Léon XIV paraît être une synthèse de ce dont l’Église a besoin autant que de ce qu’elle voulait être sous François. Rapidement élevé à des charges importantes, plus spirituel, moins spontané, le pape saura-t-il endosser ce rôle crucial ?
Pour une élection que l’on prédisait compliquée ou incertaine, l’élection de Léon XIV fait figure de surprise : en quatre tours de scrutin, les cardinaux ont décidé rapidement. Il n’aurait fallu que 24 heures pour que les membres du Sacré Collège aient choisi… À peine les portes fermées, le soir du 7 mai, qu’elles se sont réouvertes le lendemain. Une telle rapidité démontre qu’il y a eu un choix clair : celui de tourner la page du pontificat précédent qui a laissé pantois plus d’un esprit dans l’Église. Un petit indice pouvait attirer l’attention : un pape qui bénit en latin et qui apparaît sur le balcon de Saint-Pierre de Rome en mozette traditionnelle. Une apparence plus classique et une présentation au public-monde plus conventionnelle. À la différence de François, Léon XIV n’a pas voulu s’affranchir des conventions et du protocole. Bien sûr, en deux semaines, on ne peut préjuger de tout, les gestes et les discours sont révélateurs d’une volonté de prendre en compte les aléas du pontificat précédent, lequel a fini par apparaître comme chaotique. La confusion sur les bénédictions des couples homosexuels consécutives à Fiducia Supplicans a certainement fait comprendre qu’une page devait être tournée et que le pontificat était, en tout état de cause, finissant.
Un profil de compromis ?
Le cardinal Robert Prevost n’était pas dans la liste des papabili, mais son élection n’était pas non plus exclue et ne semble pas avoir été imprévisible. On pourra dire que c’était une candidature de « second plan », qui rebat les cartes et dément bien des pronostics sur les « favoris ». Certains observateurs reconnaissaient déjà en lui un homme de dossiers, en raison de son passage au Dicastère des évêques, mais précédé de l’expérience d’un pasteur de terrain : il a été évêque à Chiclayo au Pérou de 2014 à 2023. Il semblait répondre à un « cahier des charges » : conjuguer l’exigence du docteur et la souplesse du pasteur ; allier l’expérience de la Curie à celle de la périphérie ; ouvrir encore plus au Sud – on est à l’heure du « Sud global » –, mais sans renier le Nord. Le cardinal Prevost, cet américain aux origines bigarrées, est né à Chicago, mais il a aussi la nationalité péruvienne. Mieux : ce diplômé de l’Angelicum, la prestigieuse université thomiste romaine, est aussi un religieux de l’Ordre de Saint-Augustin (OSA). Bref, un mystique et un juridique à la fois. En réalité, ce n’est pas tant le fait de présenter un profil de compromis qui fait la spécificité du phénomène « Léon XIV », mais plutôt un profil varié. Léon ne sera pas étranger aux différentes sphères complémentaires, mais complexes qui font la vie de l’Église. C’est la garantie, a minima, qu’il n’y aura pas d’improvisation ou de propos mal calibré, dont la spontanéité sur la forme reste désastreuse sur le fond.
Le choix du nom de Léon n’est pas innocent
Le nom de Léon peut, à lui seul, faire figure de symbole. On pense bien sûr à Léon XIII que l’on associe au catholicisme social, à Rerum Novarum et au ralliement. Mais Léon XIII n’a pas été que l’homme de cet épisode infortuné et controversé de l’histoire de France et de la papauté. C’est aussi le pape qui a relancé le thomisme avec l’encyclique Aeterni Patris ou même donné à l’ecclésiologie moderne ses prémices avec Satis Cognitum publiée en 1896. Retenons cette encyclique qui parle de la visibilité de l’Église et qui rappelle qu’elle n’est pas une entité éthérée, abstraite ou inexistante : elle annonce Mystici Corporis de Pie XII. On n’est pas loin de la théologie du Corps mystique du pape Pacelli. Enfin, Léon XIII a aussi été un pape marial, avec neuf encycliques dédiées à la Vierge Marie et au Rosaire. Léon XIII a donc été à l’origine d’un grand travail doctrinal, encore sous-estimé dans l’Église actuelle. C’est aussi le pape qui a porté de l’intérêt aux Églises orientales, en demandant le respect de leur liturgie et de leur spécificité. Mais le choix du nom de Léon est aussi un éloignement des noms post conciliaires : ce n’est pas Jean, ni Paul, ni même Jean-Paul. Le nouveau pape n’a pas non plus opté pour François II. En prenant un nom plus classique, le cardinal Prevost renoue aussi avec « la chaîne des temps » et offre probablement une porte de sortie par rapport à des pontificats plus tumultueux marqués par la crise de l’Église. Avec Benoît XVI, Léon XIV est le seul pape élu après la clôture du concile Vatican II à recourir à un nom de l’avant-concile. Un signe manifeste.
Un style plus feutré et certainement plus prudent
Pour le moment, les initiatives de Léon XIV ne soulèvent pas de polémiques ou ne suscitent pas de levées de bouclier. Aussitôt élu, devant le Collège des cardinaux, le pape a invoqué saint Ignace d’Antioche. S’il continue à citer François, le pape n’oublie pas Benoît XVI, Jean-Paul II et même des papes dits préconcilaires. Est-ce le signe d’une approche plus sereine, non seulement de la part du pape, mais aussi des médias et de l’opinion mondiale ? Léon XIV ne renie pas son prédécesseur, mais quand il parle de synodalité ou de dialogue, il semble se placer sur un terrain plus spirituel. Le 25 mai dernier, n’avait-il pas parlé de « communion à genoux », lors de son homélie prononcée à la basilique Saint-Jean-de-Latran lors de la prise de possession de la chaire de Pierre. Est-ce le signe du rééquilibrage de certains concepts qui avaient suscité beaucoup de perplexité ? Une théologie augustinienne de la grâce pourrait y aider en évitant de se focaliser sur des aspects trop humains au profit d’un recentrage plus spirituel. On peut imaginer que le pape ferait à l’égard du pape François ce que Benoît XVI avait pratiqué à l’égard de Vatican II : le recours à une sorte d’herméneutique de la continuité qui désamorcerait les aspects les plus douteux. Cependant, il faut se garder de concevoir le pontificat actuel à la lumière du précédent : Léon XIV veut imprimer son style, commence à marquer son terrain. Inévitablement, les aspects polémiques du prédécesseur seront oubliés tout simplement parce que l’on sera passé à autre chose. Le temps de l’Église n’échappe pas à cette loi du temps médiatique qui fait qu’une actualité chasse l’autre. Tout d’abord avec une attitude plus digne. Mais aussi en évitant les improvisations polémiques à destination des journalistes : le nouveau pape préfère se concentrer sur des discours minutieusement préparés vis-à-vis desquels il n’entend pas se détacher. Et pour le moment, cela fonctionne.
Une expérience qui reste limitée
Cependant, Léon XIV présente une autre spécificité : il est juste évêque depuis 2014 et a reçu le chapeau rouge en 2022, des mains de son prédécesseur. À la différence de Benoît XVI, de Jean-Paul II et de François, Léon XIV n’a pas eu une longue carrière épiscopale d’au moins vingt ans entre le moment de sa consécration épiscopale et son élection sur le trône pontifical. Il n’a pas non plus été créé cardinal par le pape anté-prédécesseur, mais seulement par le prédécesseur. Ainsi, en 2013, quand François a été élu, le père Prevost était le supérieur de l’Ordre de Saint-Augustin, mais pas encore évêque. Son parcours épiscopal reste bref, même si on ne saurait douter de son caractère de pasteur de terrain. Quant à son passage à la Curie romaine, il reste également limité, même si le cardinal Prevost avait commencé à avoir ses entrées à la Curie romaine dès 2020. Autrement dit, la connaissance du monde épiscopal, qui est importante pour les nominations, apparaît faible. Comme le « parcours » de terrain, l’expérience « curiale » est également limitée. Mais on pourra certes rappeler que le futur Benoît XVI n’était resté archevêque de Munich que pendant sept ans, juste avant de devenir préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi en 1982. Cependant, le cardinal Ratzinger avait pu s’illustrer au cours d’un long pré-pontificat qui avait duré jusqu’à son élection en 2005. Or Léon XIV n’a pas eu d’expériences très longues, ce qui pourrait handicaper son pontificat. Mais pour le moment, cela n’apparaît pas comme une difficulté et l’on reste encore dans une sorte d’état de grâce. Enfin, il y a des facteurs plus personnels qui comptent inévitablement. Léon XIV a une carrure plus chétive, peut-être plus tremblante que celle de Jean-Paul II ou François. Or le pape, malgré tout, est aussi un chef, il devra s’imposer face aux chefs d’État ou même face aux hommes d’Église qui sont tout aussi retors. Et ce d’autant plus que le nouveau pontife ne s’est pas prononcé sur des sujets brûlants.
Illustration : Léon XIV et J.D. Vance : nouveau pape, nouvelle ambiance.