Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
Article consultable sur https://politiquemagazine.fr
« Au secours, la droite revient ! » Ce cri n’a pas seulement agité ces dernières années le monde politique, mais aussi le monde catholique. Pouvait-il y échapper ? Bruno Dumons pose la question en ouvrant ce recueil : « Cette “droitisation” du catholicisme ne serait-elle pas, au final, l’expression d’un phénomène politique plus global et transnational concernant le renouveau conservateur dans les sociétés occidentales, profitant ici d’un retour de balancier post-conciliaire, propre au catholicisme romain ? ». Reste à savoir comment ce conservatisme ferait retour dans les milieux catholiques, et quelles seraient les influences importantes.
Y a-t-il des éléments propres aux différentes cultures nationales ? Jean-Dominique Durand évoque les liens italiens entre politique et catholicisme, avant que la démocratie chrétienne ne perde sa légitimité politique au fil des affaires dans lesquelles ses représentants étaient mêlés, tandis que la société se sécularisait. Son éparpillement permit ce lien entre catholicisme et populisme qu’incarna par exemple Matteo Salvini, mais on sait que le pape François tenta de lutter contre ce qu’il considérait comme une récupération des symboles catholiques.
En Espagne, Benoît Pellistrandi montre comment une droite catholique cherche à faire du franquisme une simple parenthèse, tandis que le pays connaît une mutation socioculturelle « qui remet en cause, sinon l’identité chrétienne du pays, au moins le poids de l’Église dans la vie des individus ». Ici aussi, les liens entre les catholiques et la droite populaire de Vox sont critiqués par une partie des prélats.
En Belgique, la droite catholique francophone, décrite par Cécile Vanderpelen-Diagre et Caroline Sägesser, joue un rôle important : très présente socialement (collèges, mouvements de jeunesse ou œuvres), ses représentants, depuis toujours favorables à l’intégration européenne, « n’ont jamais été en position de marginalité ou de minorité ».
En Pologne enfin, Patrick Michel suit le développement d’un catholicisme identitaire – lui très opposé à l’Union européenne – et se demande si, d’inclusif, à l’époque de la lutte contre le communisme, il ne serait pas devenu exclusif en arrivant au pouvoir, excluant de la nation ceux qui ne communieraient pas dans le culte d’une identité catholique polonaise symbolisée par Jean-Paul II.
Diversité donc, mais avec une même question : comment agir ? Olivier Dard a choisi de présenter le parcours de « trois publicistes catholiques », Marcel Clément, Jean Madiran et Michel de Saint-Pierre, qui ont suivi des itinéraires différents mais vont se retrouver dans une même dénonciation, sinon de Vatican II, au moins de la manière dont le concile est appliqué en France, et qui passeront par l’écrit. Même rejet décrit par Humberto Cucchetti avec le combat des Silencieux de l’Église mené par Pierre Debray, retrouvant des mouvements qui « revendiquent une action de type civilisationnel ». Croisade morale face à la déliquescence de l’Occident, nécessité d’un nouveau catholicisme populaire, activisme auprès de l’épiscopat, mais ici aussi activisme politique, ce catholicisme cherche ses voies, et noue pour cela des liens à l’étranger. Paul Airiau se penche ainsi sur l’histoire de la revue Catholica qui, pendant 30 ans, tenta de mettre en œuvre un « gramscisme » catholique et dont les réseaux dépassaient le seul cadre français.
De nouveaux modes d’action apparaissent : Constance Cheynel suit les mouvements « pro-vie » dans des maillages internationaux qui cherchent à peser sur certaines institutions, mais note que « ce réseau n’est pas un front solide, coordonné et uni ». Magali Della Suda décrit, elle, l’évolution qui mena des Veilleurs aux Sentinelles, et la diffusion d’un mode d’action protestataire en Europe, et notamment en Italie, mais aussi aux États-Unis.
Revenant sur ses rapports internationaux, Bruno Dumons évoque un catholicisme français « entre gentrification et métropolisation », restructuré par « des cabinets privés de management et de ressources humaines sur le modèle américain ». Une évolution qui fabriquerait des communautés « qui se donnent à voir mais qui s’ignorent les unes des autres » et apporterait le « prisme des fractures qui divisent la société américaine ». Dans la même ligne de l’influence états-unienne, Yann Raison du Cleuziou analyse l’importation des penseurs communautariens et l’écartèlement qui en résulte entre une approche qui fait des catholiques une minorité comme les autres, et celle qui préfère « rappeler que le catholicisme est au cœur de l’identité nationale et que par conséquent les catholiques doivent assumer leur vocation à incarner la majorité ».
Un ensemble de textes particulièrement riche donc, qui donne à voir un paysage diversifié, avec quelques constantes : l’inquiétude d’abord d’une partie de la hiérarchie catholique face à cette « droitisation » ; la transformation ensuite des modalités d’expression dans notre temps de sécularisation ; le dilemme enfin jamais résolu entre foi et raison ou prière et politique. De quoi en tout cas tirer des enseignements pour les temps qui viennent.