Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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L’hôtel Corinthia a les fastes des palaces hongrois. L’entrée, un peu basse, ouvre sur un immense escalier qui distribue les hôtes entre les salles de réception, les suites et la magnifique piscine. L’Europe centrale possède l’art des décors et d’une certaine douceur de vivre sur le retour. Viktor Orban lui a donné quelque chose de plus.
Le Corinthia n’accueillait cette fois que peu d’hommes d’affaires. Il était tout entier consacré à la deuxième conférence internationale sur la persécution des chrétiens dans le monde. Les barricades de 1956 et le long sacrifice du cardinal Mindszenty ont porté du fruit. Les bures le disputent aux trois-pièces, et tout ce que l’Orient compte d’évêques engagés est là, les uns interdits, car ils sortent d’un quotidien de service social harassant, les autres plus familiers de ce confort. La troupe est joyeuse, fière d’assister à un évènement gouvernemental qui débute par la prière de Sa Béatitude Ignace Ephrem II Karim, Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient. Le gouvernement du Fidesz est au grand complet, les orateurs blaguent même l’organisation, saluant l’ouverture d’un synode.
À quoi bon ? À quoi bon ces dorures et ce lit immense ? À quoi bon ces plats et cette cordialité ? Les défenseurs des chrétiens sont-ils solubles dans les symposiums ? Le nouage de cravate est sans doute la compétence première d’une partie des intervenants. Les uns qui s’approprient les causes, les autres seraient trop empâtés par ces réunions ? Et pourtant. Assembler les mondes humanitaires, politiques et religieux pour se soucier prioritairement de la souffrance des chrétiens persécutés par le monde est un défi. Un défi puisqu’en France les ornières partisanes, politiques ou associatives, hypothèquent les chances d’une telle synthèse. Un défi puisque les États-Unis n’accepteraient pas d’écouter la libre parole de tant de clercs orientaux sur leurs méfaits en Syrie ou en Irak. Un défi enfin car l’Union européenne n’accepte que laborieusement l’existence même des chrétiens d’Orient, s’attachant très spécialement au droit des indigènes à Bornéo et des communautés LGBT de l’Ouganda.
Et puis comme dans toute sphère professionnelle, il fait bon pouvoir retrouver ses interlocuteurs en un même endroit. Évoquer les souvenirs d’inauguration avec Mgr Najeeb, rêver aux commencements de SOS chrétiens d’Orient avec Mgr Jeanbart, le sémillant évêque grec-catholique d’Alep, ou deviser avec Marc Fromager de nos expéditions irakiennes. Marc jouit ici de la réputation des hommes de terrain, celle qui forge cette reconnaissance du coup d’œil, ce respect qui se moque des surfaces pour dire : celui-là a traversé le monde pour la même cause que nous, dormi dans les mêmes remises, bu le mauvais whisky et attendu aux mêmes points. Celui-ci sait que nous ne sommes pas des héros mais bien plutôt des laborieux.
Des laborieux qui progressent, et cette conférence internationale en était le signal. SOS chrétiens d’Orient, comme toute la sphère de la défense des chrétiens persécutés, a gagné en expérience, en organisation, en réseau. L’indifférence ne retrouvera jamais les droits qu’elle avait usurpés en Occident.
Me voilà sur le retour. Le soir même, je couverai une mauvaise grippe dans un salon des Invalides, où la communauté des fidèles donateurs de SOS chrétiens d’Orient écoutait, avide, Mgr Baalbaki, évêque grec orthodoxe de Hama, parler de la résistance héroïque de Mhardeh et de Squelbiyeh face aux hordes djihadistes. Encore une fois, l’excellence des mets, et la qualité des vins, dénichés par notre ami Antoine, montraient que l’excellence se marie très bien avec la collecte humanitaire. Nous obtînmes pour l’occasion le haut patronage de Valéry Giscard d’Estaing, ce qui ne manqua pas de surprendre. Mais combien de personnes, au fait des enjeux diplomatiques, vous surprendraient par leur condamnation des aventures diplomatiques de Paris au Proche-Orient.
C’est le mot qu’on me rapporta à Vilnius. Vilnius la profonde, cité qui ne sent pas la mort mais plutôt le sacrifice, qui n’exhale pas la fin mais la continuité offerte par les martyrs. Je vous parlerai bientôt du « sourire au Goulag » que j’ai rencontré et du nouveau cardinal de Kaunas. Je vous parlerai de ce que nous fondons là-bas. Pour offrir à d’autres jeunes européens la chance de partager l’aventure des volontaires français. Sans doute parce qu’il n’y a d’universel que les vérités, et que celles-ci sont à la portée de nos abandons. Sur les routes de Syrie ou dans les hôtels du vieux continent.