De ceux-là, il ne sera point question : le vieillard glabre, pauvre et malade paiera pour tous ; il est ce chevreuil fatigué dont les chiens suivent la voie parce que la sélection naturelle l’exige.

Car Oh, bien sûr, personne ne songe à reprocher aux nouveaux tartuffes d’ériger la protection de l’enfance en valeur absolue ; on leur fera seulement grief de cet éveil tardif et de la cécité volontaire, de la complaisance criminelle, proche de la complicité, dont tant ont fait preuve pendant des années. Et puis, ces bigots de la morale postmoderne ajoutent, hélas, à leur catéchisme bien d’autres articles de foi, dessinant les contours d’une ubuesque société sous surveillance, d’un monde dont l’homme se fait le démiurge intransigeant, jaloux de sa divinité. Mai 68 n’a pas achevé son œuvre destructrice. Ne verrons-nous pas, d’ici vingt à trente ans, ceux qui sonnent aujourd’hui de la trompe à pleins poumons, ceux qui veulent servir Gabriel Matzneff au couteau, comme on sert l’animal épuisé, essoufflé, qui s’est réfugié dans l’étang, pousser des cris d’orfraie lorsqu’ils constateront les ravages psychologiques de la GPA, de la PMA pour toutes et autres gadgets sociétaux présents ou à venir ? Je parierais que si ! Les mêmes, ou leurs héritiers présomptifs, prendront des poses de vierges effarouchées et jureront leurs grands dieux que jamais, ô grand jamais, ils n’avaient cela à l’esprit.

Pour l’heure, les dévots qui condamnent – une fois encore à juste titre, en l’état de nos mœurs – la pédophilie sont aussi ceux qui cautionnent la destruction de la famille voire, y aspirent. Ce n’est pas l’enfant et son innocence qu’ils défendent mais un sujet de droit, parmi d’autres. En fin de compte, la protection de l’enfant, devenue incontournable, est l’arbre qui leur permet de cacher la forêt.

Par Eric Cusas

[1] Extrait d’une lettre de M. Matzneff à BFMTV rendue publique par l’une de ses proches

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