Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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Henri, Anne, Victurnien de Rochechouart a été élu, le 13 mai 1849, comme conservateur royaliste, représentant de la Seine-Inférieure à l’Assemblée législative. Il se ralliera à l’Empire. La réécriture républicaine de l’histoire était bien en marche, et la gauche, déjà, revendiquait pour elle seule les valeurs – le mot est anachronique – de générosité et de fraternité, attaquant donc sans relâche la charité privée – dont on mesure, aujourd’hui, à travers ses restes, à quel point elle était utile et à quel point elle a été mal remplacée par les institutions étatiques.
Dans la discussion qui a eu lieu hier sur le projet de loi tendant à accorder au ministre de l’intérieur un crédit extraordinaire pour secours aux établissements de bienfaisance, M. de Mortemart, représentant de la Seine-Inférieure, répondant aux clameurs des socialistes, qui s’affichent comme les seuls bienfaiteurs du genre humain et reprochent à leurs adversaires de n’avoir ni entrailles ni sollicitude pour les pauvres, a fait un exposé de tout ce que la charité a pu fonder en France.
C’est à l’adresse de ceux qui, se tournant de ce côté de l’Assemblée (la droite), disent que nous n’avons ni entrailles ni sollicitude pour les pauvres. Je vais vous faire voir une partie du bien accompli par la charité, avec ses seules ressources, sans demander à l’État ni efforts ni revenus ; je vais vous montrer ce que vaut le socialisme, le bon s’entend, car le mauvais, j’ai la triste expérience de ce qu’il sait faire ; je ne connais de lui que les essais de Ménilmontant, l’Icarie, quelques autres encore, et je ne crois pas qu’ils soient de nature à faire repousser avec tant de mépris les efforts de la charité privée.
Ce n’est pas tout de dire : Vous faites mal, ou de dire : Vous faites bien ; il faut dire le bien qu’on a fait, il faut enseigner à faire mieux. On peut nous accuser d’avoir manqué d’intelligence, on n’a pas le droit de nous accuser de manquer de cœur. (Très bien !) Je demande à l’Assemblée la permission de lui mettre sous les yeux, et rapidement, un état de ce que la charité chrétienne a pu fonder en France.
Vous avez 1385 hospices dont les revenus s’élèvent à 183 millions ; Vous avez 7599 bureaux de bienfaisance qui possèdent 13 millions de revenus ; 144 dépôts d’enfants trouvés ; 37 asiles publics pour les aliénés indigents ; 25 hospices pour les indigents ; 11 asiles privés pour les indigents ; 1 maison de santé pour les aliénés, à Charenton ; Enfin il y a plus de 90 millions de fondations officieuses : je ne vous parle pas ici de ce que fait la charité officielle.
Voilà encore une nomenclature ; je ne puis pas dire qu’elle soit trop longue à lire à l’Assemblée, car je crois qu’elle ne se plaindra jamais qu’il y ait un trop grand nombre d’institutions philanthropiques. Mais, seulement à Paris, vous avez :
La société de charité maternelle, qui a pour but d’assister les pauvres femmes en couches ; elle peut disposer, à Paris, d’une somme annuelle de 97,264 fr., avec laquelle elle a secouru 930 mères de famille ; L’association des mères de famille, qui donne des secours à domicile pour le soulagement des femmes malheureuses enceintes…
Je ne voudrais pas abuser des moments de l’Assemblée… (Lisez ! lisez !)
La société médicale d’accouchement ; La société de Saint-Vincent-de-Paul, dont les ramifications s’étendent sur toute la France, et qui secourt, à Paris, 3 à 4 000 familles et patronne plus de 1 500 enfants ; L’établissement de Saint-Nicolas, qui élève plus de 700 enfants ; L’asile Fénelon ; La société des Amis de l’enfance ; L’œuvre des apprentis et jeunes ouvriers ; L’œuvre de Saint-Jean ; La société pour le placement en apprentissage des jeunes orphelins ; L’association des fabricants et artisans pour l’adoption des orphelins des deux sexes ; L’œuvre des catéchismes et des paroisses ; La société d’adoption pour la colonisation des enfants trouvés et abandonnés, qui compte déjà plus de 100 enfants, qui, déjà, avec les ressources de la charité privée, avait plus de 52 000 fr. de recettes ; L’œuvre des jeunes Savoyards et Auvergnats ; La colonie agricole de Mettray ; La société de patronage des jeunes libérés ; L’association des jeunes économes ; L’association de Sainte-Anne ; La Maison des enfants délaissés ; La Société pour le placement en apprentissage des jeunes orphelins ; L’Établissement de Saint-Louis ; L’Atelier de Mme Chauvin ; La Maison de refuge des sourdes-muettes ; Les crèches ; L’Œuvre des pauvres malades, qui ne se fait pas avec la bourse : ce sont les dames elles-mêmes qui vont visiter les malades et leur porter les consolations et les secours ; La Société de Saint François Régis, qui s’occupe du mariage ; car on ne s’occupe pas seulement du physique, on s’occupe aussi du moral ; et c’est rendre service à des familles que de légitimer leur union ; L’Asile du cœur de Marie ; La Société de la miséricorde ; L’Asile de la Providence ; L’Œuvre des prisonniers pour dettes ; La Société de patronage pour filles et femmes détenues et libérées ; La Société philanthropique ; Les Ouvroirs de Saint-Louis, de Vaugirard et de Sainte-Anne ; La Société de patronage pour les prévenus acquittés ; L’Infirmerie de Marie-Thérèse ; La Société de patronage pour les aveugles ; La Société pour le renvoi dans leurs familles des jeunes filles sans place et des femmes délaissées ; La Maison des diaconesses ; Le Comité consistorial israélite de secours et d’encouragement ; La Société Israélite des amis du travail ; La Société des amis des pauvres ; La Société en faveur des pauvres vieillards ; La Société de patronage pour les aliénés convalescents ; L’Asile ouvroir de Gérando, fondé en I839, et destiné à recevoir les jeunes filles victimes d’une première faute, et que leur état d’abandon, à leur sortie des hôpitaux, exposait à tous les dangers.
Voilà en abrégé ce qui se fait à Paris, et je sais que chacun de mes collègues de province pourrait venir probablement faire un tableau analogue. Maintenant, que le socialisme apporte un tableau pareil, analogue (Interruption à gauche) ; je vous cite des faits, j’en demande de semblables. On comparera, on jugera, et on verra de quel côté sont les vrais amis du peuple, que nous représentons tous ici au même titre, ne l’oubliez pas.
Source : Le Moniteur universel – 27 juillet 1849