Tribunes
Que faire ?
Adieu, mon pays qu’on appelle encore la France. Adieu.
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« La critique est aisée et l’art est difficile, et les deux ne sont pas commodes », estimait Jules Renard. La publication d’écrits inédits du critique lyonnais Léon Vallas (1879-1956) en constitue une parfaite illustration. Né à Roanne, il délaissa ses études de médecine pour s’engager dans le journalisme et l’organisation de concerts. Il soutint en 1908 une thèse sur La Musique à l’Académie de Lyon au XVIIIe siècle et obtint en 1919 un doctorat d’État avec Un siècle de musique et de théâtre à Lyon (1688-1789).
Brillant orateur, Vallas fut chargé jusqu’en 1911 d’un cours d’histoire de la musique à l’Université puis au Conservatoire de Lyon. Toutefois, il fréquentait assidûment le monde parisien. La Sorbonne lui confia un cours d’été sur l’histoire de la musique française contemporaine (1928-1930) et il fonda avec Gabriel Bender les conférences de « La Musique vivante ». Il en donna aussi aux États-Unis (1929-1935). Mais ses ambitions tourneront court : jamais il ne sera nommé ni à la tête du Conservatoire de Lyon, ni à la chaire d’histoire de la musique du Conservatoire de Paris.
Avec le compositeur et chef d’orchestre Georges Martin Witkowski (1867-1943), il fonda en 1902 la Schola cantorum lyonnaise, et organisa avec dynamisme à ses côtés la Société des Grands Concerts, à l’origine de l’actuel Orchestre National de Lyon. Leurs relations furent assez conflictuelles car Vallas ne se privait pas de dénigrer ouvertement ses interprétations.
La vie artistique en province au début du XXe siècle était foisonnante. Vallas devint critique musical au Tout-Lyon dès 1902 et créa l’année suivante son propre journal : La Revue musicale de Lyon. Puis il rejoignit Le Salut Public et Le Progrès de Lyon où il exerça pendant 35 ans. Très vite, le polémiste – persuadé du rôle capital du critique dans la formation du goût de ses concitoyens – se fit remarquer par ses jugements tranchés et sa plume corrosive. Combien parmi ses confrères rencontrèrent une réputation nationale voire internationale ? Evidemment, opinions sans concession et formules féroces, telles qu’on aimait alors les ciseler, envers ses concurrents (comme les frères Reuchsel) lui valurent de solides inimitiés. Ainsi à propos de Gustave Samazeuilh : « compositeur rasant », de Charles Marie Widor : « une symphonie de cet imbécile ne produit qu’un effet d’hilarité » ou du ténor Fabert : « Quelle rage ils ont tous à vouloir chanter plus haut que leur luth ! » Inconditionnel de Debussy, il pourfendit le jeune Ravel : « Là, j’ai vu Ravel, toujours minuscule, comme sa musique » (19 octobre 1910) et lorsqu’il le croisa à nouveau le 5 mars 1920 : « Ravel donne l’impression d’un ex-jeune très aigri par le succès de ses successeurs. » Léon Vallas est l’auteur de biographies de César Franck, Claude Debussy, Vincent d’Indy (qu’il n’épargna guère) et Georges Migot.
La copieuse introduction-analyse de Jérôme Dorival s’avère un appoint indispensable à la lecture du Journal qui ne couvre pleinement que les deux années 1910 – 1911 et se voit complété par des extraits d’agendas. La verdeur de ton de ces pages – qui n’étaient pas destinées à la publication – amuse souvent, irrite parfois. Précieux témoignage de la mentalité de l’époque, « le Journal de Vallas a le grand mérite de nous faire sentir qu’être un contemporain rime autant avec partialité et aveuglement qu’avec intuition et empathie. » Cette ambivalence en fait tout le prix.