Recevez la lettre mensuelle de Politique Magazine

Fermer
Facebook Twitter Youtube

Article consultable sur https://politiquemagazine.fr

L’empire des Incas

En 1603, l’Inca Garcilaso de la Vega, « natif de Cuzco et capitaine de sa Majesté », publia ses Commentaires royaux sur le Pérou des Incas, traduit en français par Jean Baudouin, de l’Académie française, en 1633.

Facebook Twitter Email Imprimer

L’empire des Incas

Trois siècles et demi plus tard Roger Caillois voulut le republier et aboutit à ce qu’on le retraduise. Et Les Belles Lettres, en 2024, le rééditent. Métis né à Cuzco en 1539, Garcilaso a une mère inca et un père espagnol, rebelle vis-à-vis de la couronne car ayant pris le parti des indigènes à un moment de fragile équilibre où une coexistence politique originale paraissait possible entre les deux peuples – les métis étant la preuve vivante de cette union. L’histoire en décida autrement et le futur auteur dut s’exiler. C’est en Espagne qu’il entreprend de raconter le Pérou disparu, d’en ressusciter les splendeurs, d’en raconter les origines, d’en décrire les mœurs. Cuzco, ville sacrée, devient « comme une seconde Rome », le Nouveau Monde est presque un Paradis perdu, et pour rendre justice à ce monde qu’il a dû quitter, Garcilaso s’efforce de faire resurgir une civilisation entière en s’appuyant sur les historiens espagnols – dont certains qu’il conteste – et sur ses souvenirs. Hérodote et Proust tout à la fois, il reconstruit son monde perdu en soulignant la vérité de ce qu’il écrit quand un autre le dit aussi, comme « le trésorier général Agustin de Zarate » dans son Histoire, à propos de la croyance en la résurrection qu’avaient les Incas (qui châtiaient aussi les sodomites, chapitre XIII du Livre 3 : c’est tout juste si ce peuple Inca n’est pas élu de Dieu, et on sent Garcilaso tenté de réhabiliter les Incas comme Virgile fut annexé par les chrétiens – se haussant au passage au niveau des « fils du Soleil »).

On se gave d’exotisme entre deux leçons de droit

Quel crédit accorder à ces Commentaires ? Laissons aux historiens le soin de peser eux-mêmes chaque mot, car le grand plaisir est de découvrir le Temple du Soleil, comme dans Tintin, mais en mieux, car « à sa place s’élève aujourd’hui l’église Saint-Dominique », ce qui prouve bien qu’il a été tel que Garcilaso le décrit, « en pierres de taille parfaitement polies » et aux quatre murs « recouverts de haut en bas de plaques d’or » ; ils y adoraient le soleil, « visage rond environné de rayons et de flammes », à côté duquel étaient rangés les corps de leurs rois défunts, si bien embaumés qu’ils paraissaient en vie. Les Incas sacrifient mille choses au soleil, dont des lamas, et « des lapins domestiques, du suif, des céréales et des légumes, et même l’herbe coca, et des habits des plus fins. » Mais les vraies merveilles ne sont-elles pas ces ponts de chaume, refaits tous les six mois, ces radeaux de calebasses, ces vierges consacrées jetées dans la fosse aux pumas si elles avaient fauté ? On se gave d’exotisme entre deux leçons de droit sur la répartition des terres et deux cours sur l’histoire des conquêtes incas, on croise « Pachacamac, le dieu inconnu » (c’est troublant), on lit la description du temple que « l’Inca Viracocha fit bâtir à la mémoire de son oncle le fantôme », on apprend que l’inchic permet de faire du bon tourone, mélangé au miel, et une huile savoureuse, qui est aussi un remède. Le Pérou regorge d’or, « à la surface de la terre, et dans les ruisseaux et les rivières où l’entraînent les torrents formés par l’eau des pluies », et le Pérou est plein de pommes de terre et de fruits ronds et gros comme des pommes, de bananes et d’ananas, que l’auteur décrit plus longuement que l’or et l’argent car le père Acosta, visiblement, a déjà traité à fond la question. Garcilaso exalte la bonne administration des Incas, leur religion si proche de celle des Espagnols et achève, par son inventaire minutieux et nostalgique, de nous convaincre que le Pérou est sa Cocagne, aussi réelle que rêvée.

 

Garcilaso de la Vega, Commentaires royaux sur le Pérou des Incas. Les Belles Lettres, 2024, 920 p. en deux volumes sous coffret, 37 €

Facebook Twitter Email Imprimer

Abonnez-vous Abonnement Faire un don

Articles liés