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L’impolitique ou le diable en politique

Les leçons de Julien Freund.

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L’impolitique ou le diable en politique

L’observation attentive de la vie politique depuis une quarantaine d’années donne la troublante impression d’un flou constant, d’une volte-face perpétuelle, bref d’une instabilité chronique. Le gouvernement des affaires de la cité se résume bien souvent à la politique de Gribouille, assortiment de fausses solutions, d’idéologies plus ou moins digérées, vaguement soutenus par une déontique de circonstance – bien que l’œil soit toujours rivé sur la boussole d’une opinion publique versatile – et donc rarement soucieuse du bien général de la collectivité. Il n’est d’ailleurs pas anodin de souligner que cet impressionnisme politique, qui incline vers l’abstraction, coïncide avec les multiples dessaisissements de prérogatives régaliennes intervenus ces dernières décennies, les gouvernants se bornant au rôle platonique de figurants d’un théâtre d’ombres, lorsqu’ils ne se retranchent pas derrière la fonction performative de communicants au verbe creux. Le renouvellement des générations aidant, une nouvelle classe politique inculte, dévertébrée, à la logomachie affligeante et aux idées embrumées et rudimentaires, a considérablement accéléré la délitescence de la politique pour aboutir aux impasses stérilisantes et préjudiciables de l’impolitique. Ces dernières années comme ces derniers temps, les exemples ne manquent pas : le sacrifice du nucléaire énergétique sur l’autel de l’écologisme idéologique, la vassalisation de notre diplomatie, la dialectique tortueuse de notre politique migratoire, etc. Or, toutes ces politiques sont frappées du vice le plus rédhibitoire qui soit en cette matière, celui de l’impolitique. Ce terme, que l’on retrouve sous la plume de Châteaubriand, de Balzac, ou de Stendhal et dont la formation « correspond parfaitement au génie de langue française, à l’exemple d’autres termes comme imparfait, impartial ou impatient », a fait l’objet d’une série d’études systématiques de la part de Julien Freund qui fut un des premiers à appliquer la philosophie à la sociologie, attendu que la sagesse s’acquiert par observation du réel, lequel n’est rien moins que l’expérience historique et séculaire des hommes. L’impolitique s’analyse comme « ce qui contrevient à l’intelligence et à la pertinence dans l’action politique ou qui blesse l’esprit et la vocation de la politique » sans, pour autant, vouloir se confondre avec d’autres vocables comme ceux d’apolitique, d’antipolitique ou de non politique (Politique et impolitique, Sirey, 1987).

L’idéologisation obstruante de la mentalité générale

L’homme impolitique, par méconnaissance de l’objet même de la politique, comme par oubli de la finalité première de celle-ci, se condamne à l’impuissance tout en conduisant la cité sur les chemins escarpés de l’aventurisme, au risque d’obérer son avenir sinon son existence. Une décision impolitique n’est pas simplement une décision erronée due à l’appréciation incorrecte d’une situation donnée, mais une décision issue de la volonté des gouvernants de ne pas la redresser, de persister dans l’ornière par « idéologisation ». Ce que l’on dénomme usuellement, souvent par paresse intellectuelle, sous le syntagme de « politiquement correct » ressortit précisément à cette idéologisation. Si « l’impolitique […] consiste à tout politiser, aussi bien en subordonnant les autres activités humaines à la politique qu’en considérant les démarches qui leur sont propres uniquement sous l’angle politique », l’idéologisation apparaît comme la résultante de cette politisation généralisée. Le confusionnisme, en ce domaine, est la règle, dans la mesure où « l’envahissement abusif » par la politique des autres sphères de l’activité humaine, consiste délibérément à « les détourner de leur finalité propre en les utilisant à des fins politiques », voire politiciennes (l’économie, la santé, la religion font partie de ces activités dévoyées politiquement). La fin des idéologies (leur mue effectuée sous la forme d’improbables avatars wokes confirme de plus fort le caractère moribond du marxisme idéologique originel qui a montré son incapacité à s’adapter, sauf à travestir son essence) a été « relayée par une idéologisation obstruante de la mentalité générale ». Si l’impression contraire nous est donnée est-ce parce que « nous sommes idéologisés en tant que nous avons intégré les structures idéologiques [anciennes, NDLA] dans notre manière d’être, dans notre ethos, en général sans nous en rendre compte. Nous sommes passés du discours idéologique au vécu idéologisé, alourdi de justification plus ou moins sincère. […] On peut dire que l’idéologisation est la contamination de la mentalité générale par les vestiges sécurisants des idéologies moribondes ». C’est ainsi, écrit Freund, que « l’impolitique consiste à […] offenser l’esprit et la vocation de la politique, c’est-à-dire de ne considérer la politique que pour elle-même et non dans sa fonction au service de la société et des citoyens dont aller comptable ». Prétendre vouloir « faire autrement de la politique » relève d’une incommensurable fatuité comme d’une ambition démesurée ; c’est, de toute façon, ignorer qu’« il y a une pesanteur du politique, ce qui veut dire que les formes et méthodes de gouvernement sont assez réduites en nombre. Celui qui s’écarte de la voie ordinaire sous prétexte d’instaurer la véritable liberté ou égalité s’égare en général dans la persécution et le crime ». Si l’habitus idéologisant est le diable en politique, l’orgueil est son archange.

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