Condamné par l’empereur Auguste à l’exil en l’an 8 après Jésus-Christ, le poète Ovide se retrouve à passer les dernières années de sa vie à Tomes, ville portuaire de l’est de la Roumanie. Relégué, et non déporté, il conserva sa citoyenneté, sa fortune, la possibilité d’écrire, mais, entouré de Gètes et de Grecs, Rome lui manqua cruellement.
Implorant sa grâce en vain, l’auteur des Métamorphoses et de L’Art d’Aimer mourut loin des siens, sans possibilité de faire rapatrier son corps. Vintila Horia imagine un journal apocryphe qu’Ovide aurait tenu durant sa période d’exil, témoignant de sa propre métamorphose. Par le contact permanent auprès d’un peuple adorant majoritairement un Dieu unique, Zalmonix, Ovide pressent une vérité qui serait autre, plus proche des opprimés, des exilés, qui rendrait plus libre.
Pour ce livre, Vintila Horia reçut le prix Goncourt en 1960, qui ne lui sera jamais décerné, sur fond de polémique sur laquelle Thierry Wolton apporte quelques éclairages dans la postface. C’est toutefois un petit bijou de littérature dans lequel l’auteur, qui fut lui-même un exilé, donne ses lettres de noblesse à la perte et au deuil en ce qu’ils permettent de déceler l’injustice et la superficialité d’un monde qui voile la notion même de toute spiritualité. C’est dans le rien que se creuse la force de la purification et dans les ténèbres que jaillit la lumière. De ce frottement entre la nostalgie d’un avant et la quête d’un après, entre le poète adulé et l’écrivain déchu, Ovide se fraie un chemin où chaque rencontre savourée, chaque hiver traversé, chaque langue apprise, chaque ville visitée, le rapprochent un peu plus d’une expérience mystique et de la découverte de son âme appelée à la vie éternelle.
Croisant le chemin d’un prêtre ayant assisté à la naissance du Messie, Ovide prend conscience que sa Rome éternelle, pétrie de grandeur et de puissance, assoiffée de conquêtes et de sang, porte en elle les germes de sa perte et de sa décadence. Si Éternité il y a, si « frère » en Dieu existe, si Dieu se manifeste sur terre en homme et non en bête ou en divinité romaine, si les souffrances ont un sens, associées à la Sienne, tout prend un aspect nouveau : le bien, le mal, la dignité, la liberté, la conscience, le pardon, la responsabilité…
Vintila Horia nous offre une magnifique initiation à la foi aux côtés d’Ovide, immergés en plein empire romain, où le Messie est déjà là mais où tout n’est pas encore accompli. « Je sais maintenant que Rome, cette Rome qui était, au commencement de ma souffrance, le but de toutes mes pensées, ne se trouve pas au carrefour de tous les chemins terrestres, mais autre part, au bout d’une autre route. Et je sais que Dieu est né, Lui aussi, en exil. Je sais maintenant que nos âmes ont un sort différent et qu’elles ne reproduisent pas l’itinéraire de nos corps. »
Vintila Horia, Dieu est né en exil, Editions Noir sur Blanc, 2025, 272 p., 23, 50€
