Voilà un livre puissant qui est, à ce jour, la réflexion la plus poussée sur la vie et l’œuvre de Joseph de Maistre.
L’idée de l’auteur, Patrick Malvezin, qui par sa propre vie et ses propres recherches et travaux est le meilleur connaisseur actuel de Joseph de Maistre, est d’éclairer l’une par l’autre. Avec toute la rigueur requise et tout le savoir nécessaire, ce qui lui permet d’évacuer les élucubrations qui ont constamment déprécié la pensée de l’homme qui, en son temps et sur le coup de l’événement, a le mieux compris la révolution française, tant dans ses origines que dans ses conséquences. Le maçonnisme de Maistre entre autres est remis à sa place et fort bien expliqué. D’ailleurs, il lui a servi, d’une certaine manière, à mieux saisir par la suite la logique des événements : sa propre adhésion et même sa participation aux idées et aux chimères de son temps furent à n’en pas douter des préliminaires presque nécessaires.
Mais quelle élévation ! Quel style ! Quel regard d’aigle. Dès le début de la Constituante, il devient royaliste. Puis au fur et à mesure que la Révolution étend son empire, dans toutes les errances et les déplacements jusqu’en Russie qu’il doit subir et effectuer, il poursuit sa quête intellectuelle pour mieux avoir une vue synthétique de la totalité du phénomène. Des Considérations sur la France et des Réflexions sur le protestantisme jusqu’à ses derniers chefs d’œuvre Du Pape et Les soirées de Saint Pétersbourg, il n’a cessé de faire le tour de la question, en l’élargissant sans cesse pour aller jusqu’à l’intelligence philosophique, théologique, mystique même de l’ordre politique. Car cet ordre est un mystère abyssal que la Révolution, ses maîtres, en particulier Rousseau, puis ses épigones, ont prétendu réduire à des catégories d’une absurde simplicité, cause de toutes les désillusions et de tous les échecs. Maistre manie le paradoxe comme une logique supérieure pour mieux faire comprendre l’impossible prétention humaine devant le mystère du gouvernement humain et même du gouvernement de soi-même.
Étude remarquable, pleine de jugement, et qui redonne à Maistre toute la place à laquelle il a droit, à côté des plus grands ; et même un peu à part tant son originalité est époustouflante. Il surpasse son contemporain Bonald dont il est si proche, ne serait-ce que par l’aisance du style. Il l’a diagnostiqué et pronostiqué : la Révolution continue. Mais, ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle n’est qu’un instrument d’une Volonté supérieure et qui s’en servira pour mieux la vaincre. Comme Satan. C’est à ce niveau que ça se situe.
Patrick Malvezin, Joseph de Maistre ou le mystère du gouvernement, Parcours d’une œuvre et d’une vie, Éditions de Chiré ; 379 p. ; 29 €